« Si l’on examine le FMI comme si son objectif était de servir les intérêts de la communauté financière, on trouve un sens à des actes qui, sans cela, paraîtraient contradictoires et intellectuellement incohérents. »
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, La grande désillusion (2002).
Les grandes puissances contrôlent le FMI dès sa création
Le FMI, tout comme son institution jumelle la Banque mondiale, est né à Bretton Woods (Etats-Unis) en juillet 1944. Aujourd’hui, 186 pays sont membres de ces deux organisations qui siègent à deux pas l’une de l’autre, près de la Maison Blanche à Washington. Mais le voisinage n’est pas uniquement géographique, il est aussi idéologique : elles promeuvent toutes les deux le fameux Consensus de Washington |1| dont les dix commandements sont prescrits aux pays surendettés à travers les plans d’ajustement structurel en contrepartie de nouveaux prêts. Le fonctionnent selon la règle « 1 dollar = 1 voix » permet aux pays riches de contrôler ces deux puissantes institutions, notamment les Etats-Unis qui à eux seuls disposent d’une minorité de blocage. En ce qui concerne le FMI, une règle tacite veut que le poste de directeur général élu pour cinq ans soit réservé à un Européen, tandis que celui de directeur général adjoint le soit à un Etats-Unien.
1982 : la crise de la dette éclate
Le 20 août 1982, le Mexique est le premier d’une longue liste de pays en développement à ne plus pouvoir rembourser une dette devenue colossale : la crise de la dette éclate. Le FMI entre alors en scène comme prêteur en dernier ressort et, tel un pompier pyromane, distribue ses prêts afin d’aider les pays en situation d’insolvabilité, non pas à sauver leur population surendettée mais à rembourser en priorité les créanciers. Ces prêts sont conditionnés à un programme d’ajustement structurel qui impose des mesures structurelles et des mesures de choc : privatisations massives ; libéralisation de l’économie et ouverture des marchés ; réduction drastique des budgets sociaux ; suppression des subventions aux produits de base ; développement des monocultures d’exportation au détriment des cultures vivrières ; hausse des taux d’intérêt pour attirer les capitaux… Comme le pronostiquait déjà Michel Camdessus, directeur général du FMI de 1987 à 2000 : « Toutes les entraves à la libéralisation du commerce seront supprimées, laissant les entreprises libres de produire et d’exporter leurs produits comme elles le souhaitent et comme le marché décide. »
Les pays concernés s’endettent à nouveau pour assurer les remboursements des anciens prêts, mais cette fois à taux élevé… Le mécanisme subtil d’un néocolonialisme économique s’installe dans la durée : le service de la dette vient engraisser les créanciers et les politiques mises en place dans les pays sous accord avec le FMI passent sous contrôle de Washington. Il n’y a plus de souveraineté : les institutions financières internationales imposent les volontés des créanciers et ouvrent la voie aux multinationales dont la plupart siègent au Nord, dans les pays pilotant en fait le FMI. Pour démontrer l’omnipotence du FMI, rappelons que le président brésilien Lula dut signer un courrier l’engageant à respecter les accords passés entre le Brésil et le FMI avant son arrivée au pouvoir en 2002 : sa politique économique devait donc suivre les préceptes très discutables du FMI. La poursuite de l’austérité budgétaire avait été décidée jusqu’en 2005 lors de l’accord conclu avec son prédécesseur, le président Cardoso, quel que soit le candidat élu en 2002.
Nombre de pays en développement qui étaient autosuffisants en produits alimentaires (tel Haïti avec le riz) au début des années 1980 importent aujourd’hui les denrées nécessaires à leur population. L’agriculture subventionnée des pays occidentaux a inondé les pays du Sud, ruinant des dizaines de milliers de familles paysannes et les chassant de leurs terres vers les bidonvilles. Le Sénégal doit importer la totalité des ingrédients du plat national, le Yassa poulet, et Haïti importe le riz qu’il cultivait autrefois en quantité suffisante pour nourrir sa population… Lorsque les spéculateurs se ruent sur ces produits à la bourse de Chicago comme on l’a vu en 2008, les prix de ces produits explosent sur les marchés locaux et des dizaines de pays connaissent des situations dramatiques de famine.
La contestation n’a cessé de s’amplifier
Conséquence directe de l’abandon des subventions aux produits de première nécessité imposée par le FMI, les oppositions à ses experts ultralibéraux se sont multipliées depuis un quart de siècle. Les « émeutes FMI » éclatent à intervalles réguliers au Sud. Citons l’exemple du Pérou en 1991 où le prix du pain est multiplié par 12 en une nuit, ou celui du Caracazo (3 jours d’émeutes occasionnant de nombreux morts) au Venezuela en 1989 suite à l’application d’un plan d’ajustement structurel…
Devant l’impopularité des conditions liées à ses prêts, plusieurs pays (Brésil, Argentine, Uruguay, Indonésie, Philippines, Turquie…) ont remboursé anticipativement leur dette envers le FMI au milieu des années 2000, afin de se débarrasser de sa tutelle encombrante. L’encours des crédits du FMI s’est effondré et, au printemps 2008, l’institution a été contrainte de se séparer de 380 de ses 2634 employés et de vendre une partie de son stock d’or. Par ailleurs, l’institution est confrontée à une grave crise de légitimité et les trois derniers directeurs du FMI ont démissionné avant la fin de leur mandat.
Le FMI et la crise
Suite au G20 de Londres du 2 avril 2009, le FMI a vu ses ressources tripler afin qu’il puisse multiplier ses prêts tous azimuts. Partout les conditions sont sévères : réduction ou gel des salaires de la fonction publique, réduction des pensions de retraite, privatisations des entreprises publiques, etc.
Une dizaine de pays d’Europe de l’Est ont ouvert une ligne de crédit avec le FMI en moins d’un an, une délégation du Fonds est attendue en Ukraine à la fin du mois de mars. Si la Lettonie veut continuer à recevoir les financements du FMI et de l’Union européenne, elle doit décider une réduction de 20% des salaires des fonctionnaires et de 10% des pensions de retraite. Ces politiques suscitent des réactions de la population qui descend dans la rue : grève générales se succèdent en Grèce, manifestations d’enseignants en Lettonie, de fonctionnaires en Roumanie, plus de 90 % des Islandais refusent par référendum de rembourser une dette jugée illégale...
John Lipsky, n°2 du FMI et ancien haut responsable de la banque JP Morgan, a prévenu les pays développés qu’ils doivent préparer leurs opinions publiques aux mesures d’austérité à venir, comme la baisse des allocations santé et retraite |2|. Si les peuples ne s’opposent pas farouchement et immédiatement aux exigences du FMI et des gouvernements du Nord au service des marchés financiers, d’importantes régressions sociales auront lieu et il est urgent de les empêcher.
Jérôme DUVAL
www.cadtm.org/Plus-que-jamais-les-diktats-du-FMI
|1| Lire Damien Millet et Eric Toussaint, 60 Questions 60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM-Syllepse, 2008.
|2| Reuters, 21 mars 2010.