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Maryse Burgot, une des journalistes-phares du service public

J’ai suivi, le jeudi 10 février, sur France 2, l’émission politique où Jean-Luc Mélenchon était interrogé, par les journalistes de la chaîne, sur un certain nombre de points de son programme. Je ne souhaite pas revenir sur tous ces points mais seulement sur ceux qui ont retenu mon attention.

1. A un moment de son intervention, la journaliste Maya Lauqué (la deuxième interlocutrice après Anne-Sophie Lapix) dit à JLM : "On a tous en tête ces files d’étudiants qui attendaient de bénéficier de l’aide alimentaire ces derniers mois, 21 % des jeunes sont isolés et sans aucune interaction sociale. Aujourd’hui, ils sont seuls et précaires. Pour ces jeunes et précaires, vous proposez de verser une allocation de 1063 euros, et pour financer cette aide, eh bien vous décidez de priver certaines personnes d’une partie de leur héritage accumulé tout au long de leur vie. Au-dessus de 12 millions d’euros, vous prenez tout. C’est pas confiscatoire ?" (30 min 49 s).

Remarque 1. Selon des chiffres (certes de 2018, mais cela fournit un ordre de grandeur) la moyenne des héritages s’élevait, en France, à 135 400 euros, et la médiane, à 41 000 euros ! Ces chiffres sont importants car on confond souvent moyenne et médiane, or la médiane est toujours sensiblement inférieure à la moyenne. Cela veut dire qu’un Français sur deux a touché 41 000 euros ou moins... Et, selon une autre étude, parue en 2021 celle-ci, l’héritage moyen de 10 % les plus riches s’élevait à 325 000 euros. [A noter que cette dernière valeur ne représente même pas un tiers d’un million d’euros. Or, Maya Lauqué parle d’une somme 12 fois supérieure, qui ne concerne qu’une minorité infime des Français.

A cet égard, donc, l’emploi du verbe "priver" et de l’adjectif "confiscatoire" sont tout à la fois odieux et scandaleux. Mais ils ont aussi un but idéologique clair : amener l’énorme masse des Français qui héritent à se sentir solidaires des plus riches des Français. [A noter, comme le fait remarquer JLM, qu’il ne s’agit là que des sommes supérieures à 12 millions d’euros, ce qui laisse tout de même un confortable reliquat aux heureux héritiers...]. (32 mn 02 s).

2. Léa Salamé reprend la parole et dit : "au-delà de 12 millions, je prends tout, on verra si ça passe au Conseil constitutionnel. Je vous rappelle que quand François Hollande a voulu taxer les plus riches à 75 % le Conseil constitutionnel a invalidé."

Remarque 2. Cette présentation de la "mesure" (disons de la velléité) de François Hollande de taxe à 75 % par Léa Salamé est révélatrice. Elle l’est d’abord en ce qu’elle omet de préciser à partir de quel revenu François Hollande voulait instaurer cette taxe. De cette façon, tous ceux qui se sentent riches vont se sentir solidaires des plus favorisés d’entre eux. Ensuite, la somme en question était de 1 million d’euros par an, ce qui représente 83 333 euros par mois. Or, la malhonnêteté des adversaires de cette mesure a consisté à laisser croire que le taux de 75 % se serait appliqué sur ces 83 333 euros, alors qu’il ne touchait que les sommes allant au-delà ! Mais admettons même que ces 75 % s’appliquent à la totalité des 83 333 euros : il ne resterait plus alors à ces "malheureux riches" que 20 833 euros par mois. Or, d’après l’INSEE, les 1 % les mieux rémunérés touchent au-delà de 8629 euros par mois. Il semblerait que les journalistes n’aient plus du tout la notion des valeurs...

3. Léa Salamé : "On va passer aux questions internationales qui, avec les crises ukrainienne et malienne se sont invitées dans la campagne présidentielle. C’est la grand reporter du service international qui a couvert les zones de conflit sur toute la planète qui va vous interroger. On accueille Maryse Burgot, qui rentre justement d’Ukraine, où elle a passé dix jours. Jamais la sécurité européenne n’a été aussi menacée depuis la guerre froide, a dit le chef de la diplomatie européenne. Emmanuel Macron est allé à Moscou en début de semaine, il était à Kiev également et à Berlin, pour essayer d’obtenir une désescalade. 150 000 soldats russes sont actuellement positionnés à la frontière avec l’Ukraine. Ça, c’est pour le contexte. Mais d’abord, Maryse vous aviez une première question précise à poser à Jean-Luc Mélenchon sur le maître du Kremlin.

Maryse Burgot : "Oui, monsieur Mélenchon, vous êtes souvent perçu comme quelqu’un qui soutient Vladimir Poutine, même si vous le niez. Et c’est vrai que dans ce dossier ukrainien, vous lui trouvez assez souvent des circonstances atténuantes. Alors, éloignons-nous un tout petit peu de l’Ukraine pour se concentrer sur Vladimir Poutine, qui écrase l’actualité internationale en ce moment. Vous, monsieur Mélenchon, vous dîtes être un républicain, pouvez-vous répondre à cette question assez simple : "A vos yeux, Vladimir Poutine, c’est un autocrate ou un démocrate ? Question simple qui appelle, si vous le voulez bien, une réponse simple."

 Jean-Luc Mélenchon : "Non. Parce que ça m’indiffère. Je vais vous poser une autre question : "Est-ce que le roi de l’Arabie saoudite est un démocrate ou un autocrate ?"

 Maryse Burgot : "Moi, je ne vous parle pas de l’Arabie saoudite, je pensais bien que..."

 Jean-Luc Mélenchon : "Non, madame, parce que c’est mon introduction pour vous répondre. Moi, je ne soucie pas de savoir ce qu’est monsieur Poutine quand il y a danger de guerre sur le continent. Je m’occupe de ce qui est l’intérêt de la France. L’intérêt de la France, c’est de ne pas être alignée, et donc de ne pas répéter comme des perroquets la propagande des États-Unis d’Amérique qui n’ont, dans toute cette affaire, qu’un objectif : étendre l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Ma position de non-aligné est la suivante : premièrement, la Russie n’a pas à passer la frontière de l’Ukraine. Deuxièmement, les Etats-Unis d’Amérique n’ont pas à annexer l’Ukraine dans l’OTAN. Point final.

 Maryse Burgot : "Monsieur Mélenchon, un autocrate, c’est un souverain absolu dont le pouvoir n’a pas de limites. Vladimir Poutine va garder le pouvoir jusqu’en 2036 parce qu’il s’est arrangé pour changer la Constitution. A vos yeux, c’est important pour nous, pour les téléspectateurs, pour les électeurs, de savoir quel est votre modèle de dirigeant. A vos yeux, monsieur Mélenchon, est-ce que Vladimir Poutine est un autocrate ou un démocrate ?"

 Jean-Luc Mélenchon : "Si votre question n’est pas sur la paix ou la guerre, c’est un autre sujet. Qu’est-ce que je pense de Vladimir Poutine, c’est ça ? Moi, en Russie, je soutiens un homme qui s’appelle Sergei Oudalsov, qui est le président du Front de gauche, qui a été quatre ans en prison. Je ne vais pas vous dire que monsieur Poutine est le genre de dirigeant qui me convient, puisque mes amis là-bas le combattent et vont en prison à cause de ça. Alors, après, si je dois faire la liste, je me comporte comme quelqu’un qui se prépare, si le destin le veut, et les électeurs, à présider notre pays. Donc, ma manière de parler est celle qui doit ensuite me rendre possible l’action politique. Si je viens sur ce plateau de télévision pour vous faire plaisir, dire qu’il est un autocrate et patati et patala, demain président de la République, vous me voyez aller lui dire : "Salut, l’autocrate, c’est moi qui... non, c’est pas sérieux ! Monsieur Poutine n’est pas mon modèle ! Ai-je l’intention de présider comme monsieur Poutine ? Non ! Ai-je l’intention d’appliquer la poilique de monsieur Poutine ? Non ! Par conséquent, j’ai assez répondu, en vous disant la France, si j’en suis le président, sera non-alignée, et je dois vous dire que la situation d’aujourd’hui, c’est plutôt ça le problème, que de savoir si les distributeurs de bons points du soi-disant Occident libre et démocratique doivent se mobiliser parce que c’est un autocrate, un tyran et le reste, dans cette affaire, ça je l’ai déjà vu dix fois. Parce que... "

 Maryse Burgot : "Dans cette affaire, vous êtes quand même un des rares hommes politiques à trouver des circonstances atténuantes à Vladimir Poutine, quand il masse ses troupes autour de l’Ukraine. Dans cette affaire, considérez-vous que c’est l’OTAN, l’agresseur, ou que ce sont les Russes ?

 Jean-Luc Mélenchon : "C’est l’’OTAN, sans aucun doute, pour moi !"

 Léa Salamé : "C’est l’OTAN l’agresseur ? !" (48 mn 18 s).

 Jean-Luc Mélenchon : "Eh bien évidement. Pourquoi ? Parce que les Etats-Unis d’Amérique n’arrivent pas à stabiliser leur position internationale. Partons du cadre général, et pas d’aspects qui, au milieu, permettent de fausser complètement la discussion. Le cadre général est que les Etats-Unis d’Amérique, qui dominaient la scène du monde, ne la dominent plus. Il y a donc une crise de l’ordre géopolitique. Dans cette crise, les Etats-Unis d’Amérique hésitent. Les uns disent, l’adversaire principal, c’est la Chine, parce que, eux, ils sont en compétition commerciale d’une manière terrible. Et d’autres disent : non c’est la Russie. Hésitation, ils font les deux à la fois. Ce qui aboutit à une absurdité, à savoir qu’ils poussent les Russes dans les bras des Chinois . Tout ça est absurde. Et que font les Etats-Unis d’Amérique ? Ils veulent que l’Ukraine soit intégrée dans l’OTAN. Nous, Français, n’avons aucun intérêt à ça, ça nous est complètement égal...

 Léa Salamé : "Pardon, Jean-Luc Mélenchon, je reprends ce que vous avez dit. C’est l’OTAN l’agresseur ? C’est l’OTAN qui masse 150 000 hommes à la frontière urkrainienne ? C’est l’OTAN qui a envahi la Crimée, qui occupe une partie du Donbass et arme les pro-Russes dans le Donbass ? C’est l’OTAN qui, aujourd’hui, à l’heure où nous parlons, a commencé des manoeuvres militaires qualifiées par Le Drian, ministre des Affaires étrangères, d’extrêmement violentes, en Biélorussie, c’est l’OTAN ou la Russie ?

 Jean-Luc Mélenchon : "Eh bien, que la Russie déplace des troupes sur son territoire et que vous vouliez l’en empêcher est une nouveauté. Ecoutez, dans l’ordre international, cela n’existe pas. [...] Ecoutez, nous sommes dans une période de rapports de forces, je ne suis pas là pour défendre la Russie. J’ai dit que la position de la France, si je la préside, c’est le non-alignement. Donc je ne suis pas là pour vous dire que la Russie a raison de faire ce qu’elle fait et comme elle le fait, je dis seulement que la vérité vraie, pure et simple c’est que les Etats-Unis d’Amérique ont décidé d’annexer l’Ukraine dans l’OTAN et que la Russie, qui se sent humiliée, menacée, parce que nous avons installé des batteries de missiles anti-missiles en Pologne qui mettent en cause 75 % du système de défense des Russes se sentent agressés. Donc si on veut être non-alignés, on ne commence pas par vouloir aboyer avec le maître, on commence par dire : qu’est-ce que vous demandez, vous, les Russes, quelles sont vos garanties de sécurité ? Et nous, les Français, voici avec quoi nous sommes d’accord et nous ne sommes pas d’accord. Nous ne sommes pas d’accord pour que vous passiez la frontière. Qu’est-ce que vous nous demandez pour ne pas passer la frontière ? Supposez qu’ils nous répondent : de garantir que l’OTAN ne soit pas en Ukraine. Moi je signe."

 Léa Salamé : "Maryse Burgot, vous, vous rentrez d’Ukraine". (A Jean-Luc Mélenchon : "Vous êtes attaché à la souveraineté des peuples ?)". A Maryse Burgot : "Que veulent les Ukrainiens ?"

 Maryse Burgot : "Vous avez une majorité écrasante de la population qui vous dit sa volonté de se rapprocher de l’OTAN avec une petite minorité russophone à l’est qui, elle, penche plutôt pour la Russie. Vous, monsieur Mélenchon, qui êtes pour la souveraineté des peuples, comment vous ne pouvez pas, en fait, soutenir totalement cette volonté du peuple ukrainien ?

 Jean-Luc Mélenchon : "Bien, nous allons la constater, il va l’exprimer. Pour l’instant,je constate une chose, le président élu de l’Ukraine – pas vous, pas moi – dit qu’il faut arrêter de dramatiser, que la situation, qui n’est pas celle que décrit l’Occident, et qu’il faut arrêter de faire monter les enchères. Lui, il le dit, il a tort ?".

 Maryse Burgot : "Lui il le dit, la population, elle, est inquiète, elle a quand même 130 000 hommes massés autour de ses frontières. La population..."

 Jean-Luc Mélenchon : "Bien sûr, la population s’est exprimée par un vote. Ecoutez, madame, ce n’est pas mon sujet. Si je suis président de la République française, je suis non-aligné, je ne veux pas que les Russes passent la frontière et je ne veux pas que les Américains installent l’OTAN en Ukraine. Non seulement pour des raisons qui ont à voir avec la Russie mais aussi pour des raisons qui ont à voir avec nous. Parce que je ne veux pas qu’on transforme l’Europe en un champ de bataille. La politique des Français a toujours été de dire que, sur le territoire européen, nous ne voulions plus de guerre. Au point que les présidents français avaient inclus dans les intérêts vitaux de la France, qui nécessitent le déploiement de la dissuasion nucléaire, la paix sur le vieux continent. Et chaque fois qu’il y a eu une situation tendue, les dirigeants français ont toujours fait le bon choix. Par exemple François Mitterrand a fait démonter les missiles à roulettes qui tiraient à 500 kilomètres. Quand les Américains ont déployé des Pershing, eh bien c’est curieux, les Russes déploient des fusées de leur côté et les Américains déploient des Pershing. Donc il était pour qu’on désarme les deux. Et je suis sur cette même position. C’est la position française traditionnelle.

Remarque 3. La phrase "Jamais la sécurité européenne n’a été aussi menacée depuis la guerre froide" est à la voix passive et, si elle comporte un sujet grammatical (répondant à la question : "qui est menacée ?"), sujet qui est bien entendu la sécurité européenne, elle suggère insidieusement un sujet actif (répondant à la question : "par qui est-elle menacée"), qui, comme l’attesteront les questions et les remarques ultérieures des journalistes, ne saurait être que la Russie....

Remarque 4. Dans ses remarques préalables à l’intervention de Maryse Burgot, Léa Salamé prononce, presque du même souffle, marquant à peine une pause entre les phrases, "le chef de la diplomatie européenne" et "Emmanuel Macron". A l’écouter, quelqu’un qui se serait endormi depuis 2016 pourrait penser que le second est en apposition au premier et qu’Emmanuel Macron est ce "chef de la diplomatie européenne". Comment mieux exprimer que, pour Léa Salamé, la politique française à l’égard de la Russie ne peut différer de celle de l’Union européenne ?

Remarque 5. Pour parler de Vladimir Poutine, Léa Salamé n’emploie pas le terme officiel qui s’imposerait, à savoir "le président russe" ou "le président de la Russie", mais le maître du Kremlin, terme évoquant davantage Ivan le Terrible, Pierre le Grand, Staline ou Tamerlan que le chef d’un Etat policé. Léa Salamé prononce le "maître du Kremlin" comme elle dirait "le grand khan de la Horde d’or". Vladmir Poutine est repoussé aux marges de l’oecoumène, dans une steppe désolée, à l’instar d’un chef de Cosaques zaporogues macérant dans des remugles de flatulences, de suint et d’urine croupie...

Remarque 6. Dans son intervention, Maryse Burgot dit de Vladimir Poutine qu’il écrase l’actualité internationale en ce moment. Ce verbe "écraser" est inadapté au complément qu’il introduit (= l’actualité internationale). On s’attendrait en effet à des verbes tels que "occuper", "accaparer", "monopoliser", qui évoquent plus précisément la place grandissante prise dans l’actualité internationale par le différend russo-ukrainien. Mais là aussi, l’animosité de Maryse Burgot envers Vladimir Poutine est telle que, chez elle, le complément écrit (l’actualité internationale) a été refoulé par le complément pensé que Maryse Burgot aurait bien aimé mettre à la place. A savoir, "Vladimir Poutine écrase (au choix) : les dissidents, les opposants politiques, les Géorgiens, les Ukrainiens, les Baltes... [Et ce complément pensé, par effet de retour, s’entend si fort qu’il induit le verbe "écraser"].

Remarque 6 bis. Maryse Burgot dit, à un moment, que Vladimir Poutine masse ses troupes autour de l’Ukraine. Cet autour est mensonger car l’Ukraine n’est pas un pays enclavé dans la Russie : la Russie ne se trouve qu’à sa frontière orientale. A l’ouest, l’Ukraine est adossée à des pays de l’OTAN (et en même temps membres de l’Union européenne). Maryse Burgot dramatise sans vergogne la situation.

Remarque 7. Le vocabulaire employé pour parler de Vladimir Poutine et pour s’adresser à Jean-Luc Mélenchon, est le vocabulaire du monde judiciaire, et même, plus précisément, celui de la Cour d’assises. Jean-Luc Mélenchon est censé nier soutenir Vladimir Poutine, comme un co-accusé nie avoir enterré la victime de son compère. Dans ce même registre, il lui trouve des circonstances atténuantes, comme un avocat invoque l’enfance malheureuse de son client, sa situation de grande détresse matérielle ou de misère morale. Vladimir Poutine est visiblement considéré comme un gibier de potence. Et Jean-Luc Mélenchon n’est pas loin de le rejoindre dans le box des accusés...

Remarque 8. Maryse Burgot et Léa Salamé renouent ainsi avec la vieille tradition d’anticommunisme des années 1960/1980, lorsque, à la moindre incartade de l’URSS, les journalistes allaient retourner sur le gril Georges Marchais pour "plomber" le P.C.F. (et, accessoirement, la C.G.T. et toute la gauche par-dessus le marché). Les anciens réflexes anticommunistes s’ajoutent au mépris inavoué (et inavouable) envers les Russes, peuple européen mais mal dégrossi. D’ailleurs, le mot "russe" n’est-il pas paronyme de "rustre" et de "fruste", termes rien moins que flatteurs ?

A cet égard, une réaction est significative : lorsque Jean-Luc Mélenchon a fini de dire, de façon assez sarcastique : "que de savoir si les distributeurs de bons points du soi-disant Occident libre et démocratique doivent se mobiliser parce que c’est un autocrate, un tyran et le reste...", une des caméras le délaisse pour filmer les journalistes assis derrière leurs collègues. Et l’on voit Patrick Cohen (malgré son masque), hausser les sourcils et avoir un mouvement scandalisé de recul de la tête : Comment ce Mélenchon, comment ce mécréant, ce pelé, ce galeux ose-t-il parler de l’Occident ? (lequel, comme on le sait, est "maître des arts, des armes et des lois"). Comment ose-t-il profaner les "saintes espèces" révérées par les médias mainstream ?

Remarque 9. Les journalistes, en taxant Vladimir Poutine d’autocrate, sont de mauvaise foi. Ils instrumentalisent cyniquement l’autoritarisme du régime, car leur objectif est tout autre (on le voit bien, d’ailleurs, à la réaction agacée de Maryse Burgot lorsque Jean-Luc Mélenchon lui renvoie dans les dents le roi d’Arabie saoudite).

L’objectif des journalistes, en effet, n’est pas la démocratie, car ils devraient être bien plus scandalisés par le roi d’Arabie que par Vladmir Poutine. De fait, le régime saoudien est bien plus féroce, rétrograde, totalitaire que le régime russe. Le régime saoudien interdit toutes religions autres que l’Islam, il punit de mort l’homosexualité, il claquemure les femmes, il exploite les immigrés jusqu’au trognon, il fait découper en morceaux un opposant dans son consulat d’Istanbul. Il est responsable de la propagation du djihadisme sur toute la Terre. On a dit de l’Arabie saoudite, que c’est un Daesh qui a réussi. A quoi sert de combattre l’islamisme radical au Sahel quand il prospère à Riyad ? Mais ces islamistes-là investissent dans nos banques, nos entreprises et nos hôtels de luxe. Ils nous achètent des frégates, des avions, des canons et des sous-marins, et place Vendôme, ils repartent avec des brouettes pleines de montres Patek Philippe...

Remarque 10. Le souci des journalistes n’est pas la démocratie, en dépit de leurs jérémiades, c’est l’inquiétude face à un chef d’Etat qui s’oppose aux Etats-Unis, à l’OTAN et à l’Union européenne. Un chef d’Etat qui, par ses ventes de pétrole et de gaz, a des moyens de rétorsion sur l’UE Mieux même : qui peut découpler l’Allemagne des Etats-Unis en raison des intérêts croisés de l’Allemagne et de la Russie. Quand le tyran sévit en Egypte, en Arabie saoudite, au Maroc ou aux Philippines, les journalistes regardent ailleurs. François Mauriac, en 1956, disait au journaliste d’extrême-droite Thierry Maulnier, qui reprochait à Louis Massignon [célèbre orientaliste et ami de Mauriac] de ne pas parler de l’intervention soviétique en Hongrie (qui avait lieu en novembre de cette même année), qu’il était [un homme] "à qui les crimes politiques ne [faisaient] ni chaud ni froid tant que ce [n’étaient] pas des communistes qui les [commettaient]". Il suffit, en 2022, de substituer le mot "Russes" à celui de "communistes" et le tour est joué...

Remarque 11. Manifestement, les journalistes (qui ont retrouvé, avec délectation, dans la Russie d’ajourd’hui, leur souffre-douleur soviétique de jadis), ont de l’histoire, une ignorance (si l’on ose dire) encyclopédique. Et, à cet égard, Jean-Luc Mélenchon – qui s’est très bien défendu – aurait davantage pu leur charger la barque. Car, dans la balance des torts entre Russie et Occident (i.e. Europe de l’Ouest et Amérique du Nord), ces torts sont loin de pencher au détriment de la Russie, comme le pense - superficiellement - Léa Salamé. En effet, les Russes ont la mémoire longue et peuvent énumérer leurs griefs à un triple point de vue : en tant qu’orthodoxes, en tant que Russes, en tant que successeurs de l’URSS.

Remarque 12. En tant qu’orthodoxes, ils peuvent, comme héritiers de l’empire byzantin (Moscou, troisième Rome), charger les Occidentaux des prédations des Croisés, à commencer par les Etats latins d’Orient (royaume de Jérusalem, comté d’Edesse, principauté d’Antioche...) jamais restitués au Basileus Alexis Comnène, en violation des promesses. Ils peuvent leur imputer les deux prises (et les deux sacs) de Constantinople, en 1203 et 1204, lors de la Quatrième croisade, qui minèrent gravement la résistance de l’empire byzantin face aux Ottomans. Toujours en tant qu’orthodoxes, ils peuvent aussi reprocher à l’Eglise de Rome l’Union de Brest, en 1595, qui détacha une partie des orthodoxes de la communion orthodoxe et en fit l’Eglise uniate, rattachée à Rome.

Remarque 13. En tant que Russes, dès que la Russie, sous Pierre le Grand, s’occidentalisa et noua les premières relations suivies avec l’Europe, ils peuvent faire valoir un certain nombre d’agressions : l’offensive de Charles XII de Suède, en 1700, la campagne de Russie de Napoléon, en 1812, la guerre de Crimée, en 1853-1856 (qui coûta aux Russes 450 000 morts, ce qui éclaire un peu leur attitude actuelle à propos de cette péninsule), l’humiliation infligée à la Russie par Bismarck lors du Congrès de Berlin en 1878, le soutien apporté par l’Angleterre au Japon lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905 et l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par le ministre autrichien Aehrenthal, en 1908, qui fut un camouflet pour la Russie. Sans oublier, bien entendu, la Grande Guerre, en 1914-1918, au cours de laquelle, certes, les Russes remportèrent des victoires, mais subirent aussi des défaites retentissantes (à Tannenberg, aux lacs Mazure, à Gorlice-Tarnow...), et durent concéder d’énormes territoires aux empires centraux lors de la paix de Brest-Litovsk, en mars 1918.

Remarque 14. En tant que successeurs des Soviétiques, les Russes peuvent, à bon droit, reprocher aux Occidentaux leur intervention, aux côtés des Blancs, lors de la guerre civile russe, de 1918 à 1922, guerre qui coûta plus cher aux Russes que la guerre de 14-18. Qu’avaient fait les Russes aux Occidentaux pour que ceux-ci les agressent ? Et ces Occidentaux n’avaient-ils rien de mieux à faire après un conflit qui les avait saignés pendant quatre ans ? Ils peuvent aussi, au cours des années qui suivirent, reprocher aux Occidentaux la politique du "Cordon sanitaire" contre la Russie soviétique, l’écrasement des révolutions communistes à Berlin, Munich et Budapest. Et, évidemment, leur soutien à des régimes d’extrême-droite en Hongrie, en Autriche, en Pologne, en Lituanie et un peu partout en Europe centrale.

Remarque 15. Dans les années 1930, les Russes peuvent reprocher aux Occidentaux les sympathies et le soutien au parti nazi (par Henri Ford, Edouard VIII, Charles Lindbergh...) par les grandes firmes anglo-saxonnes, le refus d’aider la République espagnole contre les franquistes, le soutien au refus de la Pologne de laisser l’Armée rouge traverser son territoire pour secourir la Tchécoslovaquie, le lâchage de cette même Tchécoslovaquie par les Français et les Anglais lors des accords de Munich en septembre 1938, et l’ignorance de la main tendue de l’URSS pour renouveler la Triple Entente de 1914. Les Russes peuvent avoir l’impression, dûment étayée, que les Occidentaux menaient une politique pleine de duplicité en n’ayant qu’une idée en tête : pousser Allemands et Soviétiques à se saigner à blanc pour, en fin de partie, ramasser les morceaux. Le futur président Truman ne disait-il pas : "Si nous voyons que l’Allemagne gagne, nous devons aider la Russie ; mais si c’est la Russie qui gagne, nous devons aider l’Allemagne, afin qu’ils s’entre-tuent au maximum". [N’est-ce pas, d’ailleurs, ce qui s’est objectivement passé en 1941-1945 ?].

Remarque 16. Pendant la guerre contre les Allemands (dont les Russes assumèrent la plus grosse part, symétriquement aux Chinois, qui assumèrent la plus grosse part de la guerre contre les Japonais - avec, bien entendu, dans les deux cas, les plus grosses pertes), les Russes peuvent aussi invoquer, à la charge des Occidentaux, leur lenteur à ouvrir de nouveaux fronts pour soulager le leur et l’attitude ambiguë des filiales anglo-saxonnes implantées en Allemagne qui, jusqu’au bout, tournèrent pour la machine de guerre nazie. Ou les filières d’exflitration de dignitaires ou de scientifiques nazis. Ou l’usage des bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki, autant (sinon plus) destinées à intimider l’URSS qu’à faire plier le Japon.

Remarque 17. Après guerre, les Russes peuvent relever l’hypocrisie des Occidentaux, qui maintinrent au pouvoir les dictateurs Salazar (au Portugal) et Franco (en Espagne), ce dernier pourtant porté au pouvoir par Hitler et Mussolini. Ils peuvent aussi ajouter l’aide des Anglo-Américains aux forces royalistes (et aux anciens Collaborateurs de l’Axe), contre les Kapetanios (maquisards communistes grecs) lors de la guerre civile grecque, de 1946 à 1949. Et - le dernier mais pas le moindre ! - ajouter le plan Marshall et l’union des trois zones occidentales de l’Allemagne, en violation de l’esprit des accords allés, qui prévoyaient une neutralisation de l’Europe centrale, et, notamment, de l’espace germanique (Allemagne + Autriche) à l’instar de la Finlande. Enfin, alors que l’URSS était sortie exsangue de la guerre (23 millions de morts et tout l’ouest du pays dévasté, contre 418 000 morts pour les Américains et aucune perte civile), création de l’OTAN en 1949, six ans avant la création du pacte de Varsovie. Qu’était cet OTAN face à un pays affaibli à l’extrême, sinon une machine de guerre ?

Remarque 18. Au cours de toutes les années de guerre froide, et contrairement à ce que prétendaient les propagandistes occidentaux et les médias de droite (qui voyaient les chars soviétiques à Paris 48 heures après le déclenchement d’un improbable conflit Est-Ouest), jamais, de 1945 à 1991, l’armée soviétique, puis les forces du pacte de Varsovie, ne furent en mesure de l’emporter sur les forces occidentales. Elles leur furent toujours inférieures, d’un bout à l’autre, et dans tous les domaines : armée de terre, marine, aviation, effectifs, matériels, mobilisation, entraînement, logistique, etc. Et, pas davantage au sortir de la guerre que plus tard, l’URSS n’eut les moyens – ni même l’envie – d’envahir l’Europe occidentale.

Remarque 19. Lorsque Léa Salamé voit la Russie comme une puissance menaçante, elle ne se représente pas ce que fut pour ce pays, la diminuto capitis représentée par l’implosion de l’URSS en 1991. Du jour au lendemain, l’Etat successeur qu’était la Russie perdait, par rapport à la situation antérieure, la moitié de sa population, le quart de son territoire, la plupart de ses côtes utiles (en Baltique et mer Noire), de grandes ressources agricoles (notamment en Ukraine) minières et énergétiques. C’est comme si nous, Français, nous retrouvions avec 34 millions d’habitants et amputés d’une surface équivalant au total des régions Occitanie, Provence-Alpes-Côte-d’Asur et Pays de la Loire. De plus, la Russie se retrouve avec une densité de population de 8 habitants au km². Rapporté à la France, c’est comme si notre pays avait 4,4 millions d’habitants, c’est-à-dire moins que l’Irlande ! Imagine-t-on le sentiment de péril ressenti par les Russes, pour couvrir toutes leurs frontières ?

Remarque 20. En 1990, pour faire accepter à Mikhail Gorbatchev la réunification de l’Allemagne (annexion serait plus approprié) le Secrétaire d’Etat James Baker et le chanclier Helmut Kohl lui promirent, en compensation, "que l’OTAN ne s’étendrait pas d’un pouce vers l’est". Qu’en est-il de cette promesse en 2022 ? Non seulement tous les anciens pays du pacte de Varsovie (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie) ont adhéré à l’OTAN en violation de la parole donnée, mais les trois pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie), anciennement Républiques fédérées de l’URSS, y ont adhéré aussi ! Imaginons l’inverse : que l’URSS ait gagné la guerre froide, que non seulement l’Europe de l’Ouest ait été intégrée au pacte de Varsovie et au Comecon, mais que soient venus s’y agréger le Canada, le Maine, le New Hampshire et le Vermont.

Qu’auraient dit Maryse Burgot et Léa Salamé ?

Philippe ARNAUD

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Chasseurs de matières premières.
Michel COLLON
Chaque citoyen européen consomme par an en moyenne 26 kilos d’appareils[1] en tous genres : ordinateurs, téléphones, télévisions, électro-ménager... L’avons-nous décidé ? Le souhaitons-nous ? Quoi qu’il en soit, cet acte apparemment innocent a en réalité un impact énorme. Sur la Nature, on s’en doute, mais aussi sur des êtres humains. Des femmes et des hommes du Sud sont condamnés à mourir de faim, leurs enfants seront privés d’éducation, ils souffriront de la malaria, de la tuberculose et (…)
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Nous faisons semblant de ne pas comprendre le lien entre notre confortable niveau de vie et les dictatures que nous imposons et protégeons par une présence militaire internationale.

Jerry Fresia

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