Vous connaissez Roger Martin ? Oui ? Heu, bien ! Et votre beau-frère, il le connaît ? Ah ! Qu’est-ce que je disais ?
Je regarde Roger Martin signer dans un grand salon du livre de septembre, une sorte de librairie éphémère et géante où se pressent deux cents auteurs et la foule qui piétine et se bouscule dans les rayons. Les auteurs sont assis derrière leurs piles d’ouvrages. Cela se passe au « Village du livre » de la fête de l’Humanité. Cette année, j’étais non loin de Didier Porte que Philippe Val et Jean-Luc Hess ont viré de France Inter en juin 2010. La foule voulait lui parler, lui demander des nouvelles de Stéphane Guillon, lire une dédicace de sa main, lui jurer qu’elle n’achète plus Charlie-Hebdo et n’écoute plus France-Inter. Il était venu avec sa fille, une pré-ado qui buvait la gloire de son père et s’enchantait de le voir de si bonne humeur devant ses livres dont « Insupportable ! Chronique d’un licenciement bien mérité », ouvrage lestement bouclé fin juillet et hop, pesé emballé c’est sur l’étal (ce n’est pas une critique de Didier Porte, dont je suis solidaire, mais de l’édition épicière) !
Non loin de là , Roger Martin, un écrivain dont j’avais remarqué les années précédentes qu’il jouait du stylo debout. Vous pouvez regarder de son côté n’importe quand, il a toujours des lecteurs devant lui avec qui il parle, debout, de littérature (son pote Didier Daeninckx fait pareil, ils ont dû se concerter). De part et d’autre, le ton est sérieux et grande l’empathie.
Je m’amuse in petto de sentir chez Roger Martin le désir de retenir le lecteur pour parler et ses scrupules à faire attendre les autres qui espèrent une dédicace.
Alors, votre beauf, il ne le connaît pas ? Je me souviens que Bernard Pivot consacra une de ses émissions, « Apostrophes » à une seule invitée dont j’ai toujours douté du génie littéraire (Brigitte Bardot). Elle vendit un million d’exemplaires de son livre « Initiales BB ». Je déplorai en public qu’elle soit plus lue qu’un philosophe grec ou que Voltaire et Hugo réunis quand on m’objecta que j’avais tort. Ceux-là , sur la durée, sont lus cent fois plus, mille fois même, à travers le monde. Et cela continuera, alors que le bouquin signé BB sert déjà à caler les armoires bancales au pied cassé. En sera-t-il ainsi de cet ouvrage d’Alexis Carrel, eugéniste et nazi dont Roger Martin déplore qu’il ait été vendu à 400 000 exemplaires ? Le ventre est-il encore fécond dont giclent des lecteurs pour cette idéologie ?
A la libération, Roger Vailland, résistant, disait que, de Copenhague où il s’était réfugié, Louis-Ferdinand Céline « écrit des lettres d’injures aux écrivains qui ne « collaboraient » pas et un mauvais livre que tous les « collabos » achètent parce qu’il collabora ».
Roger Martin est de la lignée de ceux qui ne pratiquent pas l’indulgence envers le fascisme et envers nos intellectuels qui s’en approchent en ronronnant. Il cite une brochette de noms. Pas davantage il ne voudrait écrire des best-sellers de pacotille. Il produit de la littérature. Ses livres supportent l’épreuve du temps par lequel un auteur imprègne sa marque et s’impose à un lectorat, déjà important, fidélisé par le talent, et non pas par la dévotion béate pour une idole fabriquée par des médias de masse : « Je lui ai parlé, à Didier Porte, il est sympa. Je le voyais plus grand… ».
Chez les bouquinistes, il m’arrive de feuilleter les dernières pages des livres publiés naguère par les plus grands éditeurs. On y trouve la liste de leurs auteurs d’alors. Neuf sur dix ont disparu du paysage. Roger Martin écrit depuis un bon quart de siècle. Mon voisin l’a découvert alors qu’il n’avait pas encore cotisé ses 42 annuités, vos enfants chômeurs le liront dans 20 ans et vos petits-enfants aussi, à 67 ans, à la cantoche.
A cette capacité d’embrasser un lectorat hétéroclite et transgénérationnel, on mesure l’écrivain. A l’attitude du public devant lui, on pèse l’homme et sa profondeur humaine qui ajoute si souvent au talent.
Mais qu’est-ce qu’il écrit, qu’est-ce qu’il écrit ? J’y viens.
La palette est multicolore, que Roger Martin caresse de son pinceau pour faire jaillir de la page blanche romans, polars, essais, enquêtes, biographies. Plus, un roman jeunesse et de la BD (l’excellente série AmeriKKKa). Et sur LGS nous n’oublierons pas son « Dictionnaire iconoclaste des Etats-Unis » où perce son amour pour ce pays et sa détestation de ceux qui le pilotent comme un B 52.
Ici, un conseil que vous vous réjouirez ad vitam aeternam d’avoir suivi : allez voir le blog de Roger Martin :
http://roger.martin.ecrivain.pagesperso-orange.fr/Html/Acc.htm
Deux mots ici, si vous n’avez pas le temps : Roger Martin est né à Ronchin, mais c’est à Aix-en-Provence qu’il grandira, étudiera et engrangera un CAPES de Lettres modernes et un DEUG d’anglais. Installé ensuite à Carpentras, il se présente sous l’étiquette communiste aux cantonales (élu) législatives puis aux régionales contre l’extrême droite. Son combat de citoyen lui vaudra une belle agression physique et des procès. Roger Martin pense que, dans la lutte contre le fascisme d’hier et d’aujourd’hui, contre la ségrégation, contre l’injustice, l’auteur a le droit de se rappeler qu’il est aussi un citoyen et que les deux peuvent utilement s’épauler.
D’ailleurs Roger Martin se présente comme « Investigateur et auteur ». La carte de visite ne peut que séduire Le Grand Soir, « journal militant d’information alternative » qui se réjouit au passage d’être cité en page 359 de son dernier thriller : « Les Ombres du souvenir » (Le Cherche Midi Editeur).
« Les Ombres du souvenir ». Que dire de cet ouvrage que les critiques élogieuses n’ont déjà dit, (ou l’éditeur, pareillement élogieux) ?
Allez, en vrac : saisi aux tripes dès les premières lignes (évasion d’un adolescent, poursuite), un centre de réinsertion pour jeunes en difficulté, des drogués, prison pour femme, erreur judiciaire, suicides suspects d’une jeune femme et de ses deux frères en prison, un château gardé la nuit par des molosses et des vigiles, un lieutenant de gendarmerie qui ne passe pas son temps à nettoyer la racaille au karcher mais qui essaie de faire son métier au service de la population (Je répète : de la po-pu-la-tion), du suspense, Allain Leprest, Jean Ferrat qui meurt alors que le livre est en cours d’écriture, des loups, des DVD gerbants, la tentation pour une héroïne de « s’inscrire sur Facebook pour exposer sa vie à deux mille trois cent vingt-quatre amis qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam », une intrigue super bien nouée.
Auteur investigateur ?
Roger Martin mêle le vrai et le faux, imagine un peu, et rapporte des événements qui se sont vraiment produits, introduit dans son récit des personnages qu’on a dû voir quelque part.
C’est le mentir-vrai dont parlait Aragon, c’est ce que Zola appelait "la hautaine leçon du réel". On achète un polar, on nous parle du monde réel, un polar pourtant, mais connecté à la réalité contemporaine, politique, sociale, culturelle où l’auteur trouve des choses à redire.
Pas prudent, ça, coco. N’AIMENT PAS TROP, A TF1.
Il le sait, il le sait, Roger Martin, écrivain debout.
Maxime Vivas.
Roger Martin, « Les Ombres du souvenir », roman, septembre 2010, édition Le Cherche Midi, 362 pages, 18 euros.