Est-ce que je veux du "droit au suicide assisté" ou du "droit à l’oubli" ! Non merci, sans façons.
Beaucoup de gens pensent que ces expressions sont des purs échantillons de "double langage" destinés à nous enlever des droits beaucoup plus utiles comme le "droit à la vie" et le "droit de savoir".
D’abord on a eu les "Ecrans de télévision", des caméras cachées qui permettaient au gouvernement d’espionner, à leur insu, des citoyens dans leur salon et leur chambre. Edward Snowden a révélé que la NSA et le GCHQ faisaient, hélas, la même chose en nous filmant ou nous photographiant secrètement grâce à des webcams et des laptops “dormants”.
Les Britanniques viennent d’apprendre avec stupeur cette semaine qu’une autre étape vers le totalitarisme a été franchie par le gouvernement sans foi ni loi de Westminster. Dans un processus, impulsé par Kenneth Clarke, un membre influent du groupe Bilderberg, alors qu’il était Lord Chancelier et Secrétaire à la Justice, la Loi sur la Justice et la Sécurité a ouvert la voie, par le biais de "dossiers classés", à des procès criminels non seulement à huis-clos mais dont il sera interdit de parler : le seul fait d’évoquer certaines poursuites ou de dire qu’un procès va avoir lieu est devenu un délit passible d’emprisonnement.
Kafka et Orwell* se rencontrent donc à Old Bailey**. En fait, cela semble être la réponse de Clarke, je ne plaisante pas, à l’échec de plusieurs procès "anti-terroristes" d"’extrémistes musulmans" acquittés après avoir été arrêtés par la Police Métropolitaine anti-terroriste. Alors, pour épargner au Ministère Public, en perte de crédibilité, d’autres humiliations judiciaires dans des cas qui pourraient embarrasser le MI5 et la Branche Anti-Terroriste, on fait des procès "clandestins".
Ces tribunaux secrets déformeront ce que nous aurons le droit de savoir pour peser le pour ou le contre dans le domaine capital des interventions en terre musulmane, mais d’ores et déjà, les pauvres n’ont plus le droit à un procès équitable. Les coupes de Clarke à l’assistance légale qui se sont succèdées depuis plus de quatre ans ont été si brutales que les avocats et les hommes de lois sont descendus dans la rue pour la première fois dans l’histoire du pays.
Pendant que les portes des tribunaux sont claquées au nez des pauvres, de nouvelles procédures donnent aux riches et aux entreprises qui ont peur de voir leurs turpitudes s’étaler sur Internet un accès direct aux parloirs des avocats et des tribunaux pour leur permettre de régler des affaires embarrassantes sans que cela ne se sache.
La gestion de la Réputation fait fureur dans la Zone un***
Des super-injonctions ont été données vers 2008 pour stopper les reportages sur les affaires embarrassantes touchant des multinationales ou des milliardaires. Tout ce que le public savait c’était que le journal savait quelque chose qu’il aimerait bien leur raconter mais qu’il n’en avait pas le droit. Comme l’a écrit le Daily Mail en 2011 : "Pour la première fois depuis plus d’un siècle, des lois faites par le juge ont censuré par avance la publication de faits avérés."
Comme si les super-injonctions ne suffisaient pas, d’autres décisions ont été prises qui aggravent encore les choses. Le mois dernier, la Cour Européenne a décidé d’accorder le "droit à l’oubli" que j’ai mentionné plus haut, pour obtenir que les informations embarrassantes soient effacées du moteur de recherche de Google. Un comité nommé par Eric Schmidt, le président de Google, décidera sur qui nous aurons ou non le droit d’avoir des informations.
Les riches auront sûrement à coeur de récompenser financièrement Google d’avoir cédé aux managers de la réputation, mais ce sera le début de la fin du "Père de tous les Moteurs de Recherche". Si Google filtre les informations sur les juteux scandales des puissants, sa réputation à lui ne fera pas long feu.
Comme le dit Luciano Floridi que Schmidt a chargé de régler les milliers de demandes d’effacements de données que Google reçoit supposément chaque jour : “Une entreprise comme Google a le droit de décider de ce qui est d’intérêt public” et d’effacer des “ informations embarrassantes.” C’est vrai, on n’a pas besoin de tribunaux ! Le personnel de Google peut très bien décider de ce que nous devrions savoir ou pas.
La commémoration des demi-vérités de la première guerre mondiale.
Ne croyez pas que ce soit la seule manière d’empêcher que nous parviennent les informations dont nous avons besoin pour comprendre le monde qui nous entoure : cette semaine, 100 ans après que l’Angleterre est entrée dans la Première Guerre mondiale, le Bristol Rugby Club a joué son tout dernier match sur son terrain qui porte justement le nom de "terrain de la mémoire".
Le club change de terrain parce que le stade municipal sur lequel ils jouaient jusque là a été vendu à la chaîne de supermarchés Sainsbury par le nouveau patron du club, l’exilé fiscal Stephen Lansdown.
Cette semaine, dans “Today”, l’émission phare de la radio 4 de la BBC, on a parlé de la fermeture du terrain, mais jusqu’à cette semaine personne n’a mentionné que ce terrain était le principal mémorial commémoratif de la Grande Guerre de Bristol. Il a été offert en 1921 par le Sheriff de Bristol “en mémoire éternelle des sportifs morts dans la première guerre mondiale.”
Rien n’est plus révélateur du mépris de nos médias dominants pour les générations antérieures que l’impasse faîte sur tout ce que représente "ce terrain du souvenir" alors même qu’on s’en débarrasse justement l’année du centenaire de la guerre.
Ce qu’a vécu la “chair à canon” dans ces combats, un seul poète, Woodbine Willie, l’a décrit avec exactitude, selon un vieux soldat et un infirmier de la “La Grande Guerre” que j’ai eu le plaisir de connaître avant qu’il décède.
100 plus tard, pourtant, tout ce qu’a écrit ce talentueux padre militaire, y compris sa populaire anthologie de 1927, La beauté indicible est épuisé. Parmi les quelques 70 poèmes de l’anthologie Penguin, “Poèmes de la Grande Guerre,” vendue dans toutes les librairies d’Angleterre, il n’y a pas un seul poème de Woodbine Willie.
Les demi-vérités qui circulent sur la guerre donnent l’impression troublante que les gens qui contrôlent nos médias dominants, les gardiens de la culture, ont failli à leur mission. Ils représentent la “victoire” de l’oubli sur le souvenir et de l’ignorance sur l’éducation, ici en Occident.
Comme les super-injonctions, le principe fondateur de la propagande du 21ième siècle est, “Vous ne savez pas ce que nous ne vous disons pas.”
Les veilleurs ‘1984’ de Thaïlande
Confortablement installé dans l’éternité, cette semaine, George Orwell regarde certainement avec un petit sourire d’encouragement les rues de Bangkok où sont organisées des “manifestation 1984” à la Gandhi contre les lois anti-association et la propagande de la nouvelle junte militaire thaïlandaise. “La confrontation n’est pas le bon chemin,” disent les banderoles des centaines de militants qui se rassemblent pour veiller silencieusement en lisant le livre d’Orwell**** dont ils ont tous un exemplaire à la main.
Les Thaïlandais voient ce qui se passe dans le monde. Ils ont vu en Egypte le leader du coup d’État soutenu par les Etats-Unis, Abdel Fattah el-Sisi, arriver au pouvoir suite à une élection bidon à laquelle l’opposition majoritaire des Frères Musulmans n’a pas eu le droit de participer. Ils ont vu les bombes tomber sur les séparatistes ukrainiens en dépit de leur référendum de sécession d’avec Kiev. Le message de Bangkok, c’est que la volonté du peuple est la seule chose importante et qu’ils ne se laisseront pas duper par tous les mensonges sur la “démocratie” que colportent les médias occidentaux.
La bougie de George Orwell
La renommée d’Orwell s’est faite à partir de son roman 1984 qui décrit un monde imaginaire, mais ses autres livres, notamment ses romans autobiographiques “Le quai de Wigan et Hommage à la Catalogne, laissent souvent entrevoir un monde futur dans lequel le peuple s’est débarrassé du joug de la "classe des propriétaires". Dans lequel les dirigeants s’occupent de leur peuple au lieu de chercher sans cesse de nouveaux moyens de le contrôler.
Il considère l’obsession fanatique du pouvoir telle que Machiavel l’a décrite", comme une malédiction à laquelle l’humanité tente d’échapper depuis des siècles, et il nous fait voir des endroits où il a vu jaillir de terre les pousses de cette nouvelle liberté. "Oui," semble-t-il nous dire, "Il y a vraiment tout ce qu’il faut pour que chacun puisse réaliser son potentiel et vivre dans la dignité, sans qu’un seul être humain ne soit exclu."
Amnesty International a repris une de ses expressions : “Il faut mieux allumer une bougie que maudire l’obscurité.” C’est exactement ce qu’a fait Orwell pour la génération suivante de militants radicaux, en remettant un exemplaire annoté de l’un des plus anciens ouvrages sur les Diggers***** du 17ième siècle anglais à l’homme qui est ensuite devenu le leader du parti travailliste, Michael Foot. Orwell était émerveillé de voir que ces radicaux de la Guerre Civile anglaise prônaient déjà la plupart des idées enthousiasmantes qu’il avait glanées en combattant contre les fascistes de Franco pendant la Guerre Civile espagnole.
“Le mouvement des Diggers à l’époque de la République d’Angleterre ou Commonwealth” a été un des premiers livres à étudier les collectivistes du 17ième siècle anglais qui prônaient le retour à la gestion communale et à la propriété de la terre et qui sont passés de la parole aux actes. Les manifestes des Diggers rédigés par Gerrard Winstanley étaient imprimés sur des presses typographiques clandestines et ses idées ont inspiré Marx et les militants de la justice sociale de Thomas Paine jusqu’aux Chartistes.******
Certains des manifestes originaux de Winstanley portent cette inscription malicieuse : "Imprimé sur un coin de liberté fermé par la Chambre des Communes" sur la page de garde pour rappeler aux lecteurs que l’éditeur violait les lois du 17ième siècle en les imprimant sans licence. Aujourd’hui aussi les rédactions doivent être fidèles à leurs principes et violer ces iniques super-injonctions, car il est nécessaire que les tripatouillages des puissants et des arrivistes soient révélés au grand jour si nous voulons qu’ils rendent des comptes.
Mais nous avons besoin de la bougie de George Orwell parce que nous vivons maintenant en Océania, en Guerre Perpétuelle contre le Terrorisme. Oui, et au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, la politique d’Obama qui consistait à retirer ses troupes d’Europe vient d’être inversée en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Le pouvoir a glissé de nos mains dans celles des banques, des multinationales et des people adulés, le seul point commun entre les trois étant leur totale indifférence à ce qui arrive au reste d’entre nous.
Grâce aux exemplaires d’Hommage à la Catalogne que nous avons à notre disposition et aux dangereuses idées de liberté qu’Internet nous a mis dans la tête ces 20 dernières années, la pauvreté dont ils nous accablent, loin de nous briser comme ils l’espéraient, nous rassemble au contraire.
La génération qui monte s’informe et s’organise via des groupes environnementaux, religieux ou de voisinage, de sorte que les politiciens de plateau, même les mieux habillés et les plus fringants, ne pourront plus nous rouler dans la farine, désormais.
Tony Gosling
Tony Gosling est un journaliste anglais d’investigation formé par la BBC. Il est aussi historien et militant du droit du sol. Il a commencé sa carrière dans l’industrie de l’aviation.
Traduction : Dominique Muselet