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Notre fantôme - il manifesto.





Il manifesto, dimanche 24 septembre 2006.


A l’ère de la communication, l’interstice entre trépas officiel et mort physique se dilate jusqu’à durer des années : et sa virtualité n’en amortit pas les lourds effets politiques, au contraire. On l’avait vu avec le généralissime Francisco Franco (1975) dont on ignorera à jamais la date de décès car, pour faciliter la transition, sa vie officielle fut prolongée au-delà de toute décence. Le gérocrate soviétique Leonid Brejenv survécut aussi à lui-même, du moins dans les journaux télévisés (1982). Jusqu’à présent cet éphémère au-delà était réservé aux autocrates de long cours. Mais la guerre à la terreur semble conférer le même « ante-tombe » au fugitif le plus recherché du monde, Ossama Ben Laden. Hier, une fuite de nouvelles dans les services de renseignements français, sur la base d’une information des services saoudiens, annonçait la mort du fondateur d’Al Qaeda, qui aurait péri de typhoïde au Pakistan, le mois dernier.

Le président français Jacques Chirac n’a ni démenti ni confirmé la nouvelle, mais a immédiatement ordonné une enquête à la Dst pour contrôler la source de cette fuite. Vladimir Poutine, qui est à Paris pour un sommet, a évoqué des manipulations possibles : « Toute fuite de nouvelles est ciblée », a dit le président russe qui, comme ancien colonel du Kgb, en connaît un rayon en matière de désinformation.

Ces indiscrétions disent en fait le contraire de ce qu’il paraît. Elles fournissent la « preuve » que jusqu’au mois dernier (août 2006, Ndt), Ben Laden était vivant. Ce n’est pas la première fois que sa mort est « révélée ». Et les démentis successifs insufflent, pour des mois encore, une vie virtuelle au leader d’Al Qaeda, tout comme les bulletins quotidiens sur l’agonie gardaient en vie médiatique le caudillo espagnol.

Selon des gens bien informés, Ossama Ben Laden serait en fait déjà mort depuis des années : la thèse la plus accréditée le dit défunt par insuffisance rénale après que les bombardements étasuniens sur l’Afghanistan aient tué son médecin personnel qui lui administrait les indispensables dialyses. Peut-être, cependant, que là aussi il y a intoxication. Sa vie ou sa mort évoluent dans le brouillard du il se peut et du on dit.

Deux certitudes au moins.

1) Personne n’a d’intérêt à un Ben Laden mort : sa disparition priverait « l’axe du bien » de son Prince de la Nuit, de son Satan à lui, et minerait la résolution des peuples étasunien et anglais de combattre la « guerre au terrorisme ». Mieux vaut continuer à imaginer ce Belzébuth terré dans ses antres de l’Hindou-Koush.

2) Dans l’espace virtuel, Ben Laden est vivant et a encore bon pied bon oeil. Il ne harangue plus que par vidéos, dont personne ne peut jurer de la véridicité à l’ère de la retouche digitale (même les photos ne constituent plus des preuves dans les procès étasuniens). Et dans cet espace, peut-être continuera-t-il à prêcher la guerre sainte quand ses os seront désormais réduits en poussière : le vice-président Dick Cheney nous a en effet promis une « guerre des 50 ans » à la terreur.

Marco D’ Eramo

Ps : Comme mort qu’on maintient en vie en annonçant périodiquement son décès, l’actualité nous propose un vivant défunt malgré lui : c’est ce qui arrive au linguiste Noam Chomsky, que son admirateur à tous crins, le président vénézuélien Hugo Chavez, a regretté de n’avoir pas pu connaître de son vivant. Le septuagénaire (77 ans) Chomsky aurait pu lui répondre comme Mark Twain quand il lut l’annonce de sa propre mort : « C’est une nouvelle grossièrement exagérée ».


 Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



 Dessin : Vauro (2004)
Ben Laden fatigué de ne pas être déniché par les Usa meurt de vieillesse.

 Tiré de "Comme non sopravvivere a un altro anno di merda" (Comment ne pas survivre à une nouvelle année de merde") de Vauro Senesi, avec Johny Palomba , Editions Piemme (Italie), décembre 2004.
www.edizpiemme.it


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