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Rencontre avec C. O’Reilly, Pacifiste aux cotés d’Assange.

Cioran O’Reilly, face à la prison de Belmarsh, 2 mai 2019.

Ciaron O’Reilly campe en face de la prison Belmarsh. Moins présentable sans doute que le pimpant Julian Ball, détracteur d’Assange, le « catholique-anarchiste-pacifiste » australien n’a pas vraiment intéressé les médias. Normal. . . . . . . . . . Non ?

Aux dires des britanniques, la défense citoyenne de Julian Assange est dans une phase « embryonnaire », quoiqu’en ce 2 mai ensoleillé-pluvieux, journée top-départ de la procédure d’extradition d’Assange aux États-Unis, le nombre d’indignés assemblés devant la cour de Westminster soit en nette hausse. En attendant, la justice anglaise gardera au chaud Assange pendant 350 jours. En coupant la poire en deux, cela donne (au pif) quatre à six mois aux démocractivistes pour faire monter en puissance la défense d’Assange. Gare à la creuse période estivale… Pour creuser la face juridique, lire absolument cette traduction de La procédure judiciaire contre Assange est bancale : « ... grâce au traité d’extradition avec le Royaume-Uni, nous savons que les États-Unis disposent de 65 jours pour déposer leurs accusations définitives à compter du moment où ils ont présenté leur demande d’extradition », autrement dit la première bataille se joue à la mi-juin.

Fraichement arrivé et préalablement dépouillé de mon matériel de travail dans un bled français, j’avais besoin de calme. C’est donc à la prison de Belmarsh que je me rendis - légèrement déconnecté -, pris quelques images de l’hôtel low-cost de Julian Assange, avant de les effacer face aux deux agents m’informant qu’on ne photographie pas cet établissement public de statut non-public (c’est en gros ce que j’ai compris). Les neuf pseudo-terroristes qui y ont séjourné gratos trois ans durant puis relâchés en l’absence de preuves, me font dire que non-public est ici synonyme de non-droit. Mais bon.

Sur le terre-plein routier, un baraquement vide arbore des écriteaux ; à propos du juge ayant prononcé 50 semaines de prisons ferme pour « demande d’asile », on lit : « Qu’attendre d’un porc sinon qu’il se mette à grogner ? ». La quiétude recouvrée, le reporter s’assied face aux chauffeurs de véhicules curieux, voir solidaires ; « Ce sont surtout les noirs qui applaudissent », affirmera plus tard Allan, de retour de Westminster, précisant que Belmarsh est une zone fortement peuplée de ressortissants africains. 

Après quelques joviaux échanges avec les routiers, un hôte inattendu se pointe ; peu dire que c’est un proche d’Assange : il a fait le pied de grue dans l’impasse de l’ambassade d’Équateur, l’a suivi à Belmarsh, lui a fourni des gardes du corps, est né dans le Queensland en Australie comme Assange, connait sa mère, la mère de Chelsea Manning… Le témoin idéal, quoi. Sauf qu’il a des dreadlocks. Sauf qu’il a pété des B52 à coups de marteaux dans une zone militaire New Yorkaise en 1991, avec ses collègues du « Catholic Workers Movement » ; qu’il a cumulé deux ans de prison. Qu’il a consacré sa vie entière à la lutte anti-guerres, du Vietnam aux deux guerres d’Irak… Comment voulez-vous défendre Assange avec ça  ?? Un journaliste propre sur lui se brûlerait la langue rien qu’à tailler la bavette avec lui.

Moi, je suis pas sérieux. Je me plante de rendez-vous. J’ai plus de téléphone (merci à Ciaron qui m’a offert ses dernières unités). Je suis “subjectif“. Bref, on n’est pas “crédible“.

Et on n’a rien à perdre.

Aux sources du pacifisme de Julian Assange

Ciaron O’Reilly, de onze ans l’ainé de Julian Assange, tient à raconter l’histoire particulière de cet état du nord-est de l’Australie qu’est le Queensland. Dans les années 60, la contestation populaire de la guerre du Vietnam y est si forte que le gouverneur suspend l’état de droit (« civil rights  »), avant d’imposer en 1971, date de naissance d’Assange, l’instauration d’un état d’urgence. Depuis Hollande et maintenant Macron, on sait ce que cela signifie ; interdictions virtuelles de manifester, emprisonnement abusif des militants, terreur policière… Les australiens précocement déniaisés auraient-ils de l’avance sur nos tardives désillusions ? À cela s’ajoute un fort « mouvement anti-nucléaire, qui aboutit une nouvelle fois à la suspension des droits civils en 1977 », dans un contexte où l’ état du Queensland, producteur d’Uranium, approvisionnait l’Iran dirigée par le Shah.

Ciaron remonte loin au temps de la colonisation du territoire : « Les colons anglais voulaient se débarrasser des indigènes qui refusaient la spoliation de leurs terres », d’où la nécessité de faire esclaves « les irlandais et les travailleurs des docks originaires de l’est londonien, les cockneys ». Ces australiens savent depuis longtemps que l’exploitation coloniale « n’est pas une affaire de couleur de peau », ce qui explique le caractère revêche d’une partie de la population dont O’Reilly, d’origine irlandaise, fait partie. Ayant baigné dans un tel milieu, Julian Assange a développé un esprit farouchement anti-guerre, en réaction à l’impérialisme américain ; car cette militance anti-guerre et anti-nucléaire a perduré et s’est répandue dans toute l’Australie, et il ne faut pas oublier que les essais nucléaires français ordonnés par le président Jacques Chirac en 1996 ont suscité une animosité tenace des australiens envers la politique française. Cet esprit anti-guerre s’est ancré culturellement, à travers des groupes de rock australiens comme Midnight Oil, cité par Ciaron O’Reilly, qui en ont fait un thème récurrent.

Le choix par WikiLeaks de publier les échanges compromettants pour Hillary Clinton prennent ici tout leur sens. Elle a voté pour l’attaque de l’Irak en 2003. Ses mails qui font état de l’infiltration d’une taupe dans le camp “ami“ de Bernie Sanders. Cette femme politique incarne une forme de cynisme qui se nourrit inconsciemment d’une prétention à la supériorité non pas d’une culture ou d’une nation vis à vis d’une autre, mais d’une “intelligence“ supérieure et sans frontière, susceptible de justifier les pires exactions ; ce Haut-Cynisme déjà évoqué dans nos pages. C’est de pure cohérence éthique, politique et stratégique qu’il s’agit quand Assange fait pencher - mais si peu - la balance en défaveur d’Hilary Clinton. Trump ou Clinton, qui est assez naïf pour croire que cela changerait l’attitude impérialiste des Etats-Unis ? L’impact recherché par WikiLeaks est de long terme, et très logiquement indifférent au rôle ou aux bénéfices de la Russie dans cette affaire ; l’ esprit hautement cynique se retrouve évidemment aujourd’hui encore, dans la manière que les gouvernants français ont d’envisager la “coopération“ avec les pays africains, tellement hypocritement “décolonisés“.

C’est d’ailleurs un double message que Ciaron O’Reilly nous envoie quand il constate que l’exploitation n’a pas de couleur. Ce que les gilets jaunes révèlent en ce moment, souvent sans le comprendre, c’est que leur situation de travailleurs exploités procède d’un identique cynisme. L’indifférence pérenne d’une majorité de français eu égard à l’inacceptable comportement de leurs dirigeants envers les territoires et habitants mis sous “notre“ coupe, indifférence entretenue par l’appareil éducatif et médiatique sous fond d’injonctions aux petits plaisirs de consommateurs qui nous infectent tous, cette indifférence est tout simplement en train de nous retomber sur le coin de la gueule, et ce dans des strates sociales de plus en plus élevées. Ceux qui y réchapperont à terme ne sont pas les gens les mieux formés, ce sont les gens les plus vils. Nietzsche appelle ça le « dernier homme », celui qui survit le plus longtemps dans un paysage qu’il détruit lui-même.

Méandres aux pays du dogme

Avec ses compères de WikiLeaks, Julian Assange produit une information qu’il diffuse après en avoir vérifié l’intégrité. En cela, il est journaliste. Mais au contraire d’un organe de presse, WikiLeaks n’est pas soumis aux contraintes des institutions politiques. Ils peuvent ainsi privilégier leur vision éthique par rapport aux contingences politiques et étatiques. Cette indépendance leur permet d’appliquer une vision de long terme.

À la question « Are you driven by ethics or politics », Ciaron O’Reilly répond sans ciller « ethics ». Le temps long de l’Histoire prime sur la cuisine politique de l’instant. « Nous pensons que dès que l’anarchiste-pacifiste se compromet avec le christianisme, il se soumet à l’Empire », ajoute O’Reilly. En tant que « catholique » doté d’un esprit critique, Ciaron expurge d’emblée les jeux de pouvoir co(l)portés par le clergé pendant des siècles. De la même manière qu’un mouvement politique consolide sa pensée ou praxis grâce à des écrits philosophiques, les « Catholic workers » aguerris à la geste intellectello-manuelle puisent dans les écritures pré-chrétiennes. Ils s’inscrivent dans la lignée de l’ouvrier-philosophe catholique Peter Maurin (1877-1977), français ayant émigré aux amériques ; son altère-ego de terrain Dorothy Day écrit (*) : « Notre vision est celle d’un autre système, d’un autre ordre social, d’une société où, selon les termes de Marx et Engels, chacun travaille selon ses capacités et est rétribué à la mesure de ses besoins. Ou bien, comme Saint Paul l’affirme : Renoncez à votre abondance, alimentez leurs volontés légitimes (**) ». La double-citation redouble la portée :

1. Marx au niveau de Saint Paul. L’esprit-s’émancipant cherche la parole intègre qui fortifie ses expériences-intuitions, faisant fi des cloisons artificielles, et lorsque Guy Debord le paro-lie, il n’a « plus de patrie, plus de colonie, tout le pouvoir il le nie » (***).

2. Le propos révolutionnaire incombe à Saint Paul. Quand Marx accorde au travailleur des « besoins », Saint Paul lui attribue une volonté, que dis-je, des désirs. Le parallèle citationniste inversé de Gray Dorothy antérieur à Guy Debord put bien être prémédité, il n’en n’eût été que plus parlant quant à la visée des « Catholic Workers ».

1916. Au centre, Dorothy Day, fer de coeur des "Catholic Workers", desquels Ciaron O’Reilly fait partie. D.Day est ici en campagne WWI protest été 1917, contre l’entrée en guerre des États-Unis. © Catholic Workers

Les écrits nous manipulent, manipulons les écritures, pourrait-on dire. Que celui qui n’a jamais manipulé jette la première pierre. Tout est manipulation, la vraie question est qui manipule, comment, implicitement ou explicitement, par l’effort effectué ou non de remises en cause internes au mouvement - « Catholic Workers » ou tout autre - et donc des habitus individuels assouplis par les instabilités induites-voulues.

C’est dans la confession que Dorothy Gray livre sa fibre catholique, « I had lost faith in revolution, I wanted to love my enemy, whether capitalist or Communist. ». L’amour en premier, avant la récitation « aimez-vous les uns les autres ». Bien avant. Les saintes écritures sont contemporaines de la grèce antique, riche d’une Athènes qui plaçait la philia, l’amour-amitié citoyenne, au coeur de ses concepts démocratiques. La discipline philosophique et la démocratie s’y sont inventées conjointement. Ces pratiques originelles recèlent quatre notions : Philia, Sophia, Demos, Kratos. Amour, Sagesse, Peuple, Pouvoir. La mess est dite.

O’Reilly , les académiques écritures, Assange

Revenons en à nos moutons dreaddélockés, connaisseurs de la répression étatique versant intellectuel. « Les penseurs académiques sont payés pour leur silence », affirme Ciaron O’Reilly exemple à l’appui. Le politologue Norman Finkelstein critique suffisamment l’état d’Israël pour se faire taxer d’anti-sémitisme ; sauf qu’il est juif. Qu’à cela ne tienne, un gardien de la pensée droite capé à Harvard, le professeur Alan Dershowitz, déclare que « dire que Finkelstein est un scientifique est un mensonge, il fait de la propagande ». « Il ne s’est pas laissé vendre, donc il s’est fait mettre au rencard  », corrige Ciaron. En 2007 l’université DePaul de Chicago lui interdit d’enseigner. Le professeur d’Harvard se case dans le conformisme académique où O’Reilly décèle une « censure internalisée ». La pensée unique n’est pas qu’à chercher dans les dogmes religieux, ni les rituels punitifs anti-hérétiques.

Dès lors que les actes se jugent à l’aune des académiques écritures, la morale se mue en moralisme délétère frappé du sceau d’officiel, appui idéal pour les canaux de transmission médiatiques. Ciaron a conservé une jolie image de sa période en bas, sad eh quoi ! Terrienne !! : « Je donnais à manger aux pigeons, et la nature est ainsi faite qu’ils me rendaient par chiure. Ma relation avec ces pigeons est la même que celle d’Assange avec les médias ; il les nourrit et ils lui chient dessus ».

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"This book shows why the Julian Assange case is one of the most important press freedom cases of this century or any other century."—James C. Goodale, former Vice Chairman and General Counsel of The New York Times. “I think the prosecution of him [Assange] would be a very, very bad precedent for publishers … from everything I know, he’s sort of in a classic publisher’s position and I think the law would have a very hard time drawing a distinction between The New York Times and WikiLeaks.” (…)
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Quelqu’un qui a avalé la propagande sur la Libye, la Syrie et le Venezuela est bête, du genre avec tête dans le cul. Quelqu’un qui a rejeté la propagande sur la Libye et la Syrie mais avale celle sur le Venezuela est encore plus bête, comme quelqu’un qui aurait sorti sa tête du cul pour ensuite la remettre volontairement.

Caitlin Johnstone

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