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L’article du Figaro qui a provoqué la rage de Macron

Liban : le pas de deux d’Emmanuel Macron avec le Hezbollah

Ce n’est pas tous les jours que Le Grand Soir donne à lire un article du Figaro.
Mais vous vous demandez sans doute ce qui a provoqué l’incroyable engueulade publique de Macron à Georges Malbrunot.
https://twitter.com/i/status/1301204197187227648
Lisez donc.
LGS

Le chef de l’État rencontrera, mardi, le chef du bloc parlementaire du mouvement chiite pro-iranien, convié à la résidence des Pins parmi d’autres responsables politiques.

Par Georges Malbrunot
31 août 2020 à 20:09

De notre envoyé spécial à Beyrouth,
Le Hezbollah a encore du mal avec la métaphore macronienne. « Il faut arrêter de discuter du sexe des anges », avait enjoint Emmanuel Macron aux chefs de parti, reçus à la résidence des Pins à l’issue de sa première visite le 6 août dans un Liban, meurtri par la tragique explosion qui avait tué près de 200 personnes, deux jours plus tôt au port de la capitale.
Sur un ton très ferme, le président de la République avait sommé ses interlocuteurs de s’engager sur la voie des réformes indispensables à la survie d’un pays au bord de la faillite. Parmi eux, Mohammed Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah, demanda ensuite à des proches de lui décrypter cette image auquel un pieux musulman chiite n’est guère familier. Mais le représentant du Parti de Dieu pro-iranien, qui domine la scène politique grâce à son arsenal militaire, n’en voulut point à Macron. Et pour cause ! Il eut droit, à l’issue de la rencontre, à un aparté de huit minutes avec le chef de l’État. Première fois depuis la naissance du Hezbollah, en 1982, qu’un président français échangeait en direct avec un de ses membres. « Cela équivaut à une reconnaissance internationale », se félicitait quelques jours après un proche de la mouvance, classée terroriste par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne.

« Je veux travailler avec vous pour changer le Liban », lui avait dit Macron, selon une source française à Beyrouth. « Mais prouvez que vous êtes libanais, avait-il ajouté. Tout le monde sait que vous avez un agenda iranien. On connaît très bien votre histoire, on sait votre identité particulière, mais vous êtes libanais, oui ou non ? Vous voulez aider les Libanais, oui ou non ? Vous parlez du peuple libanais, oui ou non ? Donc rentrez à la maison, avait recommandé Macron, quittez la Syrie et le Yémen, et faites le boulot ici pour construire un État parce que ce nouvel État va aussi bénéficier à vos familles ».

Quelques instants après, lors de sa conférence de presse, Macron enfonçait le clou en réponse à une journaliste libanaise qui lui demandait s’il pouvait accepter des membres du « Hezbollah terroriste » dans un futur gouvernement. « Le Hezbollah a des députés élus par les Libanais, il fait partie de la scène politique », assurait Macron. Sous-entendu : je ne peux pas le rayer de la carte. Message bien reçu au fief du parti dans la banlieue Sud. Le lendemain, Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, saluait « la visite positive » de Macron. « Emmanuel Macron a réellement une approche différente de celle des États-Unis, se félicite l’analyste Walid Charara, proche du Hezbollah. Après l’explosion, il a dit publiquement aux Américains que leur politique de pressions allait échouer, qu’ils allaient étouffer le Liban, et que la seule force qui ne s’effondrerait pas, c’est le Hezbollah. »

Mais il en faut beaucoup plus pour briser la méfiance réciproque, comme le rappelle une note de cadrage du ministère des Affaires étrangères en date du 23 janvier 2019 adressée au chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, qui appelle à « exercer (…) des pressions (…) sur les acteurs qui entravent le bon fonctionnement des institutions et perturbent les équilibres traditionnels du pays : Gebran Bassil (alors ministre des Affaires étrangères) et le Hezbollah ». En coulisses, des messages ont été passés ces dernières semaines entre Paris et la formation chiite. Selon la source française précitée, « Macron leur a dit en substance : on ne vous ennuie pas sur la question de vos armes et sur deux ou trois points qui vous importent ; mais en contrepartie, vous mettez de l’oxygène dans le système. Acceptez de jouer le jeu, car on ne peut plus continuer comme cela, et vos partisans couleront avec le système. »

Réparer les dégâts
Certes, le Hezbollah, dont les circuits financiers échappent au système bancaire, n’est pas visé par la menace d’Emmanuel Macron de sanctionner les responsables libanais, s’ils s’obstinaient à refuser « le nouveau contrat politique » qu’il appelle de ses vœux. Mais dans la bataille qui s’est engagée pour choisir un nouveau premier ministre à la place de Hassan Diab, démissionnaire, le Hezbollah est, dans un premier temps, resté sourd aux appels de Paris. « Fort de l’accord Chine-Russie-Iran, il se sent pousser des ailes », regrettait le 15 août un diplomate. « Pourtant, l’explosion du 4 août l’a affaibli », ajoutait-il.
De nombreux Libanais lui imputent une part de responsabilité. Pour la première fois, le 8 août, l’effigie de Hassan Nasrallah fut exhibée au bout d’une corde par des centaines de manifestants en colère. « Beaucoup lui en veulent, y compris pour son bilan politique car il cogérait le pays », constate le diplomate. Sous l’effet de la déflagration, le Parti de Dieu a commencé de perdre sa couverture chrétienne. Son allié, le Courant patriotique libre de Gebran Bassil, gendre du président de la République, Michel Aoun, se fissure. Quant au patriarche maronite, Mgr Bechara Boutros Rahi, qu’Emmanuel Macron rencontre ce mardi, il appelle, désormais, à se distancier de la milice pro-iranienne.

Fort de sa supériorité militaire, le Hezbollah a toujours été pour un État faible et des dirigeants sans grande volonté politique. Saad Hariri, l’ancien premier ministre, remplit cette case : jusqu’à ces derniers jours, le Hezbollah le soutenait, avant de se raviser et d’accorder sa bienveillance à Mustapha Adib, choisi lundi par les ténors sunnites.

Son futur gouvernement de mission souhaité par Paris n’est pas encore formé. Le Hezbollah n’y était, jusqu’ici, guère favorable. Il a adouci sa position. « Le Hezbollah veut un gouvernement qui réussisse tout d’abord à réparer les dégâts causés par la catastrophe du port, puis qu’il pose des jalons pour l’avenir », souligne Walid Charara. Mais il restera vigilant sur le contenu des réformes qui seraient proposées au Parlement, présidé par son allié le président de la chambre, Nabih Berri.

Mohammed Raad aura-t-il droit ce mardi soir à un nouvel aparté avec Emmanuel Macron à la résidence des Pins ? La formation chiite est prête à un pas de deux avec lui, mais elle s’interroge. « Est-ce qu’il y a un mandat américain pour soutenir les efforts français ? », se demande Walid Charara. En attendant, la veille de l’arrivée de Macron, Hassan Nasrallah a affirmé qu’il était prêt à discuter du « nouveau contrat politique » que le chef de l’État tente de mettre sur pied au cours de sa visite au Liban. « À condition qu’il s’agisse d’un dialogue libanais et que ce soit la volonté de toutes les parties libanaises », a ajouté Nasrallah. Un oui mais, en quelque sorte.

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COMMENTAIRES  

03/09/2020 13:51 par njama

S’agissant de la relation qui le relie au Hezbollah, il a expliqué :
« Il y a eu une entente avec le Hezbollah signé en 2005, et ce n’est pas une fusion partisane. Après la guerre israélienne contre le Liban en 2006, c’était de mon devoir de me tenir au côté du Hezbollah. Je suis Libanais et non Israélien. Et le Hezbollah est libanais. On pourrait avoir des divergences sur des questions internes, mais lorsque Israël a l’intention d’occuper le Liban et de tuer le Hezbollah libanais sur le sol libanais, chaque citoyen libanais ne saurait que se tenir au côté du Hezbollah contre les agresseurs ».
source : Le président Aoun : le Hezbollah n’a pas besoin de stocker des armes dans le port… la justice libanaise en décidera
http://french.almanar.com.lb/1847474

04/09/2020 17:04 par sergio

Halte au néo-colonialisme à la macron !, personne n’est dupe, macron n’est qu’un porte valise de l’Otan (et l’un de ses membre actif), ainsi que de l’EU (dirigée par l’Allemagne, membre très influent d’une application intransigeante des principes européistes = critères maastrichtiens – et sa fameuse "règle d’or" – l’UE, création purement étasunienne et donc de l’acceptation par tous ses membres du protectionnisme otanien. Ils ne souhaitent aucunement aidé le Liban, mais seulement le soumettre, et ainsi mieux le détruire ; dans l’intérêt exclusif d’Israel, et au passage, ils n’hésiteront pas une seule seconde à essayer de détruire l’influence du Hezbollah libanais. macron go home !

04/09/2020 18:30 par chb

Le Hezb a bien des raisons de rester méfiant. Sarkozy, dont notre Jupiter reprend le rôle de mouche du coche (lequel ?) avait discuté aimablement avec Kadhafi et al-Assad avant de les planter.
Malbrunot en sait quelque chose, qui a fréquenté les deux "dictateurs", et qui a aussi souffert des agissements des divers présidents depuis son enlèvement.
Bilan : l’époux de Trogneux n’habite pas encore sa fonction présidentielle.

04/09/2020 20:58 par Awful JR

L’article est rédigé de façon courtoise, polie, sans acrimonie, un vrai article de journaliste. De plus, Georges Malbrunot connaît très bien le sujet.
Irrésistiblement, cette séquence me fait penser au film qui vient de sortir en salle, l’Ombre de Staline.
Georges Malbrunot est plus du côté de Gareth Jones que de Walter Duranty.

05/09/2020 12:14 par njama

Georges Malbrunot aurait-il été mené en bateau par son informateur ?
Le Hezbollah dément les propos attribués à Macron lors de sa rencontre avec Raad.
2 septembre
Le bureau du chef du bloc parlementaire du Hezbollah Mohamad Raad a démenti catégoriquement le contenu d’un article du Figaro sur la teneur de la rencontre qu’il a eue avec le président français, Emmanuel Macron, lors de sa visite au Liban, au lendemain de l’explosion meurtrière de Beyrouth le 6 aout dernier.
Ces propos n’ont rien à voir avec la réalité, a affirmé le communiqué du bureau publié le 1er septembre.
(...) Et le bureau parlementaire Hezbollah de répliquer, après avoir démenti ces allégations.
« Nous allons garder pour nous les propos véridiques et positifs que le député M. Raad a entendus de M. Macron parce qu’il faut « respecter le secret de la teneur des rencontres » », selon le texte de son communiqué.
(...) http://french.almanar.com.lb/1862093

Il est vrai que cette partie citée par l’informateur de Malbrunot (Je veux travailler avec vous pour changer le Liban. Mais prouvez que vous êtes libanais. Tout le monde sait que vous avez un agenda iranien. On connaît très bien votre histoire, on sait votre identité particulière, mais vous êtes libanais, oui ou non ? Vous voulez aider les Libanais, oui ou non ? Vous parlez du peuple libanais, oui ou non ? Donc rentrez à la maison, quittez la Syrie et le Yémen, et faites le boulot ici pour construire un État parce que ce nouvel État va aussi bénéficier à vos familles ».) est pour le moins très suspecte, condescendante, coloniale, et serait aux antipodes de la bienséance diplomatique la plus élémentaire !
Et si Emmanuel Macron était français ne devrait-il pas libérer Georges Ibrahim Abdallah, retirer les militaires français des OPEX dans différents pays étrangers, comme en Syrie, en Libye, au Mali,...

Hypothèse, E. Macron a pu avoir un coup de sang avec le titre percutant de l’article, "un pas de deux" avec un mouvement politique classé de longue date terroriste par les US comme par Israël, et seulement classé terroriste par l’U€ à l’été 2013 après que le Hezb s’était engagé dans la bataille de Qousseir pour sécuriser la frontière libanaise infectée de terroristes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Qousseir_(2013)

Assurément le Hezbollah n’est pas terroriste pour l’immense majorité des Libanais, la preuve :
https://www.youtube.com/watch?v=CJgnxEfmoeU

05/09/2020 16:01 par Peuimporte

Il n’y a pas que Walid Charara à être "proche du Hezbollah". Bien que les Libanais soient divisés face aux événements qui ne cessent de les frapper, plus de la moitié d’entre eux sont proches de ce parti de la Résistance, sans lequel le Liban serait aujourd’hui englouti au fin fond de la "profondeur stratégique" réclamée par Israël et ses parrains... Et pas seulement le Liban, comme le prouve le témoignage suivant, dont le contenu n’est un secret, ni pour Malbrunot, ni pour Macron, ni pour le gouvernement français et ses services du renseignement :
https://www.mondialisation.ca/rendez-au-hezbollah-ce-qui-est-au-hezbollah/5647705
Quant à « l’approche différente » de Macron par rapport à celle des États-Unis, disons que le premier programme en deux temps, ce que le second programme en un seul temps.

06/09/2020 17:34 par Peuimporte

Pour info :
Les combats de Georges Malbrunot contre la déraison d’État
https://deep-news.media/2020/09/05/soutenons-malbrunot/

07/09/2020 11:53 par njama

Merci Peuimporte pour les liens.
Georges Malbrunot est un excellent journaliste, d’une façon générale "les affaires étrangères" sont chasses gardées de l’exécutif dans tous les gouvernements, révéler les coulisses de ce qui se trame dans les chancelleries, met à mal la communication des gouvernants. C’est ce qui dérange l’empire dans le cas du procès de Julien Assange.

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(...) Au-delà de la liberté du fondateur de Wikileaks, c’est en filigrane celle de tous les journalistes d’investigation qui risque de se jouer à la Old Bailey Court (centre de Londres) durant trois semaines. En effet, pour nombre de ses soutiens, si Julian Assange est extradé, cela créera un précédent, voire une jurisprudence, qui permettra à Washington de juger sur son sol, et selon ses propres lois, n’importe quel journaliste au monde...
https://francais.rt.com/international/78472-reprise-proces-extradition-julian-assange-londres-avenir-journalisme-investigation

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