Quelque peu obnubilé, on le comprend, devant l’interview donné par le président russe à un Hermès arrivé en sandales ailées depuis les EU, Papa Mendelssohn a pris du retard dans ses travaux.
Par ailleurs, il hésite à faire le bouffon chez les successeurs de Karl von Clausewitz, d’autant plus que sous la plume de Jacques Baud entre autres, depuis la fatidique date de février 2022 des études de qualité sont parues en Occident concernant le concept de Maskirovka dans la pensée militaire russe et soviétique.1
D’aucuns peinent cependant à percevoir le gouffre entre la tactique de tromper l’ennemi qui est Maskirovka, et la stratégie de déception actuellement déployée par les Suspects habituels en Occident qui se manifeste par une tromperie exercée tous azimuts sur leur propre peuple.
Pour faire court, lorsque la survie d’une nation est en jeu, la stratégie (vu d’ensemble des tous les moyens tant politiques que cinétiques, susceptibles de faire gagner la guerre) exige qu’elle mette en œuvre tous les moyens tactiques à sa disposition pour bouter hors l’ennemi, parmi lesquels tromper l’ennemi2 ou Maskirovka.
Par contre, lorsqu’est en jeu la survie d’une élite dont l’ennemi est le peuple, la seule voie stratégique qui lui est ouverte est soit l’extermination (stratégie de l’État Jabotinski à Gaza), soit la tromperie à vaste échelle, destinée à conduire le peuple à l’auto-immolation, la Covidémence en étant sans doute la réussite la plus éclatante – et désastreuse.
Or, depuis la Deuxième Guerre mondiale, les manœuvres EU en terre étrangère devront être scrutées depuis cet angle aussi, car les tactiques rodées en Corée, au Viet Nam, en Ukraine ont ensuite pu être appliquées avec succès tant contre les peuples « amis » de l’OTAN qu’à l’intérieur des EU.3
Commençons avec le célèbre Policy Planning Staff Memorandum (PPSM)4 en date du 4 mai 1948 rédigé par l’Ambassadeur George Kennan, et intitulé The Inauguration of Organised Political Warfare. (À la fin de sa vie, Kennan ayant exprimé son désaccord total avec la politique d’expansion de l’OTAN après 1989, certains ont voulu l’encenser comme grand homme d’État. C’est une opinion. L’essentiel pour l’instant est ailleurs).
Si le document PPSM a été passablement caviardé, l’approche de Kennan, prétextant la menace soviétique, est transparente : la diplomatie classique est pour les mous du genou : « [les EU] sont entravés par notre penchant à rechercher une résolution politique (aux conflits) et par la conviction populaire qu’il y aurait une différence fondamentale entre guerre et paix ». Curieusement, ce n’est pas précisément de cette façon que les Pères fondateurs des EU voyaient leur rôle dans le monde : cf. Proclamation of Neutrality, 1793.
En clair, Kennan assène son Crédo : 1/ pourquoi négocier, lorsque l’on peut obtenir par la force ce que l’on convoite ? 2/ la « paix » n’est que trêve, puisque la haine entre peuples et nations serait le « new normal ».
Ainsi, selon ces vues traduisant des convictions primitives, les relations internationales se réduiraient à un état de guerre perpétuelle, que celle-ci soit larvée ou à grande échelle. Passons sur sa lecture biaisée – ou plutôt méconnaissance complète – des objectifs de Clausewitz, patriote féru d’honneur et qui jamais n’a envisagé l’idée d’une guerre coloniale. En condensé, plus qu’une simple déclaration d’intention la PPSM est un document de travail prônant les opérations secrètes (covert) et de guerrilla, sur lequel Kennan dit avoir travaillé depuis mars 1948, définissant ce qui existera bientôt « dans la structure même du gouvernement des EU » sous la houlette du département d’État.
Il faudra, dit Kennan, un « Board », un directorat unifié pour ces opérations, « un seul homme doit en être le chef » ; la « meilleure couverture » (cover) serait le National Security Council Secretariat, doté d’une ligne directe de commandement depuis le secrétaire d’État (à l’époque, brièvement, George Catlett Marshal, l’un des architectes de l’OTAN) et permettant une étroite collaboration avec l’establishment militaire.
C’est l’Angleterre qui fournit son modèle à Kennan : « le succès et la survie de l’Empire britannique est en partie due au fait que l’Angleterre a su comprendre et mettre en œuvre les principes de la guerre politique ».
Après une brève introduction toute de parti-pris idéologique, la PPSM se saisit du vif du sujet : les projets que devra entreprendre le Département d’état dans l’immédiat.
Premier projet : établissement de comités dits de « libération ». Devra être formé un « organisme public EU » avec pignon sur rue (overt), mais recevant « ses orientations en secret » (covert guidance and assistance). À travers cet organisme public, des citoyens privés « de confiance » seront chargés de préparer des mouvements nationalistes dans le Bloc soviétique ; encourager la résistance et « représenter le noyau dur des mouvements de libération totalement engagés dans la perspective d’une guerre » (in the event of war).
Selon Kennan, ceci s’apparenterait à une « tradition » étasunienne de soutien public aux résistants contre la tyrannie, à l’étranger. Mettant en avant l’exemple des « communistes et sionistes » aux EU, il décrit les activités de ces derniers comme « illégales » et « détournant cette tradition à leur avantage et à notre détriment » ; néanmoins il affirme qu’il faut désormais « ressusciter cette tradition dans l’intérêt national EU, en raison de la crise actuelle ». Or, la guerre mondiale avait pris fin et aucune crise majeure n’opposait alors l’URSS à son « ex- » allié les EU.
Caviardé, le deuxième projet concernerait le déploiement « urgent » « d’intermédiaires privés » au cours d’opérations secrètes anti-communistes, notamment en France.
Quant au troisième projet, il est question d’action directe « préventiv », c’est-à-dire d’anticipation ou préemption (preventive direct action). Des exemples concrets sont proposés : prendre le contrôle des actions « anti-sabotage » dans les puits de pétrole du Venezuela5 ; faire saborder par ces « US cut-outs » toute installation pétrolière au Moyen Orient « susceptible » d’être prise par l’URSS (captured – ce terme en anglais peut simplement vouloir dire « rendu disponible pour », ndlr).
À souligner est le fait que ce « Board » doit, dans les mots de Kennan, « être investi d’une autorité totale sur les opérations secrètes de guerre politique du gouvernement, de l’autorité pour lancer de nouvelles opérations, et de prendre sous son contrôlé ou liquider les activités secrètes actuelles de guerre politique. Les activités actuellement sous l’égide de la CIA (fondée en 1947 – ndlr) et des officiers dans les théâtres étrangers doivent désormais répondre au « Board ». En clair, cela veut dire que ce noyau de néo-impérialistes compte agir en dehors de la sphère d’autorité du président des EU et des élus de ladite République, dans des territoires très-sensibles où leurs agissements et provocations pourraient déboucher sur une nouvelle grande guerre.
Les recommandations de Kennan furent suivies d’effet. Dès 1949 les EU lançaient leurs premières opérations appuyées sur des réseaux stay-behind (clandestins), en Ukraine soviétique, assez bien documentés y compris par des sources dans le domaine public.
Le deuxième volet de cet article concernera un cas d’école de déception à grande échelle au Viet Nam début des années 50, Operation Exodus ou Passage to Freedom.
https://reseauinternational.net/maskirovka-deception-tromperie-du-peuple-2/
Mendelssohn Moses
https://maxmilo.com/l-art-de-la-guerre-russe, Benoist Bihan
https://www.lisez.com/conduire-la-guerre, Will Schryver
https://imÉtatronink.substack.com/fall-like-a-thunderbolt
https://editionspierredetaillac.com/tromper-l-ennemi-l-invention-du-camouflage-moderne-en-1914-1918
https://www.politico.com/2022/05/11/covert-operation-ukrainian-independence-haunts-cia
https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1945-50Intel/d269
https://www.onwar.com/data/venezuela1948