1) Au lendemain de l’invasion, l’Europe avait deux options :
Elle pouvait accompagner les nécessaires sanctions d’une demande auprès de Zelensky et de Poutine de lancer des négociations immédiates sur la base des deux requêtes fondamentales du contentieux : la neutralité de l’Ukraine et le respect des accords de Minsk. Si Zelensky ne s’était pas senti couvert et protégé pour la poursuite de la guerre, on pouvait probablement obtenir la paix en une semaine.
Ou bien, et c’est le choix qui a été fait, l’Europe pouvait se mettre à dire que Poutine était le nouvel Hitler, un fou, une bête, elle pouvait se mettre à ravitailler l’Ukraine en argent, instructeurs et armements lourds, elle pouvait déchaîner une vague de russophobie gênante et persévérer sur cette ligne jusqu’à dire (Josep Borrell) que la guerre devait se décider sur le terrain (les diplomates qui s’improvisent guerriers en risquant la peau des autres).
2) En fournissant à l’Ukraine des quantités d’armes et sans aucune garantie quant à leur destination finale, l’Europe a créé à ses portes un bassin guerrier insensé, auquel participent non seulement l’armée régulière, non seulement des milices mercenaires, mais aussi des groupes et groupuscules paramilitaires, incontrôlables, qui agissent de façon autonome, souvent avec des buts plus terroristes que militaires (comme le bombardement, le 30 mai, sur une école de Donetsk), et qui n’obéiront jamais à une paix éventuellement signée par Zelensky.
On prévoit (et ç’a été dès le départ une volonté des EU) un conflit durable, peut-être, après la déclaration d’une trêve, un conflit d’intensité réduite, qui engagera l’armée russe pour longtemps et qui mènera à la destruction totale de l’Ukraine – du moins celle située à l’Est du Dniepr.
3) Comme il arrive toujours, plus le conflit dure, plus il se produit de deuils, plus les esprits se chargent d’une haine irrévocable, et plus il y aura d’espace pour un abandon des derniers freins dans la conduite de la guerre (la Russie a progressivement augmenté le poids du type d’armement utilisé, l’Ukraine a commencé à cibler le territoire russe dans la province de Belgorod). Quelle sera la limite de cette escalade ? Nous verrons.
4) Entre-temps, nous avons tous tranquillement écarté le fait que, outre des gazoducs et des centrales nucléaires, il y a en Ukraine quelques-uns des plus importants dépôts de plutonium et d’uranium enrichi du monde. Bref, nous jouons à la guerre, en une escalade progressive, dans une des zones les plus dangereuses de la planète quant à de possibles répercussions générales. Il est utile de rappeler que la distance entre l’Italie et l’Ukraine est de 1500 km à vol d’oiseau, celle entre l’Ukraine et les EU de 7500 km (avec un océan entre deux).
5) Sur le plan économique, l’Europe a ainsi mis en jeu son accès à des sources énergétiques abondantes et à des prix modérés. Comme l’Europe est la zone du monde la plus majoritairement consacrée à la transformation industrielle et la moins dotée de ressources naturelles, cela équivaut à s’être fabriqué un nœud coulant et à mettre le cou dedans. L’Europe soutient et alimente une guerre à ses portes, plus encore, elle fait tout ce qu’elle peut pour la faire durer longtemps et pour trancher définitivement toutes les relations avec le reste de l’Eurasie. Bref, nous coupons les ponts avec cette partie du monde avec laquelle nous sommes économiquement complémentaires (la Russie pour les ressources, la Chine pour les fabrications de base, tous les BRICS en tant que plus grand marché du monde). En même temps, nous nous subordonnons de nouveau et sans alternatives à un concurrent de premier ordre avec lequel nous sommes en concurrence directe sur le plan industriel mais qui, à la différence de l’Europe, est énergétiquement autonome.
6) A ce stade, la Russie n’a plus un intérêt essentiel à parvenir à une paix rapide. Sur le plan économique, elle paie certes un certain prix, mais sur le plan stratégique, elle devient le point de référence mondial pour une « revanche » de cette partie majoritaire du monde qui se sent brimée depuis des décennies par l’hégémonie américaine. Cette victoire stratégique permet à la Russie de cultiver une alliance essentielle avec la Chine, une alliance absolument invincible et inébranlable de quelque point de vue que ce soit : territorial, démographique, économique et militaire.
7) Par contre, l’Europe a creusé sa tombe. Si les gouvernements européens ne réussissent pas d’une façon ou d’une autre (et, à ce stade, cela se fera de toute façon avec des coûts importants) à renouer les relations avec le reste de l’Eurasie, son destin est scellé.
Les deux siècles d’ascension sur le plan mondial commencés au début du XIXe siècle s’acheminent vers une conclusion sans gloire. A partir déjà de l’automne, nous commencerons à ressentir les premiers signes de ce qui s’annonce comme une nouvelle et durable contraction économique, contraction qui, impliquant les pays européens en bloc, aura des caractéristiques jusqu’ici inédites, beaucoup plus lourdes que la crise de 2008, parce qu’il n’y aura pas de « garanties de fiabilité financière » qui tiennent.
Si, aujourd’hui, on regarde bien les Draghi, les Macron, les Scholtz, et leurs soutiens parlementaires (en Italie, le spectre parlementaire presque tout entier), la seule question qui reste c’est : quelqu’un paiera-t-il ?
Qui paiera pour l’opération la plus autodestructrice sur le continent européen depuis la Deuxième Guerre mondiale ? Les journalistes téléguidés qui ont fomenté la narrative propagandiste qui sert à alimenter la guerre ? Les politiciens qui ont activement soutenu la guerre ou qui se sont agenouillés devant les diktats du président du Conseil ?
Ou bien, face aux nouveaux chômeurs et aux nouveaux working poors, réussiront-ils encore une fois le tour de passe-passe consistant à expliquer qu’il n’y avait pas d’alternative ?