Stefan Zweig se suicide en exil, au Brésil, en 1941. En 1916, effrayé par la Première Guerre mondiale qui oppose des pays pour lui amis, il écrit Jérémie, une tragédie dans laquelle il clame son refus du militarisme.
Sa vie durant, Zweig eut la prescience de sa mort tragique et de son exil.
Zweig avait placé dans la bouche de ses personnages cette lugubre prémonition : « […] au long de l’infini des routes de souffrance, nous sommes éternellement les éternels vaincus, esclaves du foyer dont nous sommes les hôtes. » Comment en effet, cet athée – à tout le moins agnostique – cet homme totalement étranger à la synagogue, cet Autrichien qui, contrairement à son ami Einstein, n’avait que faire du sionisme et de la création d’un État juif, avait-il écrit, vingt ans avant la politique d’anéantissement des Juifs, sa compassion pour les malheurs à venir d’un peuple dont il ne s’estimait en conscience nullement partie prenante ?
Donc il nous faudra vivre au vaste exil du monde,
Rompre et manger le pain qu’anront salé nos larmes,
Il faudra nous asseoir aux escabeaux de honte,
Au foyer de l’ennemi dormir un somme d’angoisse.
[…]
Il nous faudra boire à des eaux lointaines,
Nos lèvres nostalgiques en brûleront d’amertume,
Des arbres nous verseront leurs ombres inconnues,
Et le vent se fera la voix de nos angoisses.
[…]
Nous irons par des routes étrangères,
Le vent nous poussera de pays en pays,
Les peuples nous arracheront patrie après patrie,
Sans laisser nos sandales adhérer à la terre.
(Trd. : Louis-Charles Baudouin)