Alfred de Zayas (1) : Du 26 novembre au 4 décembre 2017, j’ai effectué la première visite au Venezuela d’un rapporteur des Nations Unies depuis 1996. Alors que de nombreux pays accueillent les rapporteurs, beaucoup ne le font pas, en partie parce qu’ils perçoivent les rapporteurs comme a priori hostiles et non indépendants. Lorsque les États s’attendent à ce que les rapporteurs fassent principalement de la grande publicité au lieu d’écouter les parties prenantes et de formuler des recommandations constructives, les invitations ne seront pas envoyées. Dans mes 13 rapports précédents au Conseil et à l’Assemblée générale, j’ai fait preuve d’une approche axée sur les résultats et proposé des solutions pragmatiques à des problèmes concrets. Je suis donc heureux d’avoir ouvert des portes à d’autres rapporteurs, deux nouvelles visites étant en cours de préparation.
Certes, mes compétences étaient limitées par les termes de référence du mandat de l’ordre international (2). Je n’étais pas un super-rapporteur et ne pouvais donc pas me concentrer sur les problèmes para-institutionnels, la liberté d’expression, l’indépendance des juges ou les droits à l’alimentation et à la santé, pour lesquels les autres rapporteurs sont compétents. Néanmoins, j’ai reçu et transmis des pétitions sur ces questions, dont certaines ont été intégrées à mes recommandations, et j’ai obtenu la libération de 80 détenus et l’adoption de nouveaux accords de coopération entre les agences des Nations Unies et le gouvernement (3).
Au cours des dernières années, les médias ont beaucoup parlé des problèmes économiques et des droits de l’homme au Venezuela.
En 2016, le Venezuela a été examiné dans le cadre de l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme. Son quatrième rapport au Comité des droits de l’homme et son troisième rapport au Comité des droits économiques, sociaux et culturels ont été examinés en 2015, les deux comités émettant des recommandations que j’ai soigneusement étudiées, ainsi que des rapports de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, du Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, de Human Rights Watch, très conscient de la nécessité méthodologique d’écouter tous, audiatur et altera pars. Lorsque j’étais au Venezuela, j’ai rencontré des intervenants de toutes les tendances politiques, des membres de l’opposition, de l’Assemblée nationale, des professeurs d’université, des églises, des organisations non gouvernementales dont Amnesty International, PROVEA, Fundalatin et le Grupo Sures, qui m’ont aidé à comprendre la complexité des conflits démocratiques et constitutionnels ainsi que la pénurie actuelle de certains aliments, médicaments et produits d’hygiène personnelle, les problèmes liés à l’amassage, le marché noir, la contrebande, la corruption, le sabotage et l’inflation causée par des sabotages.
Bien entendu, il ne suffit pas d’observer l’existence d’une crise économique. Le défi consiste à en comprendre les causes - ce qui est devenu évident après avoir digéré des masses de documentation et de statistiques. Un problème majeur est la dépendance de l’économie vénézuélienne à l’égard de la vente du pétrole - une situation qui prévaut depuis le début du XXe siècle. Bien que le gouvernement se soit efforcé de diversifier ses activités, la conversion est lente. La chute spectaculaire des prix du pétrole n’a pas été favorisée par les contraintes idéologiques du Chavisme. Puis ont suivi des mesures coercitives unilatérales, y compris des sanctions et des blocus financiers, qui ont aggravé la situation. Par exemple, lorsqu’en novembre 2017, le Venezuela a eu besoin de médicaments antipaludiques, la Colombie a refusé de les livrer et le Venezuela a dû acheter en Inde. J’ai appris que pour éviter les pénalités américaines, de nombreuses banques ont fermé des comptes vénézuéliens et d’autres banques ont refusé d’effectuer des transferts, des paiements internationaux de routine, y compris pour l’achat de nourriture et de médicaments. En fin de compte, les sanctions économiques tuent.
La guerre économique a commencé avec l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir il y a vingt ans.
La guerre économique n’a pas commencé avec les sanctions de 2015, mais déjà avec l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir il y a vingt ans. L’ingérence extérieure dans les affaires du gouvernement Chavez a notamment consisté à aider à organiser et à financer le coup d’État manqué d’avril 2002. Ceci est parallèle à la guerre économique contre Salvador Allende du Chili de 1970-1973, qui a pris fin avec le putsch de Pinochet. Comme Nixon l’a dit à Kissinger en 1970, un modèle socio-économique alternatif ne serait pas toléré et l’économie chilienne devait hurler de douleur. (4)
Alors que le principe de non-intervention du droit international et l’article 19 du chapitre 4 de la Charte de l’OEA interdisent expressément toute ingérence dans les affaires politiques et économiques des États, des sanctions ont été imposées dans le but d’asphyxier l’économie du Venezuela et de faciliter le changement de régime. On parle de plus en plus d’une "crise humanitaire" et de l’émigration du Venezuela vers les pays voisins. Le récit vise clairement à rendre une " intervention humanitaire " militaire, comme en Libye en 2011, plus acceptable pour l’opinion publique mondiale. Cependant, la situation au Venezuela n’atteint pas le seuil d’une crise humanitaire, comme me l’ont confirmé les responsables de la FAO et de la CEPAL, rien de comparable à Gaza (5), Haïti (6), Somalie (7), Soudan (8) ou Yémen (9).
La tâche la plus noble du Conseil des droits de l’homme est d’aider les peuples à réaliser leurs droits fondamentaux. En conséquence, la solution à la crise vénézuélienne doit passer par la médiation, comme ce fut le cas en République dominicaine en 2016-18 sous la direction de l’ancien Premier Ministre espagnol Zapatero. Le jour de la signature, le 7 février 2018, et à la surprise générale, l’opposition vénézuélienne a refusé de signer. Dans mon rapport qui sera présenté à la 39e session du Conseil, je propose de reprendre les négociations (A/HRC/39/47/Add.1). En attendant, si nous voulons aider le peuple vénézuélien, nous devons veiller à ce que les sanctions soient levées et que la guerre économique prenne fin.
Alfred de Zayas
sur le site de l’ONU : https://www.unspecial.org/2018/09/successful-un-mission-to-venezuela/
Quelques informations générales
Depuis que Chavez a inauguré la "Revolución Bolivariana" au Venezuela en février 1999, les économies néolibérales du monde entier craignent que les différents modèles socio-économiques, également pratiqués en Bolivie, à Cuba, en Équateur et au Nicaragua, ne soient copiés ailleurs. L’expérience lancée par Chavez a permis de promouvoir les droits économiques et sociaux, en partie au détriment des droits civils et politiques, par exemple la liberté d’expression et la participation politique. Le système a bénéficié aux classes les plus pauvres du Venezuela, deux millions d’appartements bon marché ayant été construits et donnés à des Vénézuéliens démunis, l’éducation gratuite du primaire à l’université fut instaurée.
Lorsque Chavez est décédé d’un cancer en mars 2013, son successeur désigné, le syndicaliste et ancien vice-président Nicolas Maduro, a été élu à une faible majorité sur le candidat de l’establishment Henrique Capriles. L’opposition accuse le gouvernement d’être antidémocratique et incapable de résoudre la crise économique actuelle, qu’elle attribue à l’incompétence et à la corruption du gouvernement, combinées à son idéologie inflexible qui démotive les entreprises et les investissements. On prétend que le Venezuela, qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde, est devenu une économie en faillite et que la "crise humanitaire" qui en résulte justifie une intervention humanitaire. Maduro soutient cependant que les difficultés du Venezuela sont causées par une guerre économique et des sanctions illégales imposées au Venezuela depuis 2015, qui aggravent la crise provoquée par la chute des prix du pétrole, qui constituent 95% des revenus du Venezuela. En 2015, l’opposition a remporté la majorité à l’Assemblée nationale, qui a tenté de mettre fin au mandat présidentiel de Maduro. En réponse, Maduro a invoqué les articles 347 et 348 de la Constitution vénézuélienne et appelé à la création d’une Assemblée constitutive nationale.
Le 20 mai 2018, Maduro a été réélu Président avec une participation populaire de 46,1% dont 67,8% ont voté pour Maduro pour un nouveau mandat de six ans. Une partie de l’opposition a boycotté les élections. Compte tenu de la polarisation de la société vénézuélienne, l’impasse entre le gouvernement et l’opposition doit être résolue par le dialogue et la médiation. Le gouvernement rappelle qu’en avril 2002, l’opposition a tenté de renverser Chavez par un coup d’Etat raté de deux jours et que le 4 août 2018, un drone à Caracas semble avoir visé Nicolas Maduro lui-même.
Traduction "tel un saumon qui remonte à la source" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles