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Primaires socialistes : la manipulation médiatico-sondagière, par Philippe Marlière.





Vendredi 3 octobre 2006.


Selon ses partisans, la candidature de Ségolène Royal s’impose pour deux raisons « rédhibitoires » :

1) leur candidate est la mieux placée pour rassembler les socialistes et la gauche ;

2) les sondages la plébiscitent.

La campagne interne est en train de nettement infirmer le premier argument. Loin de rassembler les socialistes et la gauche, Ségolène Royal apparaît diviser profondément son camp. En dépit de l’embargo des médias voulu par le camp royaliste, le rassemblement du Zénith a souligné combien les contours flous et ambigus de son discours avaient fini par exaspérer un auditoire plutôt bien disposé à son égard au début de la soirée. Le « blairisme à la française » de Mme Royal (35 heures, carte scolaire, jurys populaires, encadrement militaire des jeunes délinquants) heurte en effet un nombre croissant de militants socialistes qui s’informe et débat. Quoi de plus normal pour des socialistes français de s’émouvoir des lourds emprunts à un homme d’Etat qui est couramment présenté comme le consolidateur du thatchérisme ?

Reste le deuxième argument, celui de sondages exceptionnellement flatteurs pour Ségolène Royal.

Une certaine presse ne se prive jamais de rappeler que Laurent Fabius est « toujours bon dernier dans les sondages », « loin derrière Mme Royal ».

Mais de quels sondés s’agit-il ? De « sympathisants socialistes ».

Rappelons d’abord une évidence : ce sont bien les militants qui seront appelés, les 16 et 23 novembre, à choisir le candidat socialiste et non les « sympathisants ».

Pourquoi dans ce cas continuer à nous bombarder de sondages qui ne concernent en aucune manière la population électorale du moment ? Y aurait-il quelque tentation de la part des médias d’influencer l’issue de ce scrutin ? Troublant, n’est-ce pas ?

Mais regardons de plus près le stratagème et on s’aperçoit que la ficelle est vraiment grosse. Demandez à un politologue ce qu’est un « sympathisant socialiste » et il sera bien à la peine de vous répondre.

S’agit-il d’un électeur qui vote fidèlement pour le PS, occasionnellement ou simplement d’un transfuge de la droite qui s’apprête à voter socialiste pour la première fois ? Ces distinctions importent car elles renvoient au degré de proximité et de familiarité avec le PS, ses débats, sa culture et à une connaissance plus ou moins fine des enjeux de ces primaires. Nous ne le savons pas. Nos sondeurs continuent imperturbablement de nous présenter ces « sympathisants » comme une catégorie politiquement homogène.

En réalité, ces sondages reposent souvent sur des échantillons ridiculement petits et sont aussi fiables que les sondages « micro-trottoirs » dont sont friands les journalistes en mal d’inspiration.

Ces échantillons ne sont ni fiables, ni représentatifs, d’un point de vue scientifique. Ce sont des artefacts d’opinion car ils fabriquent de toute pièce un point de vue qui n’existe que dans l’esprit des... sondeurs. Sonder les « sympathisants » socialistes dans le cadre de ces primaires, c’est donc aussi pertinent que d’aller recueillir le point de vue du peuple allemand lors de la campagne référendaire française au printemps 2005...

Mais il y a pire. La plupart de ces sondages, nous l’avons vu, sont grossièrement exécutés, au mépris des règles déontologiques élémentaires (échantillons minuscules et non représentatifs). Certains sondages imposent carrément une problématique aux sondés. Pour enfoncer le clou de la démonstration (c’est-à -dire pour pouvoir affirmer que Ségolène Royal est réellement plébiscitée par le « peuple des sympathisants socialistes »), il leur faut aussi montrer que la candidate est la « plus compétente » des trois dans tous les domaines : affaires étrangères, social, économie, culture, sports, etc. Ici, ces pseudo-sondages frisent le ridicule et sont franchement hilarants. Avant que la campagne interne ne démarre, Ségolène Royal devançait ses concurrents de 20 à 40 points dans tous les secteurs de gestion. Sacrebleu, Mme Royal est assurément une super candidate ! Mais qu’est-ce qui permettait alors aux sondés d’émettre des points de vue aussi tranchés dans des domaines aussi divers et techniques ? Mystère.

Venons-en au fait : ces sondages sont une vaste entreprise de décervelage (ou d’intimidation) à l’endroit de militants socialistes désorientés, qui s’apprêtent, la mort dans l’âme, à voter pour la « madone des sondages » pour éviter un « nouveau 21 avril ». Certains ne s’y sont résolus que parce qu’on leur assure - sondages à l’appui - que Mme Royal est la « seule candidate capable de battre la droite ». Allons jusqu’au bout du raisonnement. Comment croire un instant que Laurent Fabius soit « scotché » aux 10-15% d’intentions de vote que lui prédisent les « sondages » ? Comment un candidat qui vient de réunir 21% des voix militantes sur son nom et ses idées au dernier congrès du PS, qui recevra la majorité des voix du NPS, des MJS, une minorité de celles de Rénover Maintenant, l’intégralité des voix de FMDS (Dolez-Filoche) et aussi celles de certains jospiniens, pourrait effectivement être si largement distancé ?

A vos calculettes et faites l’addition ! La manipulation médiatico-sondagière est ainsi révélée. Ces pseudo-sondages n’ont d’autre objectif que de tenter d’imposer aux militants socialistes, de l’extérieur, la candidate des grands groupes de presse (...et des caciques du PS) !

Les seuls sondages qui, aujourd’hui, auraient un sens, seraient ceux effectués auprès de militants socialistes. Cas hypothétique, car évidemment cela n’arrivera pas : imaginons qu’un institut de sondages interroge une grosse fédération du PS (le Nord, par exemple).

Un tel sondage révélerait aujourd’hui des intentions de vote pour Laurent Fabius de 2 à 3 fois supérieures à celles enregistrées par ces sondages manipulateurs. Tout à coup, le « candidat distancé » ne le serait plus ! On comprend donc pourquoi les grands groupes de presse sarko-blairistes ne commandent pas de tels sondages. Le soutien intra-partisan en faveur de Fabius serait enregistré à son niveau réel, c’est-à -dire en deuxième position et probablement talonnant Mme Royal et la candidate « plébiscitée » par les sondages ne le serait plus...
Camarades, la « madone des sondages » est un mythe. Vous pouvez donc tranquillement voter selon vos convictions socialistes.

Philippe Marlière, Maître de conférences en science politique à l’université de Londres, pour Démocratie & Socialisme www.democratie-socialisme.org



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En finir avec les faux débats sur les sondages ?




 Photo : StoPub, mars 2004, par harchives.


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