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Prisons en Angleterre et au Pays de Galles : le ministre de la Justice serre la vis aux prisonniers

Après la loi sur la "bedroom tax" (qui oblige les résidents de logements sociaux "trop grands" pour eux à partir ou à payer un impôt par chambre inoccupée), l’obligation faite aux demandeurs d’emplois de travailler quasiment gratuitement pour être habilités à recevoir de l’État l’indemnité somptuaire de 53 £/par semaine (62 €) – une mesure critiquée même par les grandes entreprises, le projet de suppression de cette indemnité ainsi que de l’aide au logement pour les moins de 25 ans qui n’ont pas d’emploi, ne sont pas en formation, ou ne poursuivent pas d’études, le projet de diminution de l’aide juridique, la réduction des aides aux personnes handicapées, etc., etc., le gouvernement britannique s’attaque, une nouvelle fois, aux pauvres.

Cette fois-ci, il s’agit de la population carcérale.

Prochain arrêt : la révolution, comme le suggère l’humoriste Russel Brand dans le New Statesman ?

(NB : tous les liens sont en anglais)

Cet article d’Alan Travis, "Male prisoners to wear uniforms and be banned from watching television" ("Les prisonniers de sexe masculin devront porter des uniformes et n’auront pas le droit de regarder la télévision") explique que le nouveau régime carcéral à l’initiative de Chris Grayling, le secrétaire à la Justice, a pour objectif de revoir le système d’"encouragements pour bonne conduite et de privilèges" dans les prisons.

Grayling a déclaré que la bonne conduite seule ne suffirait plus pour avoir droit à des "privilèges" en prison, mais qu’il faudrait, pour cela, également, que les prisonniers se livrent à des activités enrichissantes en vue de leur réinsertion (que ce soit par le travail, la formation ou les études).

Parmi les nouvelles mesures répressives contre les "avantages" en prison qui ont pris effet ce 1er novembre 2013, applicables en Angleterre et au Pays de Galles, tous les condamnés adultes de sexe masculin auront interdiction de regarder des films violents et/ou à caractère sexuellement explicite, c-à-d. les films interdits aux moins de 18 ans.

D’autre part, l’ensemble des prisonniers n’auront plus la possibilité de regarder la télévision dans la journée et les 4.000 détenus des prisons privées n’auront plus accès à Sky Sports ou à d’autres chaînes payantes (ce dont ne bénéficiaient pas les détenus dans les prisons publiques).

Ils n’auront plus le droit non plus d’utiliser librement les installations sportives, sauf s’ils se sont engagés dans une activité "utile" (ce qui veut dire que les installations payées avec les deniers publics seront largement inoccupées, mais qu’importe ?).

Les détenus devront également porter un uniforme pendant les deux premières semaines de leur incarcération (c’est-à-dire durant la phase 1 – phase d’observation, en quelque sorte - de leur séjour en prison).

Le port de l’uniforme, un survêtement gris ou marron et un T-shirt bleu clair, ou bien, dans certaines prisons, l’ancien uniforme avec un haut à rayures, ne s’appliquera pas pour les femmes détenues, les autorités n’ayant pas encore trouvé de justification crédible, même pour les gogos.

En outre, les "primo-arrivants" ne pourront pas disposer de leur argent personnel à leur guise.

Face aux critiques de ceux qui expliquent qu’il n’y a rien d’autre à faire en prison que de regarder la télévision et que ces mesures risquent de provoquer des émeutes, Grayling répond qu’il est inadmissible que les prisonniers se prélassent dans leurs cellules à regarder la télévision ou à envoyer des messages avec leur téléphones portables entrés illégalement pour provoquer leurs victimes ou se vanter d’avoir la vie facile en prison, alors que le reste de la population part travailler.
Et qu’il fallait que cette situation cesse. Bien évidemment.

Encore une fois, on le notera au passage, l’opposition sournoise entre ceux qui "ne font rien" - les chômeurs, les détenus - et "profitent", donc, sans contrepartie, du "système", et ceux qui "travaillent" - du moins, ceux qui n’ont pas encore été licenciés par leurs amis les patrons).

A la lumière de ces déclarations, on ne peut qu’en conclure que le gouvernement ne compte pas mettre en place ce qu’il annonce : des mesures favorisant la réinsertion des prisonniers.

Parce qu’il n’a rien chiffré, évidemment, et que le coût de cette "réforme" serait colossal si on veut atteindre l’objectif annoncé, alors que, parallèlement, il s’attaque à toutes les protections sociales.
Il n’y a donc aucune raison qu’il veuille, brusquement, et à l’encontre de toute l’idéologie capitaliste, améliorer le sort de la population carcérale et la préparer à la réinsertion.

C’est, donc, à l’habitude de ce gouvernement, qui multiplie les attaques abjectes contre les plus pauvres, un plan complètement foireux qui ne peut être approuvé que par les benêts, les nostalgiques du IIIe Reich et les idéologues.

Et, si on exige que les prisonniers travaillent à leur réinsertion au lieu de regarder la télévision, on devrait logiquement fournir les moyens pour le faire.

Or, dans la réalité, les prisons sont surpeuplées, le personnel est de plus en plus réduit (et peu formé) et le budget des prisons, toujours plus restreint par les gouvernements successifs, ne permet pas d’offrir des stages de formation sérieux aux détenus.
Il y a, d’ailleurs, actuellement des listes d’attente énormes de demandeurs de formations.

Mais le ministre s’est bien gardé d’expliquer par quel tour de magie il compte atteindre l’objectif annoncé.

Pourtant, en tant que responsable suprême de la Justice, Grayling devrait au moins savoir que cette injonction de travailler ou de suivre une formation concerne actuellement (en Angleterre et au Pays de Galles) : 85.241 personnes incarcérées, parmi lesquelles 81.258 hommes et 3.983 femmes.
D’autre part (chiffres d’aout 2013), 1.239 mineurs sont détenus dans les centres pour jeunes délinquants, dont 50 filles et 44 enfants âgés entre 10 et 14 ans.

Le ministre a-t-il seulement l’intention d’embaucher du personnel qualifié pour s’occuper de toute cette population et l’occuper intelligemment ? Il n’a rien annoncé dans ce sens.

Des décisions qui constituent une attaque en règle contre tous les travailleurs

Ce que le ministre a également omis de préciser, c’est que les prisonniers qui travaillent ne gagnent souvent pas plus de 8£/semaine.
Du travail d’esclave, donc, encouragé par un gouvernement "démocratique" et qui se dit "soucieux des droits humains".

D’autre part, où vont-ils trouver autant d’emplois pour des personnes souvent sans qualifications ?
En effet, 52% des hommes dans les prisons n’ont aucun diplôme et près de la moitié des prisonniers savent à peine lire et écrire.

Et que va-t-il advenir des droits des travailleurs, déjà largement bafoués (comme, par exemple, avec les "zero-hours contracts"), qui se retrouveront en concurrence sur le marché du travail avec les prisonniers sous-payés ?

L’imposition du port de l’uniforme : une mesure qui ne s’explique par aucun critère rationnel

Cette obsession de l’uniforme, comme le dit cet article, "Why prison uniforms are a bad idea", est "typique de la mentalité dépassée des anciens élèves des écoles privées huppées".

Il rappelle que le port de l’uniforme pour les hommes dans les prisons britanniques a été aboli en 1991.
Les uniformes pour les femmes avaient, eux, été supprimés en 1971, quand une enquête avait montré que les détenues étaient plus disciplinées si on les laissait porter leurs propres vêtements.

A ce propos, les nouvelles mesures, on l’a vu plus haut, ne concernent pas les femmes.
Peut-être est-ce parce qu’elles représentent moins de 5% de la population carcérale et sont souvent condamnées à des peines de prison très courtes (6 mois ou moins pour la majorité d’entre elles).

Peut-être est-ce, aussi, parce que le gouvernement craignait qu’on lui rappelle les conditions d’incarcération des femmes, encore plus pénibles que pour les hommes (beaucoup ont subi des violences domestiques, des abus sexuels ou des viols, beaucoup d’entre elles, dont environ la moitié sont des parents isolés, ont des enfants dont elles sont séparées- en 2010, au moins 17.000 enfants étaient concernés par l’emprisonnement de leur parent - d’autres sont enceintes, etc.).

Il ne serait sans doute pas rentable politiquement d’attirer l’attention sur la misère et les violences de toutes sortes dont sont victimes les prisonniers, et en particulier, les femmes, et faire basculer l’opinion en leur faveur.

Mais, pour revenir au port de l’uniforme pour les nouveaux condamnés, c’est à la fois absurde et barbare.

Vouloir distinguer les nouveaux du reste de la population carcérale, c’est les humilier impitoyablement et sans raison, et les exposer à devenir les boucs-émissaires de détenus endurcis, alors que c’est à ce moment de leur vie qu’ils sont le plus vulnérables, et souvent enclins au suicide et à l’automutilation.

D’autre part, en leur interdisant d’utiliser leur argent personnel à leur guise, on les empêche de contacter librement leur famille, leurs amis ou leur avocat, les seuls soutiens qu’ils pourraient avoir.

Donc, il est évident que les mesures du gouvernement, qui estime que la prison n’est pas une punition suffisante, et que ce serait même une sinécure, sont uniquement destinées à humilier davantage les détenus : port de l’uniforme décidé arbitrairement, interdiction pour tous de regarder la télévision ou de faire du sport dans la journée, et pratiquement aucune chance pour la grande majorité d’entre eux de s’occuper autrement.

Ce qui veut dire également que rares seront ceux qui auront accès aux "privilèges" jusqu’alors accordés "uniquement" pour "bonne conduite".

Les conservateurs britanniques qui favorisent l’abolition des privilèges ? On aura tout vu.

Mais qui est, donc, ce Chris Grayling, puisqu’on en parle ?

Membre du Parti conservateur, il est élu député en 2001 et figure dans les cabinets fantômes successifs de David Cameron à partir de 2005. Après la victoire de la coalition en 2010, il devient Ministre du Travail.
Et, le 4 septembre 2012, il devient secrétaire d’État à la Justice dans le nouveau gouvernement Cameron.
En 2010, lors d’une réunion publique, il déclarait que les chrétiens devraient avoir le droit de vivre selon leur conscience et, donc, les propriétaires chrétiens de Bed & Breakfast devraient pouvoir refuser de recevoir les couples homosexuels.
Baptisé "le chien d’attaque du gouvernement", Chris Grayling est aussi un menteur et un profiteur, comme développé ici.

Lectures complémentaires :

The brutality of the shadow state : the use of force on teenagers in custody
L’utilisation de la force brutale dans les prisons pour mineurs.

Six questions for Chris Grayling on human rights
Les droits humains selon Chris Grayling

Et, en français, cette fois-ci : « Chavs » : comment on diabolise la classe ouvrière

Avec R.R, traducteur occasionnel bénévole et chroniqueur exceptionnel

URL de cet article 23172
  
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