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Lorànt Deutsch, François Hollande et Audrey Hepburn …

Difficile d’ignorer que le comédien Lόrant Deutsch a frôlé la mort !

Pendant 24 heures (au risque d’éclipser la préparation du vote des adhérents de l’UMP) les médias n’ont cessé de commenter le « terrible accident de scooter » qui, dans la nuit du 24 au 25 novembre, avait occasionné au susdit diverses fractures (clavicule, main droite, côtes, excusez du peu !) sans oublier un pneumothorax.

Fichtre, on a beau détester ce thuriféraire de la royauté, dont la chevalière « aux armes de la France est d’azur à trois fleurs de lys », qui proclame que la grandeur de notre pays s’est achevée avec la Révolution de 1789, on ne souhaite pas pour autant qu’il lui arrive malheur, d’autant que ses partisans ne manqueraient pas de crier au complot, accusant Alexis Corbière, responsable du Parti de Gauche à Paris, ou Ian Brossat et Marie-Pierre Vieu, dirigeants du PC dans la capitale, auxquels il s’en prend régulièrement pour crimes de lèse-majesté, d’avoir fait déverser de l’huile au passage de son véhicule.

Rassurons les presque 2 millions de Français de toutes origines (et dont une partie sont forcément des gens de Gauche, hélas !) qui ont acquis son Métronome : le comédien-compilateur va beaucoup mieux !

Soudain plus discrète – les blessures s’étant révélées nettement moins graves qu’annoncé – la presse, dans des articulets passe-partout, a laissé filtrer que notre nouveau Mouron rouge avait pu rentrer chez lui dès le lendemain. On me permettra néanmoins de trouver dans cet héroïsme et cette volonté de ne pas aggraver le déficit de la Sécu une certaine légèreté. Quand on est le papa de trois enfants en bas âge (j’ai ressorti ma collection de Closer pour rafraîchir mes souvenirs... Closer, oui, pas Causeur ! Le premier c’est un fleuron de la presse people, le second un torchon antimusulman, antiRoms, anticommuniste, dont Jérôme Leroy, adhérent du Parti communiste, est, mystérieusement, rédacteur-en-chef culturel !), on se doit de ne pas courir de risques inutiles et le pneumothorax aurait sans aucun doute mérité un séjour plus long à l’hôpital Bichat...

En tout cas, on respire ! Bien sûr, l’auteur du nouveau bestseller L’Hexagone illustré a-t-il été obligé d’abandonner, très momentanément on est en droit de le penser tant sa capacité de récupération impressionne, la promotion de son nouvel ouvrage, mais nul doute qu’on le retrouve incessamment dans toutes les bonnes librairies, et même les mauvaises, les centres commerciaux et sur Amazone...

Bon, Roger, si tu passais l’ADSL...

J’obtempère.

Si j’ai choisi aujourd’hui de consacrer un coup de gueule à ce personnage, c’est qu’il est l’illustration parfaite d’une offensive idéologique sans précédent.

Pendant que l’on rogne sur la part de l’Histoire dans les établissements scolaires, se multiplient revues et émissions télévisées où s’expriment trop souvent des historiens autoproclamés, présentateurs-animateurs fraternels et plaisantins plein de mépris à l’égard des professeurs et chercheurs, forcément poussiéreux et barbants. On cultive la petite histoire, les anecdotes croustillantes, les sacres et les batailles, et l’on proclame à l’envi que ce sont quelques individualités qui font l’Histoire d’un pays (et comme par hasard pour le nôtre, toutes sont « de sang royal » !) et non, entre autres, l’affrontement de classes sociales et le mouvement des masses (vieilles lunes marxistes forcément dépassées). Le sort tragique de Marie-Antoinette occupera ainsi une place de choix dans nombre de revues spécialisées, et rien ne nous sera épargné sur les ondes et les écrans de la bonté – profonde –, de la beauté – incomparable –, du sens de la justice – aigu –, du charme – irrésistible – et du courage – impressionnant – de cette victime des ancêtres des staliniens.

Pour mener à bien pareille entreprise, on a besoin d’intermédiaires médiatiques. Parfois des vulgarisateurs de talent, d’autres fois des clowns quasiment incultes, parfois encore des Pic de La Mirandole de bazar. Dans le meilleur des cas, cela donnera un Stéphane Bern, dont la culture est incontestable et dont les choix, malgré sa fascination pour les Grands, n’altèrent pas une honnêteté certaine (saluons ici sa conduite irréprochable lorsque Didier Porte fut viré de France Inter). Dans le pire, on écopera d’un Lorànt Deutsch. Comédien (de talent), chouchou des médias, se piquant d’écriture et adorant, paraît-il, l’Histoire, ce dont il est permis de douter quand on découvre ce qu’il lui fait subir, il était l’homme parfait pour aider à cette falsification vertigineuse de notre histoire.

Résumons donc la recette :

Prenez un éditeur « populaire », Michel Lafon, dont le palmarès affiche des auteurs aussi considérables que Jean-Pierre Pernaut, Véronique Genest, René Angelil (« le « Mon Rôôôné » de Céline Dion), David Douillet et Patrick Balkany, recrutez un polygraphe suisse (ce n’est pas un défaut – d’être Suisse, bien sûr), Emmanuel Heymann, capable de sauter d’une biographie d’Oscar Wilde ou de Courteline à celle de Jean Reno, de Lulli ou Labiche à Alain Delon, tout en produisant d’autres ouvrages, sur les camps, les traditions juives et le sel, si dangereux à la santé... Compilez une centaine d’ouvrages d’historiens passés, dont beaucoup d’ecclésiastiques, en prenant soin d’exclure les mauvais esprits, comme Michelet coupable de républicanisme, secouez le tout, faites chauffer au bain-Marie (pleine de grâce) et servez chaud...

Le ragoût obtenu s’appelle Métronome, bientôt suivi d’Hexagone illustré et, dans le cas du premier, ça se vend comme ces (petits) pains auxquels la divine Marie-Antoinette préférait la brioche.

Oui mais...

Comme l’ont magistralement démontré des historiens dont tous ne sont pas d’abominables gauchistes staliniens (c’est ainsi que notre grand blessé désigne ses détracteurs !), Métronome est un livre de combat fait pour ravir droite dure et extrême-droite, en exaltant une France « identitaire » forgée autour de la monarchie et de la religion. Deutsch a beau prétendre qu’il n’est qu’un « saltimbanque » dont le seul but serait de raconter notre Histoire sans être « chiant », tous ses efforts tendent à la ramener aux Grands de ce monde, le peuple en tant que tel n’ayant pas d’existence propre.

Le hic c’est qu’aux historiens qu’il essaie de ridiculiser, il aurait dû emprunter un peu de méthode et de rigueur. Comme souvent dans des tâches de pure compilation, on n’a pas pris le temps de relire, de vérifier, de confronter les versions des faits. Aussi, ainsi que l’a écrit Pierre Assouline, « Métronome est parsemé d’erreurs, d’approximations, d’interprétations contestables quand elles ne sont pas déformées par le prisme d’un auteur qui se dit monarchiste canal orléaniste ».

Comment s’étonner alors si, indignés par ces critiques pourtant argumentées, le ban et l’arrière-ban des médias de droite dure et d’extrême-droite n’avaient aussitôt sonné la charge contre des historiens – Christophe Naudin, William Blanc – et des politiques – Alexis Corbière, Ian Brossat, Marie-Pierre Vieu – qui s’étonnaient eux que la Ville de Paris refuse de donner le nom de Robespierre à une de ses artères mais accorde la médaille de Vermeil à notre compilateur motorisé.

Et l’on vit alors monter au créneau, dans le désordre, Le Figaro, Minute, Nouvelles de France, Riposte laïque, Rivarol, Valeurs actuelles (cet hebdo nauséabond dont le fumet ne répugne toujours pas à Jérôme Leroy, membre du PCF, hélas !, qui y disserte régulièrement des mérites respectifs de Jean Raspail, Renaud Camus ou Jean Fontenoy) ) cependant que des communiqués et des pétitions de soutien émanaient de mouvements d’une liberté d’esprit et d’une tolérance intellectuelle notoires, Front national, Jeune nation, Bloc identitaire et Action française.

C’est que tous ces gens-là le savent bien : pour en finir une fois pour toutes avec le programme du Conseil National de la Résistance, pour liquider les conquêtes sociales déjà mises à mal de 36, 45 et 68, il faut mener une guerre idéologique de tous les instants, pervertir les valeurs et le vocabulaire en collant à ceux qui combattent encore les étiquettes de « conservateurs », d’« archaïques », d’« égoïstes » arc-boutés à leurs « privilèges ». Mais réussir à rebaptiser plan social des licenciements, libéralisme le capitalisme, partenaires sociaux syndicats et patronat, c’est déjà beaucoup mais ça ne suffit pas. Il faut, en plus, détricoter totalement l’Histoire de France en en faisant disparaître l’élément essentiel, le Peuple. Aujourd’hui, aucun élève scolarisé dans nos lycées n’entendra parler, sauf incidemment (et ce n’est pas la faute des professeurs !), d’un épisode capital qui a nom Commune de Paris. En 1871, les Versaillais, le sinistre Adolphe Thiers à leur tête, firent massacrer près de 30 000 communards lors de la Semaine sanglante. Pour permettre à la Réaction de réinstaurer l’ordre bourgeois, l’Allemagne, soucieuse que la guerre sociale ne s’étende à son territoire, avait libéré des milliers de soldats français pour qu’on les envoie assassiner leurs compatriotes.

Aujourd’hui, d’autres méthodes existent pour organiser un gigantesque décervelage. Métronome en fait partie, comme d’ailleurs le dernier jeu à la mode, Assassin’s Creed Unity, qui n’hésite pas à reprendre les clichés les plus éculés forgés par la Réaction depuis deux siècles, évoquant ainsi, contre toute vérité historique, « les centaines de milliers de morts » ( !) et présentant Robespierre comme une créature « bestiale » et les révolutionnaires comme des brutes...

Je me fais taxer d’intolérant lorsque j’essaie d’avancer cette idée simple, évidente, que tout est politique, que, non, on n’a pas le droit de piétiner la mémoire de celles et ceux, petits, obscurs, sans grade, qui ont fait justement la grandeur de notre pays, que les Deutsch et ses comparses sont d’authentiques faussaires et des commis du Capital.

Eh bien tant pis, si j’avais dû me renier, comme nombre de ceux que j’ai fréquentés entre 1967 et 1975, il y a longtemps que je l’aurais fait !

Mais que viennent donc faire François Hollande et Audrey Hepburn dans cet article me demande, perplexe, ma femme, qui telle celle de Colombo, manifeste un sens critique aigu… ?

Le scooter, bien sûr !

Et, avouons-le, la gracieuse Audrey Hepburn, comédienne fine et sensible aux engagements humanitaires sincères, enlaçant Gregory Peck sur le scooter de Vacances Romaines, ça vous avait une autre gueule que les balades nocturnes de notre ex-socialiste enamouré et de notre monarchiste maladroit !

P.S. J’allais oublier... Puisqu’il est question de « monarchistes », qui saura, les « grands » médias ayant ignoré l’incident, que la semaine dernière à Aix-en-Provence (où les Royalistes firent régner la terreur blanche et massacrèrent allègrement les Républicains), des énergumènes fascisants se réclamant de l’Action française et chantant “ Maréchal nous voilà ! ” ont attaqué une réunion des Jeunesses communistes de la ville ?

3 décembre 2014

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