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Mali : Faux putsch, fausse guerre

Depuis le début de l’intervention française au Mali, tous les journaux en parlent à longueur de colonnes. Pour dire quoi ? Rien ou presque. On nous relate des prises de localités desquelles l’ennemi s’est enfui, des bombardements dans le désert vide lui aussi. Et de poursuite de djihadistes insaisissables.

De temps en temps, on nous informe qu’un mirage a décollé de telle ou telle base, un gros « bang », causé par un avion dépassant le mur du son, a été entendu dans le sud de la France. Nous sommes en guerre, n’est-ce pas. Mais une guerre sans morts. Après le cafouillage du premier jour du service de presse des armées, tout est rentré dans l’ordre. Pas de victimes donc. Ni d’un côté, ni de l’autre. Même après les quelques corps à corps qu’on nous rapporte, comme pour enflammer notre imagination et nous ramener au temps du chevalier Bayard. Tout juste voit-on quelques photos avec des soldats posant devant les caméras et les photographes. Comme en manoeuvre. Bien sûr, les chaînes de télévision ne manquent pas de nous montrer leurs innombrables reportages sur l’homme de la rue heureux, soulagé et reconnaissant. Drôle de guerre, sans fronts, sans combats, qui en rappelle une autre en 1939. La comparaison s’arrêtera là , bien sûr.

Ici, tout est différent ; le contexte, les objectifs, les moyens, et surtout l’ennemi. L’ennemi ou les ennemis ? On nous dit qu’il y a plusieurs factions rivales, hostiles les unes aux autres. Sans compter que la zone à « libérer » est occupée par une autre faction qui, elle, n’est pas tout à fait un ennemi, puisqu’elle nous propose son alliance. Pour ceux qui veulent s’y retrouver dans cette bouillabaisse géopolitique, je leur souhaite bien du courage. Car, de logique, il n’y en a point. En tout cas pas dans le scénario que l’on nous a écrit et qu’on nous somme d’accepter.

La logique est ailleurs et se résume en quelques mots : il faut intervenir au Mali, coûte que coûte. Partant de là , les questions qui se posent et leurs réponses sont d’une tout autre nature. Pour y voir clair, je vous propose un exercice original, qui consiste à dérouler cette histoire malienne en sens inverse, comme Thésée remontant le fil d’Ariane pour retrouver son chemin.

Regardons les événements, du plus récent aux plus ancien. On remarquera, au passage, qu’à chaque étape, la réponse donnée au problème s’avère être la seule réponse possible. Trop beau. L’armée française est donc au Mali, alors même que le principe d’une force d’intervention africaine avait été accepté par l’ONU. Mais la date de cette intervention était repoussée et des négociations avec les « rebelles » étaient en cours, négociations qui risquent, malgré les efforts de certains, d’aboutir à des accords. Malheureusement, tant que les discussions ne sont pas terminées, il n’est pas question d’agir. Sauf si… Une rupture du dialogue ? Il y a eu des tentatives. Mais, tenaces, les diplomates ont continué leurs palabres. Un massacre, alors ? Non, pas jusque-là , quand même. Un danger imminent obligeant à une réaction d’urgence ? Bingo. Il faut donc que les rebelles fondent sur la capitale, Bamako. Dans l’émotion, personne ne se rappellera que ces rebelles n’en ont rien à faire de Bamako et de tout le sud du Mali. Qu’ils sont appelés « rebelles » justement parce qu’ils voulaient créer un état indépendant au nord. Qu’ils n’ont strictement aucun intérêt à tenter d’investir une ville autrement plus défendue que le reste du pays et qu’ils n’ont aucun moyen numérique de tenir. Dans l’émotion toujours, on pourra penser qu’ils vont à la récolte de quelques otages européens, alors que l’on sait qu’il n’y avait presque plus de Français à Bamako. Il restait bien quelques américains, mais quand on sait que les ambassades américaines sont de véritables bunkers, on hésite quelque peu à s’y frotter. C’est le genre de lieux qu’on contourne en évitant tout geste hostile à moins de cent mètres.

Nous voilà donc dans l’urgence qui exige une réponse rapide. Fini les bla-bla des négociateurs qui n’ont plus qu’à rentrer chez eux. Pour rester dans les règles, il fallait un appel officiel du gouvernement Malien. Ce qui fut fait. Question : pourquoi le gouvernement malien était-il obligé de faire appel à l’étranger pour défendre sa capitale contre une poignée de terroristes en pickup ? Parce que l’armée malienne est mal armée et mal entraînée, grâce à un embargo bien opportun décidé par la CEDEAO au lendemain du putsch du capitaine Sanogo. Pendant des mois, un matériel militaire considérable resta bloqué dans les ports d’Abidjan, de Conakry et de Dakar. Il y avait, entre autres, 140 blindés et semi-blindés, 50 lanceurs d’obus, des véhicules de transport de troupes, des Kalachnikov, des munitions etc… Il y avait également des avions Soukoï, en attente dans certains ports européens. Tout cet arsenal venait de Russie.

Devant cette faiblesse militaire et le désarroi d’un pays ami, la France ne pouvait se dérober à son devoir. L’urgence prime sur la restructuration et le réarmement de l’armée malienne, dont le chef, rappelons-le est…Amadou Haya Sanogo dont le coup d’État de mars 2012 fut la cause de l’embargo. Tiens, tiens… Pourquoi ce jeune capitaine a-t-il fait ce putsch qui ne pouvait qu’engendrer une telle réponse ? Pourquoi démettre un président, Amadou Toumani Touré, qui n’était qu’à deux mois de la fin de son mandat et qui n’avait pas l’intention de se représenter ? Explication officielle : mauvaise gestion de la crise avec les rebelles du Nord. Pourtant, un mois après le départ du mauvais gestionnaire ATT, les sauveurs du Mali assistaient, impuissant à la scission de leur pays et à la déclaration par le MNLA, de l’indépendance de l’Azawad. Le coup d’état militaire a eu donc pour conséquences, d’une part d’installer une zone rebelle au nord, et d’autre part, de créer le chaos institutionnel, vite réglé d’ailleurs par la CEDEAO. Mission accomplie (savaient-ils seulement pourquoi ils avaient fait le putsch), les militaires rentrèrent dans leurs casernes, attendant les armes que Amadou Toumani Touré leur avaient commandées pour leur permettre de défendre leur pays et de combattre plus efficacement les rebelles.

A Bamako, tout est alors en place. Il n’y a plus qu’à attendre de voir ce que vont faire les sécessionnistes. Qui sont-ils ? On nous parle du nord du Mali comme un fief des Tamacheks (les Touareg). Rien n’est plus faux. On y trouve aussi des Peuls et des Songhaïs. En fait, les Tamacheks sont même minoritaires. On les retrouve aussi bien au Niger qu’en Algérie et en Lybie. Comme d’ailleurs leurs voisins Peuls qui, eux sont encore plus éclatés à travers l’Afrique.

On nous dit également que les Touareg étaient opprimés par le pouvoir central. C’est comme dire que les Corses sont opprimés par Paris, comme l’affirment certains indépendantistes. Ces « opprimés » disposent d’une délégation à Bamako et perçoivent des subventions destinées au Nord-Mali. Dans tous les pays africains, les minorités se sont toujours senties lésées, à tort ou à raison, quand leur ethnie n’était pas au pouvoir. Le Mali n’échappe pas à la règle. Il reste que les Touareg, ce peuple fier, a toujours, depuis des décennies, réclamé son autonomie, non pas en tant qu’État, mais pour garder sa liberté qu’il a su préserver. Ayant eu peu de contacts avec les colonisateurs occidentaux, les Tamacheks se sentent peu concernés par les administrations d’origine coloniale dont ont hérité les états dans lesquels ils vivent. Cette volonté d’indépendance ne pouvait que susciter toutes les instrumentalisations que l’on peut aisément deviner. Sans compter qu’après la guerre de Libye, certains d’entre eux, qui combattirent auprès de Kadhafi, rentrèrent chez eux avec armes et bagages. Mieux armés et bien entrainés, ils avaient de quoi inquiéter durablement le gouvernement central. S’il n’y avait eu qu’eux, le problème serait encore inter malien, agrémenté des interférences étrangères habituelles.

Pour aboutir au but final, il était hors de question de compter sur les Maliens seuls, qui, peut-être, auraient fini par trouver un terrain d’entente, ou auraient mis des mois avant d’en découdre sérieusement, sachant que l’armée allait bientôt être dotée d’un vrai arsenal de guerre venant de Russie. Un petit coup de pouce s’imposait. La main d’oeuvre ayant servi en Libye auprès de l’OTAN fera l’affaire. Cela aura également l’avantage de désengorger la Libye et laisser la place à la politique. Voici donc que débarquent des barbus dans un pays qu’ils ne connaissent pas et qui n’a d’autre intérêt pour eux que le salaire qu’ils perçoivent, avec pour mission de faire ce pourquoi ils sont payés : terroriser et surtout faire parler d’eux et de leurs actes. Le pauvre MNLA est vite dépassé devant ces pros. Les terroristes sont là . Qui dit terroristes dit lutte mondiale contre le terrorisme. Ce n’est plus une affaire locale. Le gouvernement malien n’a plus droit à la parole. Ou plutôt si : en tant que perroquet de décisions qui viennent d’ailleurs, ceci pour respecter la légalité internationale.

Ainsi, tout se tient et devient clair. Quant au pourquoi, c’est une autre histoire. Ah la lutte contre le terrorisme ! La meilleure trouvaille du 21ème siècle, comme le fut la lutte contre le communisme au 20ème siècle.

Réseau International

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Prix Odette Coste des Vendanges littéraires 2017 Maïté Pinero est née à Ille-sur-Têt. Journaliste, elle a été correspondante de presse en Amérique Latine dans les années quatre-vingts. Elle a couvert la révolution sandiniste au Nicaragua, les guérillas au Salvador et en Colombie, la chute des dictatures chiliennes et haïtiennes. Elle a écrit plusieurs romans et recueils de nouvelles dont « Le trouble des eaux » (Julliard, 1995). Les huit nouvelles de « Cremada », rééditées par Philippe (…)
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