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Pour une autre répartition des richesses : interview de Thierry Lepaon

Voici le texte du propos liminaire de Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT lors de la conférence de presse du 18 novembre 2013.

Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à notre invitation, 10 jours après une réunion très importante de notre Comité confédéral national (CCN) qui s’est tenu les 6 et 7 novembre. Nos organisations ont pris des décisions importantes qui vont structurer la posture et l’activité de la CGT dans les mois qui viennent. Je vais vous détailler ces décisions, mais avant cela, permettez-moi de qualifier la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.

Le premier constat que font nos syndicats est que la situation est dure pour les salariés. Elle est inacceptable. 79% des français déclarent avoir des difficultés pour boucler leurs fins de mois. 70% des salariés estiment que les conditions pour bien faire leur travail ne sont pas réunies. Depuis un an, nous en sommes à 1000 plans sociaux, sans compter les annonces de restructurations, de dépôts de bilan ou de mises en redressement judiciaire. C’est autant de capacités de production et de leviers de relance économique qui sont détruits. Certains experts chiffrent à au moins 150 000 le nombre d’emplois menacés dans les mois qui viennent.

La multiplication des recours à la loi dite de sécurisation de l’emploi ne permet pas, comme son nom l’indique, de sécuriser l’emploi, mais la plupart du temps d’accompagner les suppressions d’emplois par des sacrifices sur les salaires ou les conditions de travail. À peine votée, cette loi est déjà disqualifiée dans sa mise en œuvre, et ses objectifs.
Parallèlement à cela, on assiste à un recul des missions de service public et de la présence de l’État au sens noble du terme, c’est-à-dire au sens de l’organisation de notre « vivre ensemble ». Il est donc normal que dans cette période, il y ait trois mots qui reviennent : il y a une forme de désespoir et notamment parmi les salariés, il y a une forme de colère dont on a du mal à maîtriser parfois le sens, et il y a surtout beaucoup d’incompréhension.
C’est aussi le constat que viennent de dresser les préfets dans les territoires. Il faut dire que la situation a de quoi semer la confusion dans la tête des salariés. En Bretagne, le patronat appelle les salariés à défiler bras dessus, bras dessous avec les employeurs qui vont les licencier le lendemain matin. À Bercy, le Ministre de l’Économie lui-même, sous pression du patronat, lance la campagne d’un ras le bol fiscal sur la base d’un « ressenti », au mépris de données objectives et de références internationales. A cela s’ajoute ce qui se passe dans le commerce sur la question du travail du dimanche et des horaires atypiques, qui sert de prétexte pour chercher à opposer les salariés avec les organisations syndicales qui les représentent et notamment la CGT.
Sans attendre le rapport confié par le gouvernement à Jean-Claude Bailly sur le travail du dimanche, les députés de droite viennent de prendre l’initiative de remettre en cause la protection des salariés vis-à-vis du travail de nuit. Je vous rappelle quelques résultats de la représentativité de la CGT aux dernières élections professionnelles dans le secteur du commerce : chez Lapeyre : 39.5%, chez Bricorama : 41%, chez Amazon : 39.9%, chez Monoprix 51%. Cela n’empêche pas quelques journalistes de percevoir une CGT isolée.

La perspective du chômage, bien réelle celle-là, fait peur et conduit les salariés à rechercher des solutions individuelles et à se replier sur eux- mêmes. Le sens du syndicalisme est de remettre du collectif et de la solidarité entre les salariés. En particulier, nous n’accepterons pas que les salariés déplacés travaillant en France ne puissent pas bénéficier des droits et garanties sociales de notre pays.
C’est donc à nous d’aller à leur rencontre. Nous allons être aux côtés des salariés de façon concrète.
Dans une lettre à ses organisations, Pierre Gattaz vient de lancer une grande campagne sur la nécessité de baisser le coût du travail et d’engager une véritable dynamique de diminution des dépenses publiques, conditions indispensables selon lui pour créer 1 million d’emplois en 5 ans. Le MEDEF confirme donc clairement son intention de prendre la main sur le social pour faire entrer les salariés dans une nouvelle adaptation régressive.
Face à cela, il faut que chacun prenne ses responsabilités, à la fois sur le terrain idéologique, et sur le terrain de l’action. Si Pierre Gattaz a décidé de mener cette campagne idéologique maintenant, c’est parce qu’il considère que la situation le lui permet, du point de vue social, économique et politique.

La CGT a l’intention d’être offensive :

  • pour permettre aux salariés de construire une explication cohérente à la situation qui leur est faite,
  • pour livrer des propositions pour en sortir,
  • pour leur donner des perspectives pour agir.

Au sortir de la dernière conférence sociale, dans laquelle ni les salaires ni l’emploi n’ont été abordés, nous avons appelé les salariés à faire irruption sur le terrain social pour qu’ils s’occupent de leurs affaires et de leurs intérêts. L’intervention des salariés est d’une absolue nécessité. Non, ce ne sont pas le coût du travail ou les impôts qui empêchent le développement des entreprises.
Les principales raisons des difficultés des entreprises, ce sont avant tout le manque d’investissements et de budgets de recherche, l’insuffisante rémunération des qualifications et la ponction financière des actionnaires. Le rôle des banques dans l’accès au crédit est également posé, de même que le rapport entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants.
En Europe, l’Allemagne et l’Espagne nous montrent les exemples à ne pas suivre en matière de baisse du coût du travail. En Allemagne, la pression sur les salaires dans le commerce et les services conduit à ce que plus de 20% des salariés aient un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Elle conduit aussi les syndicats allemands à exiger la mise en place d’un salaire minimum, revendication qui a été au centre des enjeux des dernières élections politiques dans ce pays. En Espagne, la très forte déflation salariale conduit à l’appauvrissement du pays avec plus de 50% des jeunes au chômage et l’expatriation des diplômés.
Le 7 novembre, la CES a rendu publiques ses propositions pour l’investissement, une croissance durable et des emplois de qualité. Votées à l’unanimité de ses organisations, ces propositions ouvrent des portes pour une autre voie pour l’Europe. C’est un point d’appui pour tous les salariés en Europe.
L’engagement des organisations syndicales françaises et allemandes avec la CES pour faire de l’emploi des jeunes une priorité nationale et européenne est aussi porteur d’espoir.
Dans sa lettre, Pierre Gattaz indique que ce sont les entreprises qui créent les richesses en omettant de dire que dans l’entreprise, c’est le travail qui crée les richesses. Le problème des entreprises, ce n’est pas le coût du travail, mais c’est la sous-valorisation du travail, de sa reconnaissance et de sa rémunération. D’ailleurs, 90% des salariés pensent que le fait d’avoir les moyens de bien travailler est un facteur d’efficacité pour les entreprises.
La sortie de crise passe par la revalorisation du travail et une autre répartition des richesses créées par le travail.

J’ai demandé depuis plusieurs mois déjà au président de la République, d’organiser un débat contradictoire sur la répartition des richesses créées par le travail : quelle part va à la rémunération du travail, quelle part va à l’investissement, quelle part va à la rémunération du capital, quelle part va au financement des politiques d’intérêt général via l’impôt.
Cette question, qui fut mon premier acte de Secrétaire général de la CGT, et notre demande au président de la République, reste d’actualité. Nous considérons que c’est un problème qu’il n’y ait plus, dans notre pays, de lieu de confrontation des points de vue et des alternatives possibles sur la place respective du travail et celle du capital. Cet enjeu devrait être au centre de la démocratie sociale.

Nous allons donc lancer ce débat. D’ailleurs celui-ci a déjà lieu comme je viens de le dire avec la campagne lancée par Gattaz, mais il ne dit pas son nom. Nous allons mettre un nom sur les choses et permettre aux salariés de se les approprier pour pouvoir intervenir.

Notre plan de travail va s’articuler autour de plusieurs campagnes revendicatives, d’éléments de compréhension de la situation, et de moyens d’actions. Les campagnes revendicatives vont porter sur les salaires, le travail, l’emploi, les services publics, la protection sociale. Et nous allons décliner concrètement les pistes permettant de répondre à ces revendications en matière de financement et de démocratie sociale. Concernant le débat sur l’impôt, nous avons des propositions pour une réforme de la fiscalité permettant d’allier justice sociale et financement des politiques et missions publiques.

Courant 2014, nous allons tenir un colloque sur le coût du capital avec des économistes. Mohammed Oussedik y reviendra plus en détail. Nous demandons au gouvernement la mise en place d’un groupe de travail sous l’égide du Conseil National de l’Information Statistique (CNIS) pour élaborer un indice du coût du capital, permettant de définir l’impact de la financiarisation sur le développement des entreprises, de l’emploi, des salaires, de la protection sociale et des services publics. Notons qu’il existe aujourd’hui un indice du coût du travail, mais pas d’indice du coût du capital.
C’est ce qui permet au patronat de masquer les responsabilités sur l’origine de la crise dans laquelle nous sommes. C’est ce qui permet de culpabiliser les salariés sur leurs exigences salariales.

Sur le plan de la mobilisation des salariés, nous avons décidé le principe d’une grande journée d’action au début de l’année 2014 ; une journée d’action pour contester les orientations sociales régressives et faire des propositions portant sur l’augmentation des salaires et l’emploi.

À plus court terme, nous allons continuer d’agir pour obtenir une autre réforme des retraites. Demain 19 novembre, un certain nombre d’initiatives sont prévues auprès des députés afin de leur redire notre opposition au contenu de la réforme qui va arriver en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Samedi 23 novembre, après le choc de clarification provoqué par la CGT le 2 novembre à Carhaix, 7 organisations syndicales appellent à la mobilisation dans les 4 départements bretons. J’y serai. Et lors du vote de la loi, autour du 26 novembre, nous prendrons des initiatives en direction du gouvernement et de ses représentants en région, et une initiative nationale devant les portes de l’Assemblée nationale.

Comme vous le voyez, nous allons prendre nos responsabilités dans la période qui s’ouvre, mais nous allons demander aussi au gouvernement et au patronat de prendre les leurs. La décision du gouvernement de proposer une réforme des retraites régressive pour le monde du travail alors qu’il a été élu sur des promesses de prise en compte des questions sociales est de ce point de vue d’une grande irresponsabilité politique.
Le contenu de cette réforme est un marqueur de la politique gouvernementale en faveur du patronat et du monde de la finance. C’est aussi cela qui contribue à rendre la politique gouvernementale insaisissable pour les salariés et les retraités qui ont majoritairement élu ce gouvernement parce qu’ils attendaient un changement en faveur du monde du travail.

Cette posture gouvernementale est porteuse de dangers. Elle permet aux idées populistes de faire leur chemin en désignant des boucs émissaires. Les formations politiques d’extrême droite qui sont le vecteur de cette idéologie trouveront la CGT en travers du chemin.

Les autres organisations syndicales vont aussi devoir se positionner. Le syndicalisme est interpellé par la situation inédite dans laquelle nous nous trouvons. Comment les salariés peuvent-ils comprendre que le syndicalisme ne soit pas uni sur un socle commun de revendications et d’objectifs de progrès social ?
J’observe que dans certaines filières professionnelles, sur certaines thématiques mais également dans bon nombre d’entreprises et même au niveau européen, cette unité syndicale est possible. Elle permet des luttes gagnantes dans les entreprises. Les 7 organisations syndicales présentes dans la fonction publique viennent de signer une déclaration commune invitant les agents de la fonction publique à se mobiliser dans la semaine du 9 au 13 décembre. Les 7 organisations s’engagent à faire échec à la baisse du pouvoir d’achat de tous les agents de la fonction publique.

Cet exemple montre d’une part la très forte sensibilité des salariés, du public comme du privé sur la question des salaires mais aussi les potentialités de rassemblement du syndicalisme sur les grandes questions qui préoccupent les salariés.
La CGT continuera à œuvrer dans ce sens.

»» http://www.cgt-fapt.fr/Pour-une-autre-repartition-des,2700
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