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Mieux que le RIC révocatoire, les convocations populistes.

Voici un extrait d’une réflexion plus globale sur une forme de pouvoir législatif populiste, c’est-à-dire qui défend les intérêts du peuple. Il décrit un nouveau droit à accorder aux citoyens sur leurs élus.

Le peuple étant souverain, il doit aussi pouvoir réclamer des comptes à ses élus. Il aura donc l’initiative de rencontres obligatoires via les convocations populistes. Elles sont déclenchées par une centaine de citoyens (de quoi remplir une salle) qui jurent sur l’honneur de s’y rendre et désignent l’un d’eux pour présider cette rencontre. Celui-ci contacte les services du parlement et communique l’ordre du jour, le lieu, la date et le parlementaire souhaités. Ceux-ci essaient de satisfaire au mieux toutes les demandes concurrentes en fonction de critères purement pratiques : proximité géographique du parlementaire, priorité aux régions les moins visitées, aux parlementaires les moins sollicités, priorité liée au caractère de l’ordre du jour. Ils peuvent proposer de fusionner des rencontres et de procéder éventuellement par téléconférence pour les territoires ultramarins.

Certaines convocations populistes auront un caractère d’urgence car leur intérêt pourrait être nul ou amoindri passé une certaine date. Les services du parlement devront donc avoir les moyens de faire respecter ces délais, la seule contrainte indépassable étant le nombre de parlementaires disponibles. Une fois le rendez-vous convenu, les municipalités sont tenues de mettre à disposition une salle, voire le service d’ordre et les médias locaux sont tenus d’en faire la publicité. Si les citoyens demandeurs estiment que cette réunion aurait plus de force à se tenir sur le lieu même de leur travail, y compris pendant leur temps de travail, alors leur employeur sera tenu aux mêmes obligations que les municipalités. Les services du parlement prennent en charge l’enregistrement vidéo de la rencontre pour le mettre ensuite en libre accès. Les parlementaires sont tenus d’accepter au moins une rencontre par semaine pendant la session parlementaire. Ils ne peuvent intervenir sur le choix de la convocation qui leur a été attribuée comme un juge ne peut choisir les affaires qu’il doit juger. Ils ne peuvent invoquer leur planning pour refuser. Le peuple étant souverain, il est prioritaire et ils doivent adapter leur agenda au rendez-vous pris par les services du parlement. En cas de manquement, ils sont pénalisés financièrement et peuvent être démis de leur mandat.

Les citoyens peuvent donc utiliser ces convocations pour manifester leurs inquiétudes face à tel scandale environnemental, à tel plan de licenciement en masse, à tel projet de loi, à telle provocation verbale d’un élu. Les députés de la majorité devraient logiquement être les plus sollicités car ils exercent le pouvoir, mais ceux qui tiennent des propos démagogiques contre les immigrés, les chômeurs, seront aussi les « victimes » toutes désignées des associations qui les défendent, ceux qui sont vendus aux lobbies seront les bouc-émissaires favoris des journalistes, des universitaires, qui enquêtent sur les scandales publics. Les parlementaires devront donc répondre de leurs actes personnels ou de ceux de leur groupe. Et on attend d’eux qu’ils les assument, qu’ils exposent leurs convictions, leurs arguments sans faux-fuyants. Ces rencontres seront la seule forme de lobbying autorisée envers ceux-ci. Aux lobbies donc de trouver une centaine d’agents pour susciter les rencontres qui défendront leurs intérêts, qui pourront être vues de tous et auxquelles tout le monde pourra aussi participer.

Ce simple pouvoir de convocation pour les citoyens, cette formelle obligation de présence pour le parlementaire ne sont pas un énième avatar dilatoire de la démocratie participative mais bien une tribune révolutionnaire qui est offerte au peuple, un tribunal révolutionnaire même, où les faibles sont assis en haut et les puissants debout en bas. On le prouvera tout simplement en étendant ce pouvoir de saisie des citoyens à tout directeur d’administration dans le public, à tout président directeur général ou directeur des ressources humaines dans le privé. Ce n’est pas l’élu ou l’administration qui invite pour faire semblant d’écouter, c’est la rue qui réclame des comptes et à qui l’on est obligé d’en rendre. On rompt ainsi avec un des principes fondamentaux des institutions oligarchiques : protéger les décideurs des conséquences délétères de leurs actes. Ici ils ne pourront plus fuir, faire semblant de ne pas entendre, de ne pas être au courant. Ils devront assumer.

Les convocations populistes sont un entraînement permanent de la population à l’action politique. Face à l’inanité d’un parlementaire, elle s’enhardira de mener l’un des siens à l’Assemblée Nationale pour les prochaines élections. L’obligation de la rencontre physique pose le rapport de force. L’ambiance ne sera pas celle stérilisée de l’entre-soi des plateaux télé : les opprimés joueront à domicile avec leur public, leurs codes, et le choix des armes, unis contre un seul. Pour une fois les parlementaires issus du même milieu social que l’assistance ou qui le fréquentent seront bien plus à l’aise que ceux des métiers de la parole formatés dans les grandes écoles.

Ces rencontres filmées sont des témoignages de la vie des gens, de leurs difficultés, de leurs inquiétudes. Alors que le système médiatique les ignore totalement, ils seront ici les héros permanents et uniques. Ils se rendront compte que leur sort est partagé par des millions d’autres personnes. Ils verront s’exprimer toutes les injustices d’un ordre du monde inique. Ces rencontres formeront une conscience publique affûtée de la situation profonde du pays. Et face à la colère crescendo du public, il n’y aura plus d’autres moyens pour le pouvoir que de s’atteler enfin à la lutte contre toutes les inégalités.

Le pacte implicite qui sera signé entre l’assistance et le parlementaire à l’issue de cette convocation n’aura certes nulle force légale, mais le parlementaire qui le rompra déchirera aussi le contrat politique qui l’a fait législateur et il entraînera dans sa chute d’autres dominos. Dans de telles circonstances, il aurait mieux fallu pour l’élu capituler sans honneur car il aurait circonscrit l’incident à sa simple personne. Enfin il ne restera au représentant qui maintient son désaccord contre l’assistance qu’à gagner son respect par son courage et son intégrité. Il pourra essayer de faire venir une claque mais le citoyen qui préside la rencontre est seul responsable de son déroulement et conduit les débats selon son bon vouloir, comme un juge dans son tribunal. Comme les convocations sont filmées, aucune des parties n’aura intérêt à ce qu’elles dégénèrent. Elles devraient plutôt chercher à maîtriser les pratiques d’agitprop, les recettes de Saul Alinsky, pour emporter la joute sans rendre la discussion confuse. Les convocations populistes auront d’autant plus d’impact qu’elles sont révélatrices d’inquiétudes partagées parmi la population qui les suivra alors de près. Si elles visent simplement à harceler ou louanger des parlementaires, elles ne susciteront aucun intérêt et décrédibiliseront leurs investigateurs aux yeux de tous et notamment aux yeux des services du parlement qui déclasseront les futures requêtes du président qui les aura organisées.

Les convocations populistes sont des procédures plus simples et plus rapides et de ce fait tout aussi régulatrices que les référendums révocatoires. Ceux-ci sont d’ailleurs inopérants pour un scrutin national proportionnel : jamais les électeurs ne se passionneront pour le sort d’un parlementaire parmi plus de mille. Seules les personnalités les plus connues pourraient faire l’objet d’un tel enjeu, mais se serait au prix d’un détournement de l’objet de ce référendum, car cette notabilité aura été choisie non pour ses actes ou ses paroles mais pour le symbole qu’elle représente en tant que chef de parti par exemple.

Ainsi on peut faire le pari que même sans générer aucune obligation, autre que celle de la présence de l’élu, ou du responsable public ou privé, ces convocations populistes, peuvent donner au peuple un pouvoir bien plus grand que le mandat impératif ou le RIC révocatoire, car elles sont rapides à mettre en place et largement diffusées. Elles peuvent en cas de crise transformer le pays en assemblée générale permanente sans empêcher le gouvernement de travailler... pour peu qu’il réponde aux attentes exprimées. Sinon elles seront les foyers parfaits pour une révolution générale.

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