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Lettre de Bahar Kimyongür à l’opinion, rédigée en prison 10 décembre 2013

Nous revoilà repartis pour un tour...

À propos des conditions de détention

Casa Circondariale di Bergamo, 6e jour de détention

« (...) Pour être honnête, ma cellule est une horreur. On dirait que tous les vents polaires s’y sont donnés rendez-vous. La "vitre" est un plexi irrégulier, incurvé qui ne tient avec du silicone que d’un seul côté. Un tiers de la "vitre" manque à l’appel. La partie manquante est couverte de pages de journal collées avec du dentifrice.
Pareil pour la petite salle de douche. Là, il manque carrément une vitre. Une lourde porte métallique sépare les deux pièces. Pour l’ouvrir, il faut la porter car elle a subi des dégradations. Comme elle ne se referme pas complètement, il y a un courant d’air permanent dans la cellule.

Notre lit superposé est composé de trois étages. La cellule où je me trouve est une cellule dite "d’accueil". Elle n’a pourtant rien d’hospitalier. En rentrant en prison, on m’a fait croire que l’on pouvait choisir une cellule "non fumeurs". Cette option se trouvait dans le formulaire d’accueil et naturellement, je l’ai cochée. Mais en raison de la surpopulation, les non fumeurs son obligés de partager leur cellule avec des fumeurs. Les conditions sanitaires son exécrables. Je n’ai pu balayer ma cellule crasseuse qu’au sixième jour de ma détention, c’est-à-dire aujourd’hui.

Ma cellule est un vrai moulin. Quatre détenus y ont déjà transité en 6 jours : Silvio, un colérique de 50 ans arrêté pour avoir battu son frère et ses parents. Monsieur Carbonara de Bari, un sexagénaire accusé de vol et libéré hier après moins de 48h de détention. Aujourd’hui, un jeune ressortissant marocain condamné pour trafic de drogue a débarqué.

Depuis hier, je partage ma cellule avec Stefano, un Roumain de 25 ans père d’un petit garçon de 3 mois. Il est très aimable, abattu par ce qui lui arrive et un peu timoré. Il a peur par exemple d’aller prendre l’air. A propos, "aria", la cour en principe destinée à prendre l’air, est un véritable fumoir. Quand une quarantaine de détenus fument en même temps, on n’a pas vraiment l’occasion de profiter de l’air pur qui nous vient des Alpes...

Ah oui, je dois aussi te parler du "café". On s’imagine qu’en Italie, même en prison, on a droit à du café italien... eh bien non. Au pays de l’espresso et du cappuccino, le café de la prison est un liquide trouble servi à la louche ! Tellement répugnant que je n’en ai plus repris depuis le premier matin.

Dans notre cellule, il n’y a qu’une petite table basse et un tabouret cassé, pour trois. Les murs sont sales, les sanitaires sont sales, le sol est sale. Alors, on se réfugie sous le drap de son lit comme on se cramponne à un radeau au milieu d’un naufrage.

Quand tu t’embarques dans une galère italienne, tu reçois un kit de survie incomplet. Pas de serviette. Pas de lingerie. Pas de chaussettes. C’est l’église catholique qui complète le kit. Encore faut-il pouvoir décrocher un rendez-vous avec le "prete", l’aumônier.

En cellule la seule "friandise", c’est le téléviseur. Il faut tordre le câble de mille et une manières pour pouvoir décrypter l’une des huit chaînes italiennes que nous sommes censés capter (...). »

Casa Circondariale di Bergamo, 10e jour de détention

Après les Pays-Bas, la Belgique et l’Espagne, c’est à l’Italie de m’ouvrir ses portes de fer et de les refermer aussitôt, cette même Italie où j’ai séjourné une quarantaine de fois sans le moindre souci malgré le mandat d’arrêt international lancé il y a 10 ans par un tribunal d’Ankara.

Aux Pays-Bas, mon arrestation survint alors que je circulais en voiture sur l’autoroute dans la périphérie de La Haye.

En Belgique, où j’ai subi un procès pénal inutile et coûteux qui a empoisonné quatre années de ma vie, le parcours fut plus classique : du tribunal de Gand à la prison de Gand.

En Espagne par contre, la police manifestement plus inspirée, m’a arrêté à l’intérieur de la Cathédrale de Cordoue avec ma femme et mes deux enfants.

En Italie, les unités de la DIGOS m’ont cueilli à l’aéroport Orio al Serio quelques minutes après l’atterrissage de mon avion en provenance de Charleroi. Les agents italiens m’ont ensuite emmené à la prison de Bergame où je croupis depuis une dizaine de jours dans des conditions indignes.

En provoquant ces arrestations en chaîne, les autorités turques espèrent m’intimider, me décourager, me fragiliser financièrement et faire douter les nombreux amis et camarades qui me soutiennent.

Pour banale qu’elle soit, la privation de liberté n’en est pas moins un châtiment d’une violence extrême dont les premières victimes sont les familles, en particulier les enfants.

Âgés de 3 et 5 ans, mes enfants comprennent des tas de choses.

Mais ils ne peuvent comprendre ni accepter que leur papa qui leur enseigne les règles de la vie en société, les valeurs humaines telles que l’honnêteté, la justice, l’amour et la solidarité, soit sans cesse puni à cause de ses écrits. Même les adultes ne peuvent comprendre un pareil acharnement.

Le sentiment d’injustice qui germe dans le cœur de mes enfants à cause du malheur insensé et irrationnel qui leur arrive ne peut que leur causer des blessures psychiques graves.

Il serait trop facile de jeter la pierre sur le seul régime turc et de dédouaner les États européens « victimes » de simples dysfonctionnements administratifs. Le monde a vu la férocité assumée et revendiquée de la police d’Erdogan lors de la révolte de la place Taksim durant l’été dernier.

L’Europe toute entière s’en est indignée. Cela n’a pas empêché les polices européennes de jouer les janissaires du sultan Erdogan.

A quoi bon être innocenté par la justice européenne si des forces de police européennes se mettent aux ordres du régime néo-ottoman et piétinent les décisions de cette même justice ?

Pourquoi un juge italien m’empêche de voyager, alors qu’un juge espagnol m’y autorise ?

Comment est-il possible qu’un organisme comme Interpol puisse se placer au-dessus des lois et échapper à tout contrôle ?

De quel droit Interpol se permet de convertir un signalement arbitraire et abusif en peine à perpétuité ?

Comment se fait-il qu’un régime comme celui d’Ankara qui chaque jour accueille des bataillons entiers de terroristes massacrant le peuple syrien, soit considéré comme un partenaire de l’Europe dans la lutte contre le terrorisme ?

Mes mésaventures auront eu au moins le mérite de faire la lumière sur certains côtés sombres de nos démocraties super-maxi-ultra-plus qui lavent toujours plus blanc que blanc.

En attendant ma libération, je remercie de tout cœur les milliers d’amis sur qui je peux toujours compter dans les moments heureux comme dans les moments difficiles et qui une fois encore, se sont mobilisés pour soutenir ma famille et porter haut l’étendard de nos idéaux communs.

Bahar Kimyongür

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"L’un des grands arguments de la guerre israélienne de l’information consiste à demander pourquoi le monde entier s’émeut davantage du sort des Palestiniens que de celui des Tchétchènes ou des Algériens - insinuant par-là que la raison en serait un fonds incurable d’antisémitisme. Au-delà de ce qu’il y a d’odieux dans cette manière de nous ordonner de regarder ailleurs, on peut assez facilement répondre à cette question. On s’en émeut davantage (et ce n’est qu’un supplément d’indignation très relatif, d’ailleurs) parce que, avant que les Etats-Unis n’envahissent l’Irak, c’était le dernier conflit colonial de la planète - même si ce colonisateur-là a pour caractéristique particulière d’avoir sa métropole à un jet de pierre des territoires occupés -, et qu’il y a quelque chose d’insupportable dans le fait de voir des êtres humains subir encore l’arrogance coloniale. Parce que la Palestine est le front principal de cette guerre que l’Occident désoeuvré a choisi de déclarer au monde musulman pour ne pas s’ennuyer quand les Rouges n’ont plus voulu jouer. Parce que l’impunité dont jouit depuis des décennies l’occupant israélien, l’instrumentalisation du génocide pour oblitérer inexorablement les spoliations et les injustices subies par les Palestiniens, l’impression persistante qu’ils en sont victimes en tant qu’Arabes, nourrit un sentiment minant d’injustice."

Mona Chollet

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