Lettre ouverte au Premier Ministre
Laurent Salvador Lamothe
Monsieur le Premier Ministre,
Dans votre Enoncé de Politique Générale vous déclarez que
. La vraie reconstruction d’Haiti passe par des réformes en profondeur des structures de l’Etat…
. La justice constitue le socle sur lequel devra se fonder notre contrat social et son renforcement sera l’action prioritaire de mon gouvernement.
. Tous les moyens seront mis en oeuvre sous mon gouvernement pour que la justice soit remaniée à tous les points de vue ; que ce soit structurel, organisationnel et fonctionnel.
. Une des priorités de mon gouvernement en matière de justice demeure le respect du droit de propriété. C’est une garantie qu’il faut offrir pour la stabilité sociale.
Monsieur le Premier Ministre vous dites croire qu’un nouveau rêve haitien est possible. Nous, nous le savons possible. Et puisque vous comptez associer à vos efforts tous les secteurs de la vie nationale, nous souscrivons en vous invitant à kore vos cinq « E » d’un « S » pour SECURITE et d’un grand <> pour JUSTICE.. Ce qui commande pour le volet sécurité une action aussi concrète qu’urgente à l’adresse des déportés, des motocyclistes, des meurtriers en cavale … De nombreux cas sont recensés ces tous derniers jours :
Cambiste tué à Morne Thomas (Aquin), Policier tué à Carrefour, Mlle Lamothe revenue au pays, assassinée à Canapé Vert, à Petit-Goâve de multiples cas de rançonnement et une tentative de meurtre (certaines victimes n’en parlent pas par peur de représailles)… etc.
Lors, l’histoire retiendra, - pour vous répéter, - qu’un gouvernement (Martelly ?)-Lamothe aura travaillé à l’édification d’un véritable Etat de Droit.
Monsieur le Premier Ministre, l’écrasante majorité des citoyens haitiens de l’intérieur et de l’extérieur d’Haiti, surtout ceux des couches populaires les plus défavorisées, ont pris conscience au cours des années 80 -(vous aviez entre 2 et 11ans)- du rôle que chacun doit jouer dans le cheminement du destin national et dans le développement du pays. Ils se sont organisés pour défendre leurs intérêts communs et ont mis en place en décembre 90 un pouvoir à visée progressiste, cherchant ainsi à renverser la culture seculaire imposée par une suite de gouvernements agissant au profit exclusif de la minorité possédante. Le coup d’Etat perpétré le 29 septembre 91 a consacré l’usurpation de ce pouvoir par des tenants de l’ordre ancien. Les ennemis de la démocratie, avec ce coup d’Etat, ont voulu étouffer cette soif de justice en réinstituant un pouvoir de non-droit pour détruire physiquement et moralement toutes les structures de résistance organisée de la société civile.
Combattre la culture de l’impunité est la seule garantie pour l’émergence et le triomphe du règne du droit. Soutenir la lutte contre l’injustice, contre l’impunité sont des paramètres incontournables pour le triomphe de la justice en Haiti. Et rendre la justice accessible à tous est l’une des premières responsabilités de l’Etat, le concept de justice étant compris en terme de satisfaction des besoins fondamentaux : travail, soins de santé, éducation, logement, accès à la propriété, etc.
Incendies, viols, disparitions, kidnappages, rançonnements, assassinats..., autant de formes que prend le système de terreur aveugle qui sévit ces derniers jours dans le pays.
Morts, disparus, réfugiés de la mer, femmes et enfants de tous âges violées, veufs, veuves, orphelins, orphelines, handicapés, handicapées, enfants nés de mères victimes de viols : lourd fardeau Monsieur le Premier Ministre, pour l’Etat haitien, pour votre gouvernement, qui doit s’atteler à l’imposante tâche de reconstruction, de réhabilitation, de réparation… D’où l’incontournable nécessité pour l’appareil judiciaire de mettre fin en priorité à ce trop long cycle d’horreurs, d’injustices dont l’impunité est, sinon la cause, du moins le facteur déterminent.
Trop de gens ont donné leur vie pour la libération d’Haiti, pour une société haitienne juste. Continuer à l’oublier c’est s’illusionner de façon tragique sur l’avenir de la démocratie en Haiti, sur l’avenir de la Justice. Il y a des faits têtus qui ne peuvent être contournés d’aucune façon. L’histoire de nos institutions judiciaires, - la magistrature, le notariat, la profession d’arpenteur…-, marquée par la négation du droit et l’arbitraire, exacerbe les frustrations des justiciables.
L’impunite est soutenue tant par les carences infrastructurelles que par l’absence de volonte politique, par la corruption et l’incurie de l’appareil judiciaire. Cette situation, - véritable bombe à retardement -, qui représente un risque d’implosion évident doit être efficacement gérée.
La démocratie est une architecture fragile dont le principe essentiel est le respect de l’Etat de droit. Donc du droit. Et la culture d’impunité de l’appareil d’Etat se trouve renforcée quand il n’y a nul blâme, nulle sanction. Quand le glaive hésite, le droit recule.
Malgré une certaine mutation du tissu social, l’administration judiciaire actuelle participe encore et toujours du même modèle idéologique d’exclusion. Une justice inaccessible, inéfficace, dilatoire et irrespectueuse des droits fondamentaux en est la caractéristique indéniable : le jugement repose plus sur la ruse des plaideurs que sur l’exercice du droit raisonné.
L’opacité du fonctionnement administratif écarte la grande majorité des citoyens des services publics. Le manque d’information ou mieux la non-information, l’omerta sur l’organisation administrative et la bureaucratie excessive de l’appareil d’Etat qui contribuent à alourdir le rapport entre les citoyens et les services étatiques en sont des exemples. La fixation des tarifs judiciaires en vigueur remonte à 1977 et les percepteurs y prélèvent librement une partie de leur salaire. L’anarchie qui découle de cette situation encourage la corruption. Une vieille connaissance, avocat, a englouti une partie de sa fortune au Ministère de la Justice en échange d’un poste de notaire… qu’elle n’a pas réussi à décrocher . Véritable vente aux enchères, nous crache-t-elle alors !
Règle technique et opacité bureaucratique se conjuguent pour écarter le citoyen qui doit de plus compter avec l’indifférence, la froideur, voire la voracité, la corruption du fonctionnariat.
Et puisque le système judiciaire n’a de cesse de servir un Etat dictatorial afin de parer des actes illégaux d’un minimum de légalité, faut-il encore insister sur la crainte qu’il inspire ? Sous couvert de sécurité de l’Etat, la connivence entre le pouvoir judiciaire et le gouvernement a suffisamment été argumentée. Pendant toute la période de la dictature, le pouvoir judiciaire a souvent été associé au phénomène de l’impunité soit parce qu’il ne poursuivait pas les auteurs de violations des droits humains, soit parce qu’il les libérait. Bien que le contexte politique soit quelque peu modifié et que la transition démocratique ouvre la voie à une possible indépendance du pouvoir judiciaire, on n’est pas sorti de l’impunité, ce qui montre qu’au delà du régime elle comporte un aspect structurel. L’impunité des crimes est la marque du système judiciaire. Que de crimes - impunis - ont commis juges, notaires, arpenteurs, avocats ! Premye Minis, ale nan kèlkeswa jiridiksyon nan peyi a epi wap konstate ak de nawè w pil ak pakèt byen : tè, kay, gwo komès Apantè, Fondepouvwa, Jij, Notè, Avoka yo genyen…nan fè ekstò syon, izipasyon tit, vò l…
Il faut, Monsieur le Premier Ministre, lever d’urgence le huis-clos de la justice et l’ouvrir au regard de la société, l’exposer au corps social en utilisant toutes les ressources de la publicité.
Il y a obligation de :
Etablir la primauté du droit sur le droit de la force
Juguler la violence déstabilisatrice découlant de l’impunité
Travailler à une réforme en profondeur du Cadastre
Rendre accessible à tous les justiciables les structures de l’appareil judiciaire
S’attaquer aux structures d’injustices de l’appareil judiciaire
Reconfigurer entièrement l’appareil judiciaire.
S’atteler à trouver des solutions au cas par cas, dans le détail, risque de n’amener aucun changement véritable. C’est en traitant les urgences dans une perspective structurelle qu’on peut provoquer de réelles transformations. L’impunité des crimes est la marque du système judiciaire.
Monsieur le Premier Ministre, notre demande est donc double : un autre Etat, un autre pouvoir judiciaire. Pa gen okenn lò t solisyon si nou vle peyi a debloke toutbonvre. Peyi a malad grav, se sèl yon medsin chwal ki pou sove l.
Yvon Pierre
14 juin 2012