La durée de la vie active et le mode de rémunération (la rémunération ne se réduit pas au salaire) ainsi que son montant, sont le résultat à un moment donné du rapport de forces entre les exploiteurs de la force de travail et ceux qui leur en vendent l’usage, c’est ce qui se constate avec acuité dans les jours présents.
Quand le capital, via le néolibéralisme, détruit les emplois, les précarise, réduit leur rémunération, mène une campagne idéologique massive contre le principe même de la retraite, de l’âge auquel on peut y accéder et du montant des pensions, et de leur constitution, il est doux de rêver que la retraite est une entrée dans une autre vie active.*
Ainsi peut-on croire que l’on a trouvé un argument pour contrer préventivement ceux qui voient dans la pension de retraite comme une rente parasitaire perçue de façon indue par des gens qui devraient encore travailler ; des fainéants improductifs au même titre que les chômeurs.
Il est cependant peu probable que cette argumentation convainque même les intéressés qui voient les choses d’un point de vue plus terre-à-terre sans doute : « À quel âge et combien je toucherai pour n’être ni usé avant, ni à la misère quand je n’aurai plus à pointer » pensent-ils communément ; mais qui se trouvent bien démunis face au patronat, à l’État organisateur de la rencontre, arbitre et partie, aux syndicats "réformistes", c’est-à-dire jaunes, et au manque de mobilisation résultant.
En théorie, le raisonnement contractuel sur la rémunération journalière de la force de travail que le salaire et le temps de repos doivent permettre de reconstituer se généralise à la rémunération et au repos pendant toute la durée de la vie du travailleur puisque, au moins pour lui sinon pour son employeur, sa vie ne se limite heureusement pas à sa période dite active :
« Je te vends l’usage de ma force de travail pour un temps donné de mon existence, dit le salarié à son exploiteur, en contrepartie d’un salaire puis d’une retraite ; et il lui redit ce qu’il pensait spontanément plus haut : ... retraite que je percevrai pour me maintenir en état, et non pas pour me retrouver usé, crevant de misère ou crevant tout court dès qu’une autre la remplacera ».
Et c’est bien ce qu’il a déjà réussi à faire au cours d’une longue histoire.
Les penseurs patentés peuvent alors ajouter la cerise sur le gâteau : que c’est une nouvelle vie encore plus active qui commence pour justifier, d’un point de vue "de gauche", cette oisiveté si criarde.
La réalité actuelle est tout autre : l’employeur n’est pas du tout persuadé par la finesse de l’argument mais surtout, il est soudain borné quand il s’agit de son profit. C’est pourquoi, le salarié peut même ajouter, sinon pour son patron mais pour que ses frères de labeur l’entendent :
« De même que le patron et le principe de l’exploitation sont éternels, la force de travail qu’il trouve miraculeusement toujours renouvelée sur le marché est éternelle. Quand je m’arrête de travailler, je suis toujours là : sous la forme de mes enfants qui me remplacent. Par conséquent ma retraite est la part de mon salaire différée qui est prélevée sur le salaire de mes enfants sous la forme de cotisations, comme j’ai cotisé pour mes père et mère. Rien ne t’est enlevé, patron, quand je cesse de travailler pour me reposer : c’est mon salaire seul, celui de l’éternelle force de travail, celle de mes père et mère, la mienne puis celle de mes enfants, dans une succession que tu crois sans fin, qui est à l’origine de ce que tu vis comme un scandale. »
Comme le patron ne s’en laisse pas conter, il entonne la rengaine sur « le coût du travail » et ses charges de cotisations patronales qui sont trop lourdes par rapport à la concurrence et qu’il faut réduire.
Le salarié reprend patiemment :
« Ces cotisations patronales sont la façade philanthropique de ton système. Tu pleures d’avoir à les sortir de ta poche alors que c’est une part de mon salaire que tu ne m’as pas versée en la gardant abusivement pour toi. L’état de nos forces quand nous avons signé le contrat que tu contestes aujourd’hui ne nous a pas permis, à nous salariés, de faire autrement que d’accepter cette rouerie purement comptable. D’ailleurs quand tu te crois finaud avec ton « coût du travail », tu vends à ton insu la mèche : c’est bien d’une part de mon salaire qu’il s’agit, salaire qui comprend non seulement de ce que tu me payes à la fin du mois, et sur lequel je cotise, mais les cotisations que tu as préalablement empochées pour pouvoir mieux pleurer en les restituant aux Caisses de retraite, et surtout pour pouvoir les rogner maintenant, c’est-à-dire me voler sur le prix de mon travail. »
Ce que nous disons aujourd’hui n’est possible que par ce qui a été arraché au moyen d’une lutte de deux siècles menée par le monde du travail, à la lumière de la théorie, sous le régime du capital : la question brûlante qui se pose aujourd’hui est bien de savoir qui va l’emporter, du travail auquel nous devons tout, ou du grand capital parasitaire depuis belle lurette.
Mauris Dwaabala
* Un salaire à vie. Pourquoi ? Bernard Friot
http://projet.pcf.fr/41389