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Oriana Fallaci, conformiste dans le cercle des coléreux - il manifesto.





Il manifesto, 16 septembre 2006.


Peut-être Oriana Fallaci est-elle arrivée à éprouver la dernière satisfaction d’une vie qui n’a certes pas lésiné avec elle en reconnaissances, c’est-à -dire voir le pontife romain Benoît XVI lui donner raison et attaquer l’Islam avec une rare violence : il y a deux ans seulement, dans son livre « La force de la raison », Fallaci avait en effet reproché à Karol Wotjyla son ouverture vers les arabes. Ces arabes qui « se multiplient comme des rats » et qui « envahissent l’Europe », désormais « Eurabie ». Fallaci a été l’écrivaine italienne la plus célèbre au monde : les destins de nos compatriotes à l’étranger ne sont pas vraiment flatteurs : au 19ème siècle, l’intellectuel italien le plus connu au niveau international était Cesare Lombroso, et l’italien dont on se souvint le plus au 20ème est Francesco Forgione, alias Padre Pio . En juin, le très tendance hebdomadaire The New Yorker a dédié à Fallaci un portrait, « The Agitator », de 22 pages. Ses livres sont traduits en une quarantaine de langues.

Et en réalité, Fallaci a été un témoin (criard) de son époque. La meilleure part de sa production est constituée des interviews qu’elle a faites aux puissants de la terre, réalisées entre les années 60 et 80, avec « un style coup de poing » (New Yorker) : Yasser Arafat, Ali Bhutto, Deng Xiaoping, Henry Kissinger étaient « sa collection de scalps : Fallaci n’a jamais pris congé d’un des ses interlocuteurs sans l’avoir dépouillé » (idem).

Mais il y a un second sens qui montre de quelle manière elle a servi de papier de tournesol de son époque : c’est son conformisme. Elle n’a pas tant été une girouette, comme certains pourraient l’en accuser, que quelqu’un qui a toujours eu du flair. Dans les années 60, Fallaci était critique sur la guerre étasunienne au Vietnam. A l’attaque des années 70, elle s’oppose aux colonels grecs : elle a une histoire d’amour avec Alekos Panagulis, condamné à mort puis exilé, et elle écrit, sur lui, le livre « Un homme » (1979). Quand le débat sur l’avortement faisait rage en Italie, elle écrit le roman « Lettre à un enfant jamais né », qui sera un best-seller international. En 83, elle s’apitoie aussi sur les victimes libanaises dans « Inchallah » (2800 pages). Après le 11 septembre, sa pitié ne trouvera plus aucune place pour les arabes. Dans un interminable verbiage elle lance depuis les colonnes du Corriere della Sera, le hululement qui l’a définitivement projetée sur la scène internationale comme une Cassandre possédée de la civilisation européenne. Ici aussi, elle interprète les humeurs profondes de l’Italie un peu leghiste (Ligue du Nord, ndt), un peu chrétienne. Dans une interview à Playboy, elle dit que les gays « se déhanchent et remuent la queue », exactement comme les ministres de la Lega parlent de « pédales ». Et, comme les gens de la Lega, elle fait une fixation sur l’appareil uro-génital : les musulmans somaliens « laissent des traces jaunes, d’urine, sur la marbre, en profanant la cathédrale de Florence » : elle parle encore d’urine immigrée à propos de la Place Saint Marc, et redoute le jour où les musulmans « cagueront dans la Chapelle Sixtine ». Hurlant à pleine voix des opinions conformes, Fallaci est arrivée, justement par sa vulgarité, à les exposer de façon si excessive qu’elle ait l’air d’être à contre courant. S’il avait dû lui trouver une place dans l’Enfer, le plus célèbre de ses concitoyens l’aurait condamnée dans le Cercle des coléreux (5ème cercle, Chant VII et suivants, Divine Comédie, ndt). Son rapport au Mexique est le meilleur exemple de sa courbe de vie : en 1968, elle était emprisonnée avec les étudiants qui protestaient contre le gouvernement ; en 2006, le rappel des angoisses qu’elle avait eues dans ces prisons se réduit à pur racisme anti-immigrés mexicains aux Usa.

Avant de mourir, Fallaci voulait dessiner une caricature humoristique sur Mahomet septuagénaire avec ses neuf femmes, dont une fillette, et une chamelle avec la burqa. Et elle disait vouloir faire sauter à la dynamite la mosquée qui devait surgir de terre à Colle Val d’Elsa. Ainsi, il n’est pas fortuit du tout que la vie de la journaliste écrivain se conclue pendant que le pape Ratzinger ressent l’impérieux besoin de citer une invective d’il y a 700 ans, de l’empereur Manuel II Paléologue : « Montre moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu n’y trouveras que des choses mauvaises et inhumaines ». Entre la bilieuse athée toscane et le théologien bavarois qui l’avait reçue il y a un an, il y avait un véritable feeling.

 Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio




 Dessin : Vauro.


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