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« On le vit comme une injustice » : ces soignants, profs ou militants engagés pour Gaza

Ils et elles sont journaliste, enseignant, soignante, chercheure, paysan, et ont décidé de s’engager pour la cause palestinienne depuis cet automne. Portraits d’un Franco-Palestiniens, d’une Israélienne, d’un Français et de Françaises mobilisées.

Depuis le 7 octobre, et l’attaque meurtrière du Hamas en Israël, l’armée israélienne mène des bombardements massifs sur la bande de Gaza, doublés à partir du 27 octobre d’une offensive terrestre.

Les opérations militaires israéliennes ont fait des dizaines de milliers de morts à Gaza et détruit une partie de ce territoire. La situation de la population civile, assiégée et bombardée, et des infrastructures dites vitales (hôpitaux, accès à l’eau, approvisionnement) est si catastrophique que la Cour internationale de justice a demandé, dans une ordonnance rendue le 26 janvier, à l’État d’Israël de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ». D’autre part, environ 130 otages israéliens sont encore détenus par le Hamas, depuis quatre mois.

Face à cette nouvelle guerre et à ses horreurs, le mouvement de solidarités envers la Palestine mobilise en France des profils variés, au-delà des militants et militantes qui dénoncent depuis longtemps la colonisation et l’occupation israélienne en Cisjordanie ou le blocus de Gaza.

Omar : « Israël m’interdit de retourner dans la ville d’origine de ma famille »

Comme plus de sept millions de Palestiniens, Omar Alsoumi fait partie de la diaspora. Cet homme de 42 ans, paysans de profession, est né en région parisienne mais garde un attachement fort à Jénine, la ville d’origine de sa famille, en Cisjordanie. Il dénonce ce qu’il appelle « un nettoyage ethnique imposé par Israël », subi par sa famille depuis 1948. « Aujourd’hui, la majorité de mes oncles, tantes et cousins vivent en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Égypte ou au Koweït, et n’ont jamais pu se rendre en Palestine. Mais je me définis quand-même comme un Palestinien de Jénine. C’est ma ville, la ville de ma famille, j’ai plusieurs cousins là-bas. J’ai pu y aller quelques fois grâce à ma nationalité française, avant d’être fiché par Israël et interdit d’y retourner ».

Ses origines palestiniennes, Omar les porte fièrement depuis sa jeunesse : « J’ai commencé mon engagement à l’Union des étudiants palestiniens, puis au sein de Génération Palestine ». Aujourd’hui, il est un des moteurs du Collectif Urgence Palestine, qui regroupe différentes organisations, rassemblées sous une bannière commune depuis la guerre déclenchée après les attaques du 7 octobre.

Dès le mois d’octobre, le Collectif urgence Palestine a organisé de nombreuses manifestations et s’est opposé à leur interdiction par le ministère de l’intérieur. Les militants sont également à l’initiative de campagnes de boycott, en particulier contre Carrefour, en raison de ses investissements en Israël et en Cisjordanie occupée. « Carrefour est une incarnation de l’hyper-consumérisme occidental, c’est une entreprise qui maltraite ses employés et les agriculteurs, qui bétonne les campagnes et les banlieues. Carrefour est une cible qui synthétise tous les aspects de la lutte du peuple palestinien pour sa libération, et ça résonne aussi en France », assure l’activiste.

« En 2008-2009, Je devais avoir 25 ans, je commençais à m’intéresser aux questions politiques. Et puis, Israël a mené l’opération “plomb durci” contre la bande de Gaza. À ce moment-là, j’ai participé à mes premières manifestations en soutien au peuple palestinien » se souvient Loïc Fournil*. Aujourd’hui, il a la quarantaine, et est enseignant. Son engagement pour la Palestine n’a jamais cessé, mais son répertoire d’action, lui, s’est élargi.

Des activistes mènent une action devant la banque britannique Barclays pour protester contre les investissements au sein de l’entreprise d’armement israélienne Elbit Systems.

Actif il y a une dizaine d’années dans des mouvements visant le boycott des produits israéliens, l’enseignant a aujourd’hui fait évoluer ses cibles : « Le 7 octobre, j’ai de suite compris que la réaction israélienne allait être terrible. C’est pour ça que, passé l’état de sidération, on a décidé avec d’autres enseignants et activistes de suivre l’appel à arrêter d’armer Israël lancé le 16 octobre par les syndicats palestiniens. Ça a donné naissance au collectif Stop Arming Israël. »

L’organisation a mené sa première grosse action le 15 novembre au salon de l’armement Milipol. « C’est un événement qui réunit des entreprises du secteur de l’armement, avec notamment la présence de 52 entreprises israéliennes cette année. On y est allé pour diffuser l’appel des syndicats palestiniens. » Ils ont rapidement été encerclés par des policiers.

Loïc participe depuis régulièrement à des actions contre les entreprises d’armement. « On a notamment ciblé Thalès, un des fleurons français de l’industrie militaire. On a également visé des acteurs de moindre envergure, comme Exxelia. Il s’agit d’une entreprise qui vend des composants détachés. En 2014, des parents palestiniens ont trouvé un capteur fabriqué en France par cette entreprise dans les débris d’un missile ayant tué leurs enfants. »

Tout comme les autres militants de Stop Arming Israël, Loïc estime nécessaire d’ouvrir le dialogue avec les salariés travaillant dans les entreprises contribuant à armer Israël. « On a plusieurs fois distribué des tracts devant les sites de production ou les bureaux. L’accueil a été très positif, car les salariés ne savent pas vraiment ce que font leurs employeurs. Certains travailleurs nous ont même dit avoir posé des questions à leurs supérieurs sur les tenants et aboutissants de ce que fait leur entreprise. »

« Après le 7 octobre, j’ai vu les massacres à Gaza. J’ai aussi vu, parmi les morts, le grand nombre de médecins, de pharmaciens, de personnes engagées dans le corps médical. Ça m’a beaucoup touché, et j’ai donc décidé de rejoindre le collectif des blouses blanches pour Gaza », témoigne Souad Amouche, 44 ans, responsable de soins dans un service de rééducation en région parisienne. Si elle suivait de loin la situation en Palestine avant les récents événements, c’est vraiment depuis cet automne qu’elle a décidé de s’engager pour cette cause.

« J’ai aussi vu, parmi les morts, le grand nombre de médecins, de pharmaciens, de personnes engagées dans le corps médical. Ça m’a beaucoup touché, et j’ai donc décidé de rejoindre le collectif des blouses blanches pour Gaza », témoigne Souad Amouche, 44 ans, responsable de soins dans un service de rééducation en région parisienne.

En tant que soignante, Souad s’identifie à ses confrères et consœurs de Gaza. « Ce qu’ils subissent, on le vit comme une injustice. Les soignants œuvrent pour la vie, pour les patients, et là-bas, ils sont ciblés. Quand je vois ce qu’il se passe là-bas, je me demande comment les soignants gazaouis font pour faire face à tant d’atrocités. Ce sont des héros, je ne sais pas si je serais capable de faire ce qu’ils font. »

L’infirmière est de toutes les manifestations avec le collectif des blouses blanches pour Gaza, et participe à la marche Paris-Bruxelles, dont le cortège est parti le 20 janvier, pour un périple de dix jours en direction de la capitale belge. Le collectif mène également des actions de solidarité : « On a écrit à l’Ordre des médecins, à l’Ordre des infirmiers, ou encore à l’Ordre des pharmaciens pour dénoncer ce qu’il se passe là-bas. On collecte aussi des fonds pour acheter du matériel médical et leur envoyer. »

« J’ai grandi dans une famille sioniste. Mon grand-père est venu d’Afrique du Sud en 1948 pour participer à la création de l’État d’Israël. Après ça, il est retourné en Afrique du Sud, avant que ma famille ne finisse par émigrer au sein de l’État d’Israël dans les années 1960. Et puis, j’ai compris que le narratif sioniste appris dans ma jeunesse ne correspondait pas totalement à la vérité », retrace Tal Dor, 46 ans, sociologue israélienne qui vit en France depuis 17 ans.
Tal Dor est membre du collectif juif décolonial Tsedek !, fondé en juin 2023. Elle fait également partie d’Israelis against apartheid, une organisation rassemblant des israéliens antisionistes et luttant pour la décolonisation de la Palestine.

Elle était adolescente en 1995, au moment de l’assassinat d’Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien signataire des accords de paix d’Oslo en 1993. « J’ai été à la grande cérémonie d’hommage. J’étais de la gauche sioniste à cette époque là. » Peu de temps après, elle fait son service militaire, obligatoire pour la majorité des citoyens israéliens. Affectée à une unité éducative auprès de jeunes délinquants, elle n’est pas déployée dans les territoires occupés. « Aujourd’hui, avec le recul, j’aurai préféré avoir eu à cette époque un niveau de conscience suffisant pour refuser la conscription. Mais cette expérience a participé à ma politisation. Ça a été un moment important pour moi. »

Ce n’est vraiment qu’en 2000 que la bascule a lieu. Cette année-là, la visite, en signe de provocation, du leader de l’opposition israélienne Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées de Jérusalem met le feu aux poudres et déclenche la deuxième intifada. « J’ai pu voir la résistance palestinienne et participer à des actions contre la construction du mur aux côtés des palestiniens et d’autres israéliens anti-sionistes. » Ce mur, qui enclave et fractionne la Cisjordanie, a été construit à partir de 2002.

Tal Dor s’engage dès 2002 au sein du groupe Zochrot. L’objectif de cette association est de recenser et nommer tous les villages palestiniens détruits pendant la Nakba, qui correspond pour les Palestiniens à l’exode et aux massacres liés à la création de l’État d’Israël en 1948. « C’était une idée révolutionnaire à l’époque. On a cherché à parler de la Nakba en hébreu, pour faire connaître cet événement. Très vite, l’organisation s’est également engagée dans la lutte pour le droit au retour des réfugiés palestiniens. »

Elle poursuit son engagement en France au travers de sa recherche. « En tant que sociologue, je travaille sur les processus de libération de la conscience coloniale, en particulier sur la libération du sionisme en tant que pensée hégémonique. Je demande toujours dans mes entretiens quel a été le point de bascule entraînant la remise en cause du sionisme, mais on ne me pose jamais la question. »

Au-delà de sa recherche universitaire, elle est également engagée au sein de deux collectifs juifs anti-sionistes : Tsedek ! et Israelis Against Apartheid. « Quand je vois ce qu’il se passe, je dis "pas en notre nom", et je dis aussi qu’on a une responsabilité, en tant qu’israéliens, en tant que juifs, sur la manière dont on se positionne. Quand je pense aux enfants de Gaza et à mes amis là-bas, c’est très dur. » À plus long terme, loin de croire à une solution à deux États, elle rêve d’une « Palestine décolonisée où on serait tous égaux ».
Frédérique : « Je n’étais pas ce qu’on appelle une “personne engagée pour la Palestine” »

« J’étais étudiante pendant la première intifada. En 1988, avec l’Unef et des syndicats étudiants d’autres pays européens, je suis allée en Cisjordanie et à Gaza pour une mission d’enquête. J’étais déjà sensible à la question palestinienne, mais ce voyage a vraiment été pour moi un moment fondateur. Après ça, j’ai fait le tour des facs pour montrer ce que c’était de vivre à Gaza, dans une prison à ciel ouvert », se souvient Frédérique Le Brun. Après cette expérience, elle a travaillé en tant que journaliste sur l’Iran, l’Irak et l’Afghanistan. « J’ai continué à suivre ce qu’il se passait en Palestine, j’allais dans les manifestations pour prendre des photos, mais je n’étais pas non plus ce qu’on appelle une « personne engagée pour la Palestine » ».
Les Reporters Solidaires, dont Frédérique Lebrun fait partie, brandissent des affiches pour alerter sur le sort des journalistes palestiniens, nombreux à avoir été blessés ou tués par des bombardements israéliens. Ici, la journaliste indépendante et présentatrice de podcasts Ayat Khadoura, tuée à son domicile le 20 novembre lors d’un bombardement dans le nord de la bande de Gaza.

Après le 7 octobre, les choses ont changé. Désormais âgée de 59 ans, la journaliste s’est à nouveau mobilisée en solidarité avec les Palestiniens. « J’ai été choquée par deux choses : d’une part la couverture médiatique du conflit, et d’autre part le sentiment d’impuissance face à ce que vivent les Palestiniens à Gaza. » Elle rejoint le collectif des Reporters solidaires. Cette organisation, fondée récemment, s’est notamment illustrée en publiant dans L’Humanité une tribune dénonçant un traitement médiatique de la guerre jugé favorable à Israël.

Le texte met également la lumière sur le meurtre de nombreux journalistes par l’armée israélienne. Ils sont au moins 89 à Gaza et trois au Liban à avoir été tués par des bombardements israéliens depuis le 7 octobre selon le Syndicat national des journalistes.

Le Comité pour la protection des journalistes a aussi dénoncé l’emprisonnement de 17 journalistes palestiniens par les autorités israéliennes. Lors des manifestations, les Reporters solidaires brandissent des portraits de journalistes tués à Gaza. Frédérique Le Brun juge que « les médias français ne couvrent pas ce qu’il se passe à Gaza » et « humanisent les Israéliens mais pas les Palestiniens ». Aujourd’hui, Frédérique Le Brun appelle ses confrères à prendre avec du recul les discours des autorités israéliennes : « Appliquez à Israël ce que vous avez appliqué à la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine. »

Camille Stineau

Photos : ©Anne Paq

*Le nom a été changé

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