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Pour une loi sur la séparation de l’entreprise et de l’Etat

Présidentielles : lettre ouverte aux candidats

Madame, Monsieur,

L’obscurantisme religieux qui a régné sur notre pays une bonne quinzaine de siècles n’a jamais été synonyme de progrès, ni sur un plan humain, ni sur un plan scientifique. Il aura fallu la diffusion du livre, les consciences éclairées de nos Lumières, plus d’un siècle de combats incessants, pour qu’au début du 20ème siècle, la République parvienne définitivement, par une loi drastique, à libérer le pouvoir temporel de l’emprise du dogme spirituel chrétien.

Quand, en 1905, l’Assemblée Nationale, élue du peuple, vote la loi de la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, elle ne fait bien évidemment pas l’unanimité. La débats sont vifs, engagés, mais la détermination est de mise et le discours radical. Les religieux doivent quitter les hôpitaux, les administrations, les écoles. Des siècles d’hégémonie remis en cause par une loi. Un pouvoir qui change de mains. Une manne financière gigantesque qui s’évanouit par le simple vote des représentants de la Nation. Une tutelle millénaire qui cesse de s’exercer par la volonté des hommes de choisir leur voie librement, en dehors d’une vérité révélée imposée, servant les intérêts d’une minorité religieuse indifférente au bien public. Séparer les pouvoirs spirituels et temporels a été une solution viable et efficace pour assurer le bien être de l’homme, l’émanciper d’une religion dogmatique établie sur une morale fondée sur l’interdit et la culpabilité.

Pendant un siècle, cette loi, imparfaite, sans cesse décriée, souvent attaquée, a pourtant servi de ciment efficace au développement harmonieux de la société française, offrant au citoyen, envers et contre tous les aléas de ce siècle sanguinaire, dignité, éducation, santé et retraite. Pendant un siècle, la frontière établie entre les deux sphères, en créant la notion de « laïque », a permis de situer clairement le périmètre du privé et du public.

Aujourd’hui, cette loi est mise à mal, et son application sans cesse bafouée. A la religion catholique, d’autres dogmes, par un ensemble de satellites et de puissants réseaux élitistes, sont parvenus à la contourner. La manne de l’Etat, dans un semblant de démocratie, qui se perd faute d’avoir oublié ses valeurs, perdue dans des considérations, voire des malversations où le bien public se mélange étroitement avec l’intérêt privé, continue à octroyer de nombreux subsides. Les religions encaissent toujours de confortables rentes par le biais d’associations largement subventionnées grâce aux fonds publics. La loi de 1905 se meurt.

Le danger est pourtant ailleurs : dans la mainmise totale que l’économie impose aujourd’hui à l’Etat. La nouvelle religion qui s’affirme est celle de l’argent. Petit à petit, pas à pas, elle envahit tout. En martelant, par médias interposés, que la consommation c’est le bonheur, que la seule croissance commande désormais nos faits et gestes, les puissants font de cette nouvelle religion la base de tout. L’argent n’est plus un moyen d’échange, mais une finalité de la vie. Faire du fric... L’entreprise supplante l’église. Pour ces nouveaux apôtres, l’argent est le moteur de toute réflexion, de toute action. C’est la clé du bonheur... et du pouvoir. Aucun être humain ne doit ignorer ce nouveau chemin. Aucune barrière ne doit se dresser. Marché, rentabilité, profit, productivité, résultat, bénéfice, croissance, inflation, ce sont les nouveaux mots d’ordre. Sécurité, inégalité, individualité, c’est la nouvelle devise du nouvel ordre mondial qui se dessine. « Consomme et tais-toi » remplace « prie et tais-toi » ! L’intrusion des dogmes religieux dans les affaires de l’Etat est une calamité. L’imposition de ce nouveau dogme universel apparaît encore pire.

Le parallèle entre l’entreprise et l’église est d’autant plus évident que les deux savent parfaitement s’entendre quand il s’agit de s’emparer du bien public. Les journaux financiers sont la Bible des temps nouveaux. Le billet a remplacé l’icône. Des « chiens de garde », à l’ordre, sacralisent la croissance, comme les religieux assènent leur dogme. Des ministres patrons, moulés dans une énarchie libérale, nous gargarisent de mots économiques, comme les dévots de tous bords ânonnent leurs leçons évangéliques, talmudiques ou coraniques.

Le « tout consommation » bouscule les valeurs. Il chamboule les repères. Faire croire que le bonheur se trouve dans la consommation, dans l’achat, la possession, c’est ça le bonheur révélé ! Vivons heureux, vivons riche ! Un renversement de tendance. L’argent ferait donc finalement le bonheur ? Sa religion envahit notre espace. Économie, publicité, consommation, notre vie est désormais liée à ce nouveau dieu tout puissant. L’espace public et laïque s’amenuise de jour en jour. A l’heure où les lobbies bruxellois convertis veulent ouvrir définitivement en grand les écoles et les hôpitaux aux multinationales de rentabilité et de productivité, le pouvoir temporel se laisse malmener par cette nouvelle religion qui va à l’encontre de nos principes républicains, s’ils ont encore un sens. Le nouvel ordre mondial, sans pitié, achète tout, soudoie tout, déforme tout, fait exploser une à une nos structures sociales et éducatives, rentre partout, au plus profond de nous...

L’entreprise privée, sous couvert d’un plein emploi aujourd’hui utopique, se permet tout, dogmatisant l’économie à tout va. Combien de milliards de pots de vin ? Combien de complicités financières ? Combien d’emplois supprimés sur une simple logique de profit ? Combien de misères pour qu’une poignée d’humains ait l’illusion d’un bonheur révélé, sans conscience, ni consistance ? Les notions de rentabilité ou de résultats partent en guerre contre le droit humain et le bien commun. Notre pays n’a jamais été aussi riche. Il n’y a jamais eu autant de détresses, physiques ou matérielles. Si la consommation fait le bonheur, c’est uniquement celui de quelques nantis perdus dans leurs citadelles.

La religion de l’argent, encensée par ces entreprises multinationales pétries de bonnes intentions pour tous et d’actions sonnantes et trébuchantes pour quelques uns, impose donc aujourd’hui à l’homme un nouveau dogme pour accéder au bonheur révélé. Le bon sens et l’avenir de nos enfants imposent de s’en libérer. Pour paraphraser Gambetta : « L’argent, voilà l’ennemi ! » Quelle capacité avons-nous de le ramener à l’état de moyen, pas celui de finalité ? C’est l’enjeu de cette lutte qui prend corps sous nos yeux, de plus en plus relayée vers ce nouveau support salvateur que représente « la toile ». La corruption gangrène l’Etat, la notion de bien public disparaît, les laïques sont devenus laïcs… Etat, lève-toi !

Aux mêmes causes, les mêmes effets ! Ne parlons plus seulement d’une loi sur la séparation de l’Église et de l’État, mais également de séparation de l’Entreprise et de l’État même si la question n’est plus de savoir si nous allons dans le mur ! Que nos élus républicains votent une loi ! Exit les multinationales du bien public ! Sortons les laboratoires pharmaceutiques des hôpitaux ! Interdisons nos écoles aux requins de la consommation ! Chassons de nos administrations le mercantilisme bruxellois des lobbies rapaces !

La difficulté n’est pas tant de voter cette loi que de redéfinir précisément le sens du mot public sous-jacent à la notion d’État. L’exercice n’est pas aussi simple qu’il y paraît, mais à travers deux principes majeurs, on peut d’ores et déjà en dessiner le périmètre. Tout d’abord, considérer les droits inaliénables de l’individu, comme la santé, le logement ou l’éducation. Ensuite, prendre également en considération les droits inaltérables de notre espace vital par une réappropriation commune de l’eau, de l’air et des énergies.

Le périmètre public déterminé, le cadre doit être formalisé, ferme, fondamental, gravé dans le marbre : fonds publics, utilisation publique, en n’oubliant bien évidemment pas de réaffirmer le socle républicain selon lequel la valeur d’une société ne se mesure pas à sa capacité qu’elle a de mettre en avant le plus fort, mais à celle qu’elle met en oeuvre pour s’occuper du plus faible.

Face aux droits inaliénables de l’individu et inaltérables de notre cadre de vie, vérité ou bonheur révélés ne sont que des leurres, des pièges au service d’intérêts très particuliers et très minoritaires. L’homme peut en sortir. Il est encore temps, même si la question n’est plus de savoir si nous allons dans le mur, mais à quelle vitesse nous allons le percuter. Sortons de cette spirale qui ne mène nulle part. Séparons à nouveau clairement les pouvoirs du privé et du public. Tournons le dos à cette hérésie humaine. Cette décision salutaire nous a valu près d’un siècle d’unité nationale. Elle nous ouvrira le champ d’un nouvel horizon. La condition humaine est fragile, mais établie. C’est celle de savoir lire, compter et écrire. C’est celle de la dignité et du respect de soi-même, de l’autre et de son cadre de vie. Mais, comme les religions, le dogme de l’argent se moque bien de ces considérations : consomme ou crève...

Et vous, dans tout cela ?

Très respectueusement,

Ollivier Ruca
o.ruca@laposte.net

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COMMENTAIRES  

30/03/2012 15:27 par babelouest

Séparer l’entreprise de l’État ! Une grande cause. Même les "républiques socialistes" ne s’y sont pas attardées. Pas suffisamment. C’est dire le défi que cela représente. Là est pourtant la solution aux maux qui gangrènent (à un stade avancé) tout le système où nous sommes plongés.

Il faut y réfléchir. L’enjeu est si grand, qu’a priori je ne sais même pas comment cela peut être abordé. Ensuite, plus avancé, ce sera peut-être plus facile, parce qu’un premier sillon aura été tracé.

31/03/2012 06:29 par Wango

Pourquoi pas une démocratie directe ? La démocratie représentative est fichue. Moi, je suis prêt à consacrer du temps et étudier des textes de loi. Quelques uns tous les ans, pépère. Si un imbécile peut le faire, je peux le faire.

31/03/2012 23:53 par Bonjour

Cet article est une bénédiction.

D’abord par le choix d’un thème philosophique, juridique et sociétal fondamental particulièrement opportun aujourd’hui.

Il s’agit d’une condition préalable pour trouver une solution à la crise que nous vivons, au moins aussi importante que la création de mécanismes pare-feu alambiqués.

On peut aussi parler de séparation des pouvoirs financiers (public et privé).
La question de la dette publique peut être résolue sous cet angle.

Ensuite par sa perspicacité, le débat est vaste. Que représentent la république ou l’Etat ? Mais l’article pose bien la question : quel est le périmètre ? On tombe immédiatement sur la notion de droit. Je trouve ce périmètre très bien ébauché d’ailleurs, non seulement celui des droits inaliénables de l’individu, la santé, le logement, l’enseignement, mais aussi notre espace vital, l’environnement et les ressources naturelles, les infrastructures et les biens publics ou la "res publica". On pourrait aussi ajouter la sécurité, aurons-nous toujours tous droit à la même sécurité ?

Enfin, ce cadre offre une possibilité de restaurer la confiance du citoyen dans la chose publique.

En effet, le citoyen sait que la corruption des mandataires est malheureusement inévitable car l’humain n’est pas parfait. Mais il maintient malgré tout sa confiance dans l’institution publique tant que celle-ci reste en place, porteuse de sa vocation publique. Il garde l’espoir que, sur cette base publique existante et garantie juridiquement, le droit triomphera.

A partir du moment où l’institution ou la propriété publique disparaît, ou perd sa finalité collective garantie par le droit, ou est transférée au privé, alors c’est plus grave, car le citoyen manque de repères, il ne sait plus à qui s’adresser, il se heurte aux intérêts et à la subjectivité de quelques particuliers, il perd la confiance dans l’Etat. La démocratie elle-même est touchée car elle perd l’adhésion de certains citoyens.

Félicitations Monsieur Ruca, j’espère que votre lettre recevra l’accueil et le suivi qu’elle mérite, non seulement auprès des candidats à la présidentielle, mais aussi de l’Assemblée Nationale et de l’ensemble des mandataires publics.

Tony Meuter

01/04/2012 10:49 par Christophe

Non mais arrêtez les gars, c’est quoi ce baratin pour militant d’Attac boutonneux, à la recherche de maîtres à penser.
C’est le genre de baratin dont raffole les élites oligarchiques. Sarkollande pourraient tenir ce genre de propos,

"La nouvelle religion qui s’affirme" n’est pas celle de l’argent, c’est celle du maintien des intérêts d’une petite clique. Il n’y a ici rien de nouveau.

Je vous conseille la lecture de «  La finance Imaginaire », où Geoffrey Geuns nous démontre que ce sont toujours les mêmes qui tirent les ficelles et qui profitent de ces bondieuserie altermondialistes à propos de mondialisation-globalisation, de «  marchés », qui sont autant de leurres pour dissimuler les ’habits neufs des vieilles familles’ ».
Ces gens-là ont bien compris que si le collectivisme ne convenait pas aux bouseux, ils pouvaient eux en faire un bon usage et s’entendre comme larrons pour continuer à nous rouler dans la farine. Si il y une classe sociale qui s’entend à merveille, c’est bien celle des privilégiés.
Ce qui nous ramène à la lutte des classes, la seule efficace, et que si nous ne perdions pas de temps dans des délires inutiles...

01/04/2012 11:03 par moi

Un article du GS comme on les aime...

01/04/2012 18:14 par une vieille chipie

A Christophe,

Il se pourrait que votre commentaire nous ramène plutôt à la guerre des sexes.

01/04/2012 21:38 par emcee

Je suis d’accord avec ce que dit Christophe.
D’abord, je préciserai que l’emprise de la religion est loin d’être de l’histoire ancienne, bien au contraire, et qu’elle se cache sous la notion-même de "laïcité" imposée aujourd’hui par une majorité de partis ou d’individus. Un dogme anti-laïque, justement, qui devient actuellement envahissant dans la sphère politique et qui consiste à s’ingérer de plus en plus dans la liberté de culte en condamnant arbitrairement certaines pratiques, à légiférer toujours plus contre une religion et à favoriser les autres. Comme on le voit dans les lois sectaires contre le port du foulard ou d’autres vêtements en relation avec la religion musulmane, dans l’allégeance croissante du gouvernement au pape ou de celle de toute la classe politique dominante au CRIF, etc.
Ce n’est pas anodin, puisque ces mesures sont destinées à cloisonner la société, à diviser les classes populaires de la même façon que le font les pouvoirs économiques.
Un dogme n’a pas chassé l’autre : ils se complètent (comme se complétaient, jadis, d’ailleurs, tous les pouvoirs) pour créer des divisions dans les classes populaires afin qu’elles ne se révoltent pas contre ceux qui tirent les ficelles mais contre leurs semblables.
Certes, aujourd’hui, ce sont les pouvoirs économiques qui dominent, car il y a eu un glissement de la religion - qui ne faisait plus recette auprès de la population et ne jouait donc plus suffisamment son rôle d’anesthésiant - vers le culte de la consommation. Il fallait bien trouver une façon pacifique de contrôler le peuple pendant qu’ils continuaient à le piller.
Mais tout cela n’est pas une grande découverte, cela dure depuis des décennies. Et nous en sommes même déjà à une autre phase, car, jamais rassasiés, ils sont en train de s’attaquer à ceux qu’ils protégeaient naguère, d’une certaine façon, pour avoir la paix sociale : les classes moyennes.
Quant à demander aux élus de légiférer pour « séparer l’entreprise de l’état », c’est, en effet, se faire plaisir à bon compte. Il n’y aura jamais suffisamment de bonnes volontés, et encore moins consensus, pour le faire. Si la loi de 1905 a pu être finalement adoptée, c’est qu’elle a été élaborée par des gens qui avaient des convictions, certes, mais qui en seraient également les bénéficiaires.
C’est en effet au peuple de se révolter contre le système : on ne peut rien déléguer à personne.

@ vieille chipie
«  Il se pourrait que votre commentaire nous ramène plutôt à la guerre des sexes  »
Ah bon ? C’était juste pour dire quelque chose ou vous avez une explication cohérente à donner ?

03/04/2012 16:24 par Bonjour

@ Christophe ou Emcee

D’accord, cet article peut paraître abstrait ou philosophique.

Il concerne cependant des enjeux fondamentaux.

Je peux vous garantir que cette argumentation ne provient pas d’une oligarchie.

Pour vous donner un exemple d’application concrète, cet article pose les bases d’une réflexion concernant la répartition public / privé. Le "périmètre".

Il pose la question de la défense du service public, dont la protection sociale, la santé, l’enseignement, les retraites, etc. Il faut savoir que par sa fonction redistributive, la protection sociale réduit les inégalités socio-économiques.

A l’opposé, pour des idéologues politiques comme Thatcher ou Reagan, le rôle de l’Etat et de l’administration publique doit être réduit au strict minimum : par exemple à la sécurité et à la défense et à une fiscalité minimale. Ce second modèle où la protection sociale est pratiquement inexistante est la structure type d’une société inégalitaire.

Je vous suggère d’observer les périmètres publics ou privés dont parle l’auteur.

Vous constaterez une progression fulgurante de l’oligarchie financière au sein de l’Etat et de secteurs traditionnellement publics.

En un mot, les privatisations sont-elles justifiées ou non ?

Ce sont des choix de société fondamentaux, qui malheureusement ne sont pas énoncés clairement dans les programmes et les débats électoraux, parfois déguisés en shows spectacles médiatiques. Cela n’aide pas les électeurs à faire leurs choix.

Si vous avez une question, n’ hésitez pas.

05/04/2012 01:22 par Bonjour

Je tente une autre interprétation :

A l’image de la Loi de 1905 sur la séparation entre l’Eglise et l’Etat,

Il serait utile d’avoir une loi sur la séparation entre le secteur privé et l’Etat.

Parce que :
 le patrimoine de l’Etat, fruit de la contribution des citoyens pendant plusieurs siècles, passe progressivement aux mains du privé (un inventaire des biens cédés serait utile)
 l’Etat, à cause de l’obligation de se financer sur les marchés financiers, devient dépendant financièrement du secteur privé.
 l’Etat, tributaire financièrement du secteur privé, perd son indépendance de décision, ce qui menace l’essence de l’esprit démocratique

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