RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Non, ils ne sont pas forts !

A la nouvelle de l'assassinat de Hassen Nasrallah, de l'affaire des "bippers", et d'autres coups durs portés à la résistance libanaise, on peut être pris de rage et de colère : "Comment ont-ils pu se faire "avoir" ainsi ?! Quelle naïveté !" Mais les choses ne sont pas aussi simples.

Non, Israël n’est pas fort. Le Mossad n’est pas "superman". Ce qui fait apparemment leur force, ce sont les faiblesses du camp de la résistance arabe, ce sont des erreurs comme celles-ci : se réunir à Beyrouth, dans son QG, à son adresse officielle, comme il semble que l’ai fait Hassan Nasrallah, n’est-ce pas insensé !? Comment l’expliquer ? Combien de hauts cadres du Hizbollah ont-ils été tués ces dernières semaines chez eux ou au siège, connu de tous, de leur commandement. Tués ainsi sans même qu’ils combattent. Etre manipulé ainsi pour en arriver à envoyer soi-même, 5000 bippers et des centaines de talkies-walkies piégés, à ses cadres, ses militants, à ses partisans, aboutir alors à les blesser, les mutiler sans même qu’Israël n’ait à le faire, les acheter, sans avoir sécurisé le processus de leurs achat, sans même les contrôler à la réception, c’est quand même incroyable ! Comment ne pas critiquer ? Comment ne pas s’indigner ?

Un cri de douleur et de peine

Mais aussitôt ces critiques faites, qu’on les regrette. Comment se permettre de donner des leçons à quelqu’un comme Hassan Nasrallah qui a tenu tête à Israël et aux EU depuis trente ans, qui a obligé Israël à quitter le Liban après son invasion, qui a survécu à tous les pièges des ennemis et des faux amis, qui a déjoué toutes les tentatives de division du peuple libanais et de guerre civile, qui a rendu sa fierté aux Libanais, Nasrallah, celui qui était admiré par l’opinion arabe pour sa rationalité, sa modernité face au langage creux et ronflant des autres dirigeants arabes.

Le cri de colère devant sa mort est en réalité un cri de peine, d’affection, pour cet homme immense, un cri de douleur terrible devant la perte de quelqu’un à qui on s’est attaché au fil des ans, à qui on doit une infinie reconnaissance, à une personnalité aussi grande et à ses compagnons si valeureux, un cri de révolte de voir de tels hommes mourir ainsi, tomber ainsi se faire piéger pour des raisons qui semblent anodines, en tout cas disproportionnées par rapport à leurs terribles conséquences, des raisons qu’on ne s’explique pas.

Le talon d’Achille

Et pourtant il faut bien arriver à les expliquer, et cela pour l’avenir d’une lutte qui continuera toujours plus forte de ses épreuves. Il faut bien essayer de comprendre ce qui s’est passé. Quelles explications trouver ?

La tâche du Hizbollah est extrêmement difficile, complexe dans le Liban tel qu’il est. Elle lui impose d’être à la fois un parti politique et un mouvement de résistance armé. La première tâche impose la visibilité et donc d’être exposé aux coups de l’ennemi et de ses agents. La deuxième, la clandestinité, et donc le secret, le silence. Une contradiction difficile à gérer. Comment combattre Israël tout en ne mettant pas en danger l’existence de l’Etat libanais, et tenir compte ainsi des exigences de ses alliés libanais, éviter les reproches, les divisions, les pièges d’un ennemi aux aguets, dont la stratégie essentielle est la division des libanais et leur paralysie par la guerre civile ? Si l’on ose une comparaison, le FLN, en Algérie, n’était pas embarrassé par les contraintes de la défense de l’existence d’un Etat, et pouvait mener totalement son action de résistance, sans aucune pression et contraintes. On peut se demander d’ailleurs si cette activité politique du Hizbollah ne l’a pas souvent exposé : réunion, meetings, gigantesques manifestations populaires de démonstration de force mais aussi de révélations de ses forces à l’ennemi, et ceci à l’époque de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale.

Il faut se demander si là n’est pas son talon d’Achille. Qu’ ’il ait ainsi pignon sur rue, en tant que parti gouvernemental est peut être une explication à ces frappes qui ont atteint ses cadres. L’efficacité n’aurait-elle pas demandé plus de modestie, de réserve, de secret ?

Ceci expliquerait donc la vulnérabilité du Hizbollah aux infiltrations d’éléments ennemis, et à la trahison. C’est en tout cas l’explication qu’on voit le plus souvent, chez les medias et analystes arabes, pour expliquer les coups durs reçus par le Hizbollah ces dernières semaines : l’explication par la trahison.

La trahison

Mais la trahison ne serait-elle pas une explication trop facile. Dans tout conflit, il faut faire avec les trahisons. S’en préserver, les combattre est une part de la lutte contre l’ennemi.

La lutte contre la trahison est d’abord une question d’organisation, de rigueur ; elle exige une lucidité extrême sur la nature de l’ennemi.

L’erreur commise par Nasrallah, de se réunir dans le siège si connu de son mouvement, peut-elle seulement s’expliquer par la trahison. Ne serait-elle pas due à l’idée qu’Israël ne franchirait pas cette ligne rouge, son assassinat direct, en tant que le principal dirigeant libanais ? C’est souvent le cas dans les conflits où il y a une sorte d’accord implicite sur ce point, une ligne rouge, celle de l’assassinat des dirigeants adverses, et que le franchissement de cette frontière fait passer à une autre dimension du conflit. N’y a-t-il pas eu là la sous-estimation de la nature fondamentalement perfide et sans scrupules du sionisme comme l’a montré toute l’histoire de la résistance palestinienne. C’était ne pas vraiment comprendre qu’Israël était capable de tout, au sens littéral du terme. L’exemple des bippers, celui du génocide de Gaza le prouvaient pourtant.

La sous-estimation de l’ennemi, de ses caractéristiques, c’est la seule explication qui vient à l’esprit pour une pareille erreur.

La comparaison la plus proche avec la lutte nationale en Palestine et au Liban est celle de la lutte de libération algérienne. Ce qui a peut-être éclairé et protégé le combat de l’Algérie, la lutte menée par le FLN, c’est que toute l’histoire de ce combat, depuis les premiers jours funestes de la conquête coloniale, avait appris au mouvement national la nature fourbe et machiavélique du colonialisme. Lorsqu’après bien des déboires, des tromperies, des échecs douloureux, le mouvement national s’est pénétré de cette certitude, s’est doté de ce "blindage", il a alors été prêt à affronter le colonialisme et le vaincre.

Le Liban et l’Algérie

On donne souvent comme argument les particularités du Liban, la proximité d’Israël, la présence au Liban même de forces politiques qui ont pactisé avec Israël pendant la guerre civile jusqu’à commettre avec lui les massacres de Sabra et Chatila, l’hostilité de ces forces au Hizbollah, leurs connexions avec Israël et l’ancienne puissance coloniale, la France. Il y a certes de tout cela au Liban et qui peut expliquer la présence de relais à la trahison.

En Algérie, le premier novembre 1954, les conditions étaient, par certains côtés plus difficiles qu’au Liban. Les Algériens étaient 9 millions. La communauté coloniale française comptait plus de 1 millions de membres. Il y avait 130 000 juifs naturalisés français et qui étaient pour leur quasi-totalité partisans de l’Algérie coloniale française. Beaucoup de leurs descendants se trouvent aujourd’hui en Israël parmi les colons les plus actifs et les plus extrémistes contre les Palestiniens. Il y avait en Algérie environ 1 million de militaires français armés et équipés par les Etats Unis et l’OTAN. Il faut y ajouter 300 000 harkis, supplétifs de l’armée française. Il faut aussi mentionner les familles algériennes proches de la France, ou avec des sentiments et des positions hésitantes ou ambigües. Enfin, il n’y avait pratiquement aucune possibilité pour l’ALN d’obtenir des armes comme c’est le cas pour la résistance libanaise. L’Algérie était enfermée à ses frontières Est (Tunisie) et Ouest (Maroc) par deux lignes électrifiées et minées de 750 km chacune les lignes Morice, renforcées à l’Est par la ligne Challe. Il n’y avait qu’une seule possibilité pratiquement de combattre : prendre ses armes à l’adversaire. Sans parler du contexte international où le colonialisme était encore dominant en Afrique etc.

Ce tableau de la situation à l’époque en Algérie est bien la preuve que les résistances libanaise et palestinienne peuvent elles aussi vaincre.

Ils sont en réalité faibles

En 1945, le colonialisme français s’était livré à une immense boucherie, tuant 45 000 algériens. L’armée et les colons brulent les corps des algériens par milliers dans un four crématoire comme à Auschwitz, Buchenwald et Dachau. Les témoins parlent "d’une insupportable odeur de chaire brûlée" (1)
Le général Duval, qui mène la répression sur ordre du general De Gaulle, président du gouvernement provisoire français, dira, le 16 mai 1945, dans un rapport à ses supérieurs : "Je vous ai donné 10 ans de paix" (1). Il ne croyait pas si bien dire : 10 ans environ après, en 1954, éclatait la révolution libératrice algérienne.

De même, en Palestine, et au Liban, la lutte libératrice continuera et reprendra sans fin, encore et encore, jusqu’à épuisement de l’ennemi. Les nations ont le temps pour elles.

Comme en Palestine et au Liban, les résistants font des erreurs, mais ils s’en remettent. En Algérie, l’armée française avait utilisé les mêmes méthodes que les Israéliens aujourd’hui, celle de distiller la méfiance et la paranoïa dans les rangs du FLN et de l’ALN, en faisant croire qu’ils avaient de nombreux agents et informateurs dans les rangs de la résistance algérienne. Cela avait donné lieu à ce douloureux drame connu sous le nom de "bleuite", à la fin de l’année 1957, où beaucoup de combattants sincères avaient été soupçonnés et avaient perdu la vie. On peut remarquer qu’actuellement tout le réseau des médias occidentaux, en liaison avec les agents israéliens déclarés ou masqués, s’acharnent à diffuser cette méfiance dans les rangs de la résistance arabe à Israël et aux Etats Unis.

Autre exemple concernant l’Algérie : le 22 octobre 1956, cinq des principaux dirigeants de la révolution algérienne avaient commis l’imprudence de voyager ensemble dans un avion de la compagnie "Air Atlas-Air Maroc". L’armée française ne pouvait rater une si belle occasion pour décapiter la révolution algérienne. L’avion est détourné : un acte de brigandage international. Les responsables algériens avaient probablement cru au respect du droit international dans le camp français. La surestimation des scrupules de l’adversaire, en fait la sous-estimation de sa nature réelle, n’ont donc rien de nouveau. Par ces arrestations, le colonialisme avait cru ainsi arrêter la révolution algérienne. Les dirigeants algériens ont été aussitôt remplacés. On connait la suite de l’histoire. Comme elle le sera au Liban et en Palestine sans l’ombre d’un doute.

Non, ils ne sont pas forts. Ils sont en réalité faibles stratégiquement. Ils ont peur, l’humanité est désormais, pratiquement unanime, à les rejetter. La politique génocidaire et sanglante sans discontinuité d’Israël, à l’ombre des Etats Unis, est un immense aveu de faiblesse. Car ils n’ont pas d’autre politique. Aucune victoire sur le long terme, une victoire morale, civilisatrice n’a jamais été remportée ainsi.

Salah Eddine El Ayoubi, en libérant Jérusalem des croisés, avait refusé toute répression malgré les crimes commis par ceux-ci, "Le sang appelle le sang", avait-il dit pour expliquer pourquoi il épargnait l’ennemi dès lors vaincu. Il s’en est suivi des siècles de paix en Palestine... avant l’arrivée du sionisme.


(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacres_de_S%C3%A9tif,_Guelma_et_Kherrata

URL de cet article 39899
   
Cuba, Fidel et le Che - ou l’aventure du socialisme
Danielle BLEITRACH, Jacques-François BONALDI
Voilà notre livre, il est enfin sorti de l’imprimerie, tout chaud comme un petit pain… Il faut que je vous explique de quoi il s’agit, comment se le procurer s’il vous intéresse et comment organiser des débats autour si bien sûr vous êtes en mesure de le faire… Danielle Bleitrach D’abord sachez que ce livre inaugure une collection du temps des cerises, collection qui portera le nom "aventure du socialisme" Je reviendrai sur cette idée du socialisme comme aventure. L’idée (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Si le Président se présente devant le Peuple drapé dans la bannière étoilée, il gagnera... surtout si l’opposition donne l’impression de brandir le drapeau blanc de la défaite. Le peuple américain ne savait même pas où se trouvait l’île de la Grenade - ce n’avait aucune importance. La raison que nous avons avancée pour l’invasion - protéger les citoyens américains se trouvant sur l’île - était complètement bidon. Mais la réaction du peuple Américain a été comme prévue. Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qui se passait, mais ils ont suivi aveuglement le Président et le Drapeau. Ils le font toujours ! ».

Irving Kristol, conseiller présidentiel, en 1986 devant l’American Enterprise Institute

Le 25 octobre 1983, alors que les États-Unis sont encore sous le choc de l’attentat de Beyrouth, Ronald Reagan ordonne l’invasion de la Grenade dans les Caraïbes où le gouvernement de Maurice Bishop a noué des liens avec Cuba. Les États-Unis, qui sont parvenus à faire croire à la communauté internationale que l’île est devenue une base soviétique abritant plus de 200 avions de combat, débarquent sans rencontrer de résistance militaire et installent un protectorat. La manoeuvre permet de redorer le blason de la Maison-Blanche.

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.