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Pages grise… La trace du papillon s’est envolée… (Pensée pour Mahmoud Darwich)

Portrait de Mahmoud Darwich - Collage - Mustapha Boutadjine
- Où me mènes tu, père ?
- En direction du vent mon enfant […]
Un père dit à son fils : n’aies pas peur
N’aies pas peur du sifflement des balles
Adhère à la tourbe et tu seras sauf. Nous survivrons…
Mahmoud Darwich (1)

Il n’avait pas peur sur cette terre d’exil. Seulement l’impression d’entrer chaque matin sur une page de sa vie déjà écrite… L’encre n’était pas sienne…

Blanche encore, la page était pourtant grise du mot "FATAL’ déjà inscrite en haut de chacune, titre de l’ouvrage sans fin dont il ne pourrait s’extraire, sentait il, qu’en explosant la quatrième de couverture.

Dans le bouillonnement de sa tête les cicatrices d’enfance sont bercées par les mots du poète. Il voudrait bien s’extraire de la mélasse d’ici, changer de titre, changer de tome, d’éditeur, de genre… Mais il est dans la collection "Immigré’ dont on ne sort pas. Le titre le proclame, la croix est dressée.

Un rêve naissait accompagnant son pas, avec une odeur de figue et un vent tiède porteur de sable de là bas, pas loin des orangers accaparés désormais par des étrangers… Comme il aurait aimé pourtant écrire une page douce… / Arrêt brutal, "papiers’ ! Visière, casque noir, placage au sol et aux larmes. Un contrôle, un de plus et le poids déjà ressenti, connu, du ranger qui pétrit sadiquement la chair des reins sous les insultes. Sortie pourtant, pas assez vite peut être, la carte qui atteste du permis de séjour pas même irrégulier… S’envole le rêve ; ici la tourbe est béton… Même pas peur, père… Je rentre mes larmes, je ne pleurerai que le jour du bonheur au goût de là bas… Oui nous survivrons…

Nous survivrons, pensait il, pour ceux qui résistent. Pour les trois cent enfants assassinés de Gaza sous les bombes et le phosphore. Et pour leurs frères et soeurs qui rient parfois encore, d’être ensemble simplement. Ceux qui meurent savent que leurs assassins un jour repartiront. Sur cette terre ravagée le regard des enfants du bout de leurs yeux, tel un laser, plante sur l’occupant le mot "liberté’. Un regard fulgurant aussi vers ces tombes où ce sont les anciens souvent qui enterrent au soir un enfant qui s’était éveillé au matin sans savoir que c’était son jour et qu’un drone le choisirait. Sa pensée, au sol, lui permettait de voir les jambes de passants indifférents dont il savait qu’ils détournaient leur regard ; mais sa pensée était loin de ce boulevard l’instant d’avant paisible et qui le redeviendrait bientôt après ce non évènement d’un contrôle de police sans objet.

Puis la vomissure attendue est venue ; "lève toi ! File !...’ Se sont effacées les senteurs de là bas, recueillie près du sol une odeur de pisse, un chien sans doute, et de haine …

Un autre tourbillon envahissait sa tête. Sans même se retourner il pensait que ce n’est pas vivre que de tituber de page en page, n’être que le mauvais sujet d’un mauvais roman de "souchien’ comme ils disent, dont l’uniforme et l’arrogance autorisent le mépris…

Se bousculent alors dans son esprit toutes les mauvaises pensées possibles, comme des balles de ping pong rebondissant en tous sens dans son crâne. Des idées de violence, des idées de vengeance, de sang, de hurlement extrait de l’un de ces étrangers pris au hasard, casqué en mission ou passant indifférent, semblables en dégueulasserie…

Le mot "étranger’ pour les désigner lui était venu… Ils sont étrangers chez eux aussi se découvrait il à penser. Ils ne ressemblaient pas à l’image que le maître d’école enseignait en classe de Français à Jénine, lorsqu’il parlait de la patrie de Diderot et de Hugo et des flamboyants visionnaires qui ont fait rêver la planète... Ils ne sont pas, c’est sur, les fils ou petits fils de ceux qui ont rédigé "La Déclaration’, collée au mur miteux de la classe à coté de la fenêtre aux vitres brisées, qui laissait entrer la douce misère de la palmeraie voisine et dénonçait la colonie sur la colline d’en face. Cette France là bas enseignée prenait avec le maître des couleurs d’espoir qu’aucun peintre n’avait su inventer. Ils ne pouvaient pas être nés ici, ceux là qui venaient de l’humilier encore… Ou bien c’était le maître qui avait menti … ?

Ces idées, il les chassait comme une blessure, comme un mauvais problème auquel on sait ne pas avoir de réponse. Il les chasse parce que l’Imam aussi dans son prêche vendredi, rappelait que les hommes sont frères, tous les hommes… Qu’il leur faut pour l’Aïd recevoir l’inconnu et donner une part au pauvre qui passe ce jour là … Qu’il faut louer Dieu qui lui ne demande ses papiers à personne… Mais si l’Imam comme l’instituteur, se trompait … ?

Est il un Peuple, pensait il, qui n’aurait pas le droit de vivre debout ? Qui devrait accepter un destin "fatal’ ? Entre école et mosquée il avait lu aussi Césaire et Fanon, et même le Che… Ne parlaient ils pas aussi pour lui et pour son peuple ? Un doute lui venait sur son existence même… Ils sont si nombreux ces négationnistes de l’existence de la Palestine qu’ils ont peut être raison ? Et si je n’étais que le rêve de moi-même songeait il ? Comme un fantôme aux yeux des autres. Déjà mort peut être et seulement spectre hantant la mémoire et réveillant la culpabilité de tous ceux qui ont accompli ou toléré la Nakba ? Je n’ai rien vu à Hiroshima, ni à Deir Yassin, ni à Jénine ni à Sabra et Chatila, ni à Gaza serait un bon titre … Non ? S’il était à leur place lui aussi peut être détesterait le spectre, comme on déteste toujours les survivants de ses crimes… Et si c’était moi qui me trompait moi-même pensa t-il un instant… ?

Dans l’arrière fond de son crâne a ricané alors un barbu salafiste croisé à plusieurs reprises… Jamais fatigué de tenter détruire les mots enseignés par son père, son instituteur, son Imam, sa conscience. Ce matin vulnérable où il se relevait d’avoir sucé la poussière en guise de bienvenue dans ce pays de France il lui était plus dur encore de chasser le prêcheur de haine de sa meurtrissure pensante…

Il savait seulement avoir écrit deux nouvelles pages, 222 et 223, le jour et le lendemain de la mort du poète, d’une vie qu’il n’avait pas choisie…’Fatal’… Il est gros comment le volume ? C’est quand la fin ?

Reviens prof ! Dis moi à quoi m’a servi apprendre lire écrire et penser, si c’est pour devoir subir pleurer et me taire ? Reviens prof ! Dis moi si j’ai bien fait de voter pour la première fois pour les chefs des casqués aux rangers cloutés qui m’ont jeté à terre ?
Dis moi Imam, si mon dos broyé et mes poignets tordus seront soulagés si je m’incline encore sur le tapis pour la prière ? Dis moi Imam si Dieu veut cela, dis moi ce qu’en pense le Prophète ? Et ne te tais pas Imam sinon je n’entendrai que la voix du barbu qui m’invite à une haine vengeresse que ni toi, ni mon père ni mon instituteur ne m’ont enseigné… Dis moi, dis moi…

Dites moi, si pour sortir du livre écrit par d’autres, je dois me jeter dans la Seine rejoindre mes frères du 17 octobre 1961 ? Ou prendre des leçons de pilotage ? Ou commettre moi aussi des crimes comme Mohammed de Toulouse pour qu’une rafale ponctue d’une trentaine d’impacts le mot "fin’ ? Dites moi ? Dis moi ma douce mère si ton sanglot est égal au mien ? Dis moi Leila mon aimée si c’est à cause du mot "fatal’ inscrit sur ma peau et coulant dans mes veines que tu t’es écartée de moi ? Dites moi ?

Et toi, l’autre sans nom, qui dans la page d’après crache déjà ta haine sur un autre de mes frères, sais tu que je te ressemble peut être ? Dans ta violence, je le sentais, tu défoulais tes désirs frustrés et tes peurs. Pour endosser un si laid uniforme, dis moi, aimes tu tes maîtres ? Aimes tu ceux qui t’enseignent la haine ? Veux tu que je te le dise ? Veux tu entendre cela de moi que tu as jeté au sol ?

Je sais que tu n’es pas né ainsi. Je sais que ta mère devait avoir les mêmes gestes que la mienne. Je sais que tu aurais honte de tout lui raconter. Ton maître t’enseignait les mêmes mots que le mien, ton prêtre te parlait aussi d’un seul Dieu de miséricorde et de partage et, si ta peau est plus pale que la mienne, je veux bien te prêter mon soleil, mais enlève ton casque… Ta burqa blindée…

Il pensait tout cela, et tout ce que Houria avait si magnifiquement et courageusement déclaré au lendemain de la tuerie (2). On ne naît pas avec le racisme, la haine, le sionisme ou l’intégrisme dans le sang… De cela il était certain. Que s’est il passé aurait il voulu rajouter, pour que toi aussi qui m’a jeté au sol, tu ne saches dire "non’ ?
Que se passe t-il pour que de page en page tu acceptes d’écrire ma vie à ma place dans ce "fatal’ aussi étanche qu’un tombeau ? Quel éditeur t’a passé commande de l’ouvrage ? Qui sont tes vrais maîtres ? Pourquoi te laisse tu déposséder de ton humanité semblable à la mienne ?

Sais tu ? Moi je connais un poète, il s’appelait Mahmoud Darwich… Oui je sais c’est un arabe… Il aurait su mieux que moi te dire la trace des papillons, le bleu du ciel, le goût du café au matin… Et qu’un soldat peut rêver de lys blanc… Et bien d’autres paroles passagères qui font la Paix des hommes…

Au matin son esprit s’envolait bercé par le poète, au soir de la page humiliée il y retournerait… Les papillons s’en sont allés, d’autres reviendront… (3)

Pour l’heure encore c’était dur. D’où vient l’envie de vomir quand l’estomac est pourtant creux ? Qu’ais je fais de ce jour qui ressemble à d’autres jours d’avant et d’après sûrement ? Où allais je en rêvant ce matin avant de croiser le bitume, vers quel réel ? … Ah oui, c’est vrai… Attendu sur ce chantier pour une embauche peut être … C’est pas gagné avec le retard, avec mon devant immaculé à l’aube et souillé de poussières, avec mon derrière déchiré par le talon clouté… Non ce n’est pas gagné avec ma tête qui retient toutes les tornades de la terre… C’est pas gagné…

Jacques Richaud 6 novembre 2012

(1) La trace du papillon, est le titre d’un poème et recueil de Mahmoud Darwich (Acte Sud 2009). Nous sommes à trois ans du décès le samedi 9 août 2009 de ce Palestinien bien plus grand par ses mots que l’étroite terre qui le vit naître en 1941 à Birwa désormais occupée.

Lors de sa disparition "Libé’ sut trouver la manière de l’infamie, qui me donna l’occasion de publier ceci :

12 août 2008- HONTE A « LIBERATION » !…MAHMOUD DARWICH ENTERRE SOUS LA RUBRIQUE ’VARIETE’ Jacques RICHAUD http://www.legrandsoir.info/HONTE-A-LIBERATION-MAHMOUD-DARWICH-ENTERRE-SOUS-LA-RUBRIQUE.html

(2) Printemps des quartiers : A voir et écouter la vidéo de l’intervention de Houria Boutedja : Houria Bouteldja : Assemblée publique du Printemps des quartiers
http://www.youtube.com/watch?v=PuKe6d3Vl6Y&feature=player_embedded#!

Et : Mohamed Merah et moi par Houria Boutedja http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=1637 )

(3) Trois ans après sa mort, la ville de Toulouse lui rend un hommage sous des formes multiples du 6 au 15 novembre 2012 : Le bleu du ciel et le sable de la mémoire. http://www.toulouse-tourisme.com/offre/fiche/fetes-et-manifestations/le-bleu-du-ciel-et-le-sable-de-la-memoire-mahmoud-darwich-dans-les-pas-d-un-poete/FMAMID031V502R9U

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La convention qui rédigea la Constitution des Etats-Unis était composée de 55 membres. Une majorité d’entre eux étaient des avocats - pas un seul fermier, ouvrier ou paysan. 40 possédaient du Revolutionary Scrip [monnaie émise pour contrer la monnaie coloniale]. 14 étaient des spéculateurs de terrains. 24 étaient des prêteurs. 11 étaient des marchands. 15 possédaient des esclaves. Ils ont crée une Constitution qui protège les droits de propriété, pas les droits de l’homme.

Senateur Richard Pettigrew - "Plutocratie Triomphante" (1922)

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