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Notre père qui êtes à l’Elysée

Comme tous les matins depuis quinze jours, je me jette au saut du lit, un café à la main, sur l’Actu en continu de Médiapart en particulier et sur Internet en général, pour me mettre au parfum des derniers développements de votre courageuse lutte contre la pandémie.

J’apprends, avec surprise, que votre ministre de la santé aurait fait livrer aux pharmaciens les quelques masques qu’il a réussi à réunir, par Géodis, une filiale privée de la SNCF, qui hélas n’avait aucune compétence dans le domaine alors qu’il aurait suffi de se reposer sur les grossistes qui connaissent bien le réseau. Et que, du coup, les livraisons ont pris de quelques jours à une semaine de retard au grand dam des professionnels non hospitaliers qui les attendaient. Je suis sure que ce sont des calomnies. Je sais que tout ce que vous faîtes, vous le faîtes pour notre bien et que c’est bien fait. Si quelqu’un a erré, ce ne peut pas être vous ni votre gouvernement. Sans doute êtes-vous, une fois de plus, la victime de votre trop grande intelligence, comme l’a si bien expliqué M. Legendre. Vos détracteurs ne comprennent tout simplement rien à vos grands desseins.

J’apprends aussi, avec soulagement, que vous avez autorisé la prescription de la Choloquine en traitement du Covid-19. Vous vous rappelez ? Le 13 janvier, un arrêté dans le Journal officiel, a classé l’hydroxychloroquine, qui était en vente libre, sur la liste II des substances vénéneuses. Un hasard malheureux dont évidemment vous n’êtes nullement responsable mais qui a donné l’impression que le couple Agnès Buzyn-Yves Lévy, alors respectivement ministre de la Santé et directeur de l’Inserm, réglait ses comptes avec le professeur Raoult sur le dos de la santé des citoyens, impression encore aggravée par le tir de barrage des chiens de garde du système contre le professeur. Vous vous rappelez comment il a été méprisé diffamé, ridiculisé à la TV ? Il a même été accusé de véhiculer des « fake news » par le Monde et votre ministère de la santé ! Le 23 mars, devant les protestations de plus en plus véhémentes des médecins sur le terrain et des malades, et après que Trump se soit extasié sur les travaux du Professeur Raoult, votre gouvernement a autorisé la prescription du médicament, mais seulement dans les cas graves, c’est-à-dire dans les cas où il ne sert plus à rien car, pour être efficace, il doit être administré assez tôt. Une demi-mesure que vous saviez évidemment contre-productive mais que vous avez autorisée sûrement par esprit de conciliation, pour maintenir la paix, sachant que ce matin vous prendriez, seul et contre tous, la décision qui s’imposait depuis le début. J’ai eu une larme de gratitude et d’admiration. C’est à ça qu’on reconnait un père, il sait se battre pour ses enfants. Quand le soir même l’arrêté était à nouveau modifié pour revenir en arrière, j’admets que je n’ai pas compris tout de suite. Je sais que tout ce que vous faîtes est bien fait, alors je me suis creusée la cervelle et je crois que j’ai trouvé. Voilà : votre doctrine du « en même temps » fait merveille à l’oral. Vous pouvez dire sans problème : « la chloroquine est en même temps autorisée et interdite », mais à l’écrit c’est plus compliqué. Alors, dans votre grande intelligence, vous avez trouvé la solution : vous l’autorisez le matin et l’interdisez le soir. C’est absolument génial. Comme cela vous faites plaisir à tout le monde et vous préservez l’unité. En temps de crise, c’est primordial. Bravo ! Je suis sure que vous serez considéré dans l’histoire comme l’égal de Salomon avec son célèbre jugement.

J’ai un aveu à vous faire, je n’ai pas voté pour vous. J’avais d’affreux préjugés. Un enfant de la banque, pense-je, ne fera jamais rien pour nous. En plus, vous avez, sous Hollande, qui servait la finance tout en la détestant (le précurseur du « en même temps » ?), détricoté le code du travail, en dépit des protestations des salariés. Mais tout a changé quand vous êtes arrivé au pouvoir. Vous vous battez désormais comme un lion pour nous défendre et nous protéger contre la France profonde et le coronavirus, avec un gouvernement, dont on ne peut qu’admirer la compétence, le souci du bien général, l’altruisme, le courage, la modestie, et j’en passe. L’histoire s’en souviendra.

C’est pour ça que je ne comprends vraiment pas ce qui m’arrive. Je pensais être complètement immunisée contre le doute, mais ces temps-ci, je ne sais pas pourquoi, il me passe par la tête des choses bizarres. Ce matin même, en lisant les nouvelles, je me suis surprise à penser sans réfléchir : Ce n’est pas possible d’être aussi bêtes, ils doivent le faire exprès ! Inquiète, j’ai regardé autour de moi - heureusement j’étais toute seule enfermée chez moi -, et je me suis sévèrement réprimandée : Mais vraiment c’est n’importe quoi ! Comme si nos dirigeants pouvaient être bêtes une seule seconde ! Et pire encore, comme s’ils pouvaient faire, exprès, quoi que ce soit qui nuise à l’intérêt général ! Je débloque, ça doit être les premiers effets de l’emprisonnement, pardon, du confinement. Heureusement je connais l’antidote à ces pensées malsaines et je me suis dépêchée d’allumer la TV pour me remettre les idées en place. Au bout de quinze minutes, j’étais rassérénée. Nous avions toujours un chef de l’état, chef de guerre et père de la nation, en pleine possession de ses moyens. Par un hasard extraordinaire, il se trouvait dans notre tout nouvel hôpital militaire. Il arborait un masque flambant neuf, sans doute pour montrer ce qu’est un masque aux professionnels qui n’en ont pas besoin d’après notre pétillante porte-parole. Et il prenait une posture martiale pour haranguer les troupes bien rangées devant des lits... vides, sûrement par sécurité. Notre président est malin, ce n’est pas comme cet idiot de Poutine qui se précipite en ridicule combinaison d’internaute aux chevets des malades ! Notre chef de guerre, toujours à l’écoute de son peuple, a profité de la présence aussi fortuite que rare des médias de ses amis milliardaires pour nous rassurer. J’ai tout bien en main, nous a-t-il affirmé en substance, et tout ira bien à condition que vous fassiez tout ce que je vous dis, sans poser de questions, sans discuter et sans vous plaindre. Je suis né pour penser et donc vous n’avez pas besoins de le faire, moi je m’en charge ».

Quel bonheur, me suis-je dit. Déjà, je n’avais presque plus rien à faire et maintenant, je n’ai même plus besoin de penser ! Toute à ma joie, je suis retournée regarder des vidéos distrayantes sur internet. Et là, je tombe par hasard sur une vidéo d’une équipe de médecins de Cuba accueillie avec tous les honneurs en...Italie. Je me frotte les yeux. C’est un montage, je me dis. Je fonce sur le Décodex du Monde pour en avoir le cœur net. Rien ! Je consulte les médias officiels. Aucun démenti ! Cuba, le diable, le démon, la dictature que les Etats-Unis contiennent, endiguent à grand peine à coups de blocus, de CIA, de sanctions, d’assassinats, et j’en passe, pour l’empêcher d’envahir tout l’occident, Cuba donc, est accueilli en sauveur en Italie. Et pas seulement Cuba, mais la Russie et la Chine... C’est le monde à l’envers ! Je regarde ça, interloquée, et je me dis : « Faut-il que les Italiens se sentent abandonnés de Dieu et de l’UE pour en arriver là. » Puis je me reprends. Comment puis-je penser une chose pareille ? Voyons, l’Union Européenne nous protège. Sans elle nous serions depuis longtemps colonisés par la méchante Chine au lieu de l’être par les gentils Etats-Unis, nous serions culturellement dominés par les méchants Russes, au lieu de l’être par les gentils Etasuniens, et nous serions soignés par les méchants Cubains au lieu de n’avoir bientôt plus du tout accès aux soins comme la plupart des Etasuniens. Ça vaut largement tout l’argent que nous donnons à l’UE et aux USA...

Tout de même, je suis sur une mauvaise pente. Il est clair qu’à force d’être seule, sans grand-chose à faire, mon cerveau tend à se croire tout permis. J’ai beau faire, il me vient de plus en plus de pensées incongrues. Je comprends mieux pourquoi, dans sa grande sagesse, notre Père Macron nous a recommandé de ne pas penser. Il a compris, lui qui sait tout, que la pensée était le plus grand ennemi de la nation. Pas les attentats, pas les grèves, pas le coronavirus, non la pensée. Car si le peuple se met à réfléchir à ce qu’il voit, s’il s’aperçoit que tout le système est bâti sur le mensonge et l’exploitation, s’il se rend compte qu’il n’a aucune issue, il sera malheureux. Et notre Père, qui est à l’Elysée et qui nous donne notre pain quotidien pour que nous puissions aller travailler pour sauver l’Economie et les banques, notre Père, qui nous aime plus que tout, n’a qu’un seul désir : que nous soyons heureux.

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DEPUIS LA NUIT ET LE BROUILLARD - FEMMES DANS LES PRISONS FRANQUISTES - de Juana Doña
traduit par à ngeles Muñoz avec la collaboration de Sara Albert Madrid, février 1939. La Guerre d’Espagne touche à sa fin. Leonor va connaître l’exode, la torture, la condamnation à mort, et les longues années de prison... L’horreur quotidienne de l’univers carcéral franquiste tel que l’ont vécu des milliers de femmes et d’enfants est décrite ici par Juana Doña avec un réalisme sans concession et sans complaisance. Ce livre est son témoignage. Écrit en 1967, publié seulement après la (…)
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Viktor Dedaj

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