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Les Sorcières de Zugarramurdi : un film où l’on rit !

Alex de la Iglesia est plus populaire en Espagne qu’Almodovar. Il y a deux ans, il s’était fourvoyé dans le genre sérieux, essayant d’appliquer son humour à l’Histoire, celle de la Guerre civile, mais n’aboutissant qu’à renvoyer dos à dos républicains et franquistes.

Ses films purement comiques donnent en fait des critiques bien plus pertinentes et percutantes. Dans le cinéma populaire, il représente un comique grotesque et même brutal qui rit de tout, y compris de sujets tabous (l’esperpento) ; il a pour compère Santiago Segura, auteur du plus grand succès espagnol, avec son film Torrente, le bras gauche de la loi (où il se moque même des mongoliens).

Rire de tout, grave défaut aujourd’hui, où le domaine du rire se rétrécit de plus en plus : on n’a pas le droit de rire des Juifs (pourtant, l’humour juif ne consiste-t-il pas à se moquer de sa tribu ?), mais on ne peut plus se moquer non plus du sexe (d’où les attaques haineuses contre Nymphomaniac sur Critikat par exemple), ni des femmes et du féminisme ; c’est pourquoi les Cahiers du Cinéma exécutent les Sorcières : film machiste ! Pourtant, sur cette voie, les Étasuniens (semble-t-il) l’ont précédé, démolissant aujourd’hui la figure de la super-woman répressive, parfaite dans tous les domaines et porte-parole du politiquement correct : ils mettent maintenant en avant des personnages féminins trash.

Dans les Sorcières, on part d’un thème commun à Ken Loach (qui pourtant, lui, ne peut être accusé de machisme) : le problème des divorcés. Dans The Navigators, Loach montrait un personnage de cheminot qui, divorcé avec deux petites filles, consacrait la plus grande partie de son salaire à payer la pension alimentaire de sa femme, qui vivait avec un autre homme (et sur le salaire de celui-ci) ; en outre, s’il voulait pouvoir recevoir ses filles un week-end sur deux, il devait aussi payer le loyer d’un appartement avec une chambre pour elles. Résultat : pris à la gorge, il devait renoncer au statut de fonctionnaire "résiduel", et accepter le statut d’intérimaire, conçu sur le principe du "travailler plus pour gagner plus" (avec toutes ses contraintes et ses risques). Dans les Sorcières, un personnage, dans la même situation, en est réduit à dormir dans sa voiture.

Machisme ou pas, il y a là un problème et un problème social (et non "sociétal") : le divorce est un petit jeu agréable chez les classes aisées (et nos dirigeants libéraux montrent allègrement l’exemple). Mais, chez les ouvriers, hommes ou femmes, il entraîne le plus souvent une dégradation de la situation socio-économique et souvent même des situations dramatiques qui rendent les travailleurs corvéables à merci. On pourrait en conclure que la promotion du divorce et d’un certain féminisme est aujourd’hui une forme de la lutte des classes (des riches contre les pauvres).

Certes, la généralisation de la situation (tous les hommes du film se découvrent solidaires dans leurs griefs contre leur femme ou ex-femme) relève de l’exagération comique ; on pourrait aussi y voir une dénonciation de la guerre de tous contre tous, et en particulier, de la guerre des sexes qu’instaure la société libérale. En tous cas, de la Iglesia soulève un problème que les films "sérieux" (psychologiques) travestissent, eux, sous le mythe de la famille recomposée, gage de liberté et d’épanouissement individuel.

Mais la première raison du plaisir que procure le film, c’est la forme du comique, à la fois réaliste et surréaliste ; car nous sommes dans le réel le plus quotidien (le succès des commerces d’achat d’or, dû à la crise), mais, en même temps, les situations réalistes (un hold-up dans un de ces magasins) dérapent vers des gags loufoques : les cambrioleurs, pour détourner l’attention, se déguisent en statues vivantes incongrues, ou encore, pendant le hold-up, le héros, un fusil dans une main, le portable dans l’autre, doit régler avec sa femme les problèmes relatifs à la garde partagée de leur fils.

La deuxième partie (les cambrioleurs, dans leur fuite, arrivent dans un village de sorcières ogresses) est d’un comique moins efficace, dans la mesure où l’élément réaliste s’affaiblit. Mais on reste au niveau d’un bon film de vampires gore ; et même si on retrouve les clichés liés au personnage de la sorcière, la nuit de sabbat permet aussi au réalisateur de déployer toute sa fantaisie, et une certaine puissance dans les séquences collectives. Certes, la charge anti-féministe se poursuit dans le personnage de la déesse des sorcières, Vénus hottentote géante, mais, après tout, les fantaisies de la Iglesia rappellent, et sur un rythme endiablé, les fantasmes de Fellini dans La Cité des femmes.

Rire semble devenu aujourd’hui une activité hautement subversive et sous surveillance, comme dans le film médiéval de J. J. Annaud, Le Nom de la rose ; curieusement, la laïcité n’a pas fait disparaître la fonction de Grand Inquisiteur. Profitons donc de la liberté dont jouissent encore les "clowns", surtout lorsque le rire suscité est aussi stimulant. (Du côté français, le premier film au box-office est Profs avec son comique infantilisant ! Heureusement, on peut encore voir, sur un registre plus contenu que les Sorcières, Quai d’Orsay).

Rosa Llorens

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