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Les ravages de la LRU (suite)

Intéressons-nous un instant à l’une des conséquences diaboliques de la loi LRU, la prime d’excellence scientifique, mise en place en juin 2009.

Les primes ont toujours existé dans la fonction publique. Jusqu’à ces dernières années, sauf dans les très hautes sphères (du style Inspection générale des finances), ces primes n’étaient guère élevées et correspondaient à un service rendu : un enseignant de collège acceptant d’être professeur principal touchait quelque argent en fin d’année, soumis à l’impôt, cela va de soi.

Avec cette prime d’excellence, nous sommes dans une tout autre logique. Je cite Jean-François Dainhaut, le président de l’AERES, l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement, qui entre en jeu dans l’attribution de cette prime : « Les salaires versés par les universités françaises ne sont guère attractifs […]. Jusqu’à la loi LRU, il n’était pas possible de mettre en place une politique de primes et d’indemnités permettant de compenser ». Pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros (un maître de conférences débutant perçoit environ 1500 euros net par mois), la prime d’excellence est pensée par le pouvoir sarkozyste comme un important complément de salaire réservé fatalement à une minorité, dans une université française où l’on raisonne - de droite comme de gauche - à moyens constants depuis Jospin. Il ne faut jamais oublier qui est l’ennemi, et ce qu’il est. Sans être un aussi ardent défenseur de l’entreprise capitaliste que l’ancien président de la Conférence des Présidents d’Université, mis en examen pour proxénétisme (et donc, peut-être, responsable d’une petite entreprise florissante), Jean-François Dainhaut est un proche de la trouble association L’Arche de Zoé, et un parfait démocrate féministe. Ainsi, à l’AERES, les experts sont nommés et non élus (en contradiction avec les pratiques de l’université française depuis une cinquantaine d’années), ce qui ne pose aucun problème à notre éminent biologiste (interview du 8 janvier 2009). En outre, ce même grand chercheur justifie la faible importance numérique des femmes dans les instances dirigeantes de l’AERES par le fait que, « en plus de leur métier, elles doivent s’occuper de la maison, des enfants, et n’ont donc pas de temps à consacrer à l’AERES ».

Jusqu’à Sarkozy, Pécresse, Dainhaut et autres propagateurs de la logique capitaliste financière dans la fonction publique, les experts chargés de statuer sur les primes, les promotions etc., étaient élus sur des bases, syndicales ou non. Ils sont donc désormais nommés dans la plus parfaite opacité, et parfois à leur plus grande surprise. Ils n’évaluent pas les activités d’enseignement des collègues qui soumettent des dossiers. Les étudiants, les tâches pédagogiques, la transmission du savoir et de la culture ne jouent strictement plus aucun rôle dans la configuration capitaliste de l’université. Et ils ne jugent même pas leurs recherches sur le fond, les dossiers de candidature à la prime d’excellence ne permettant pas de lire ce que les chercheurs ont écrit. Ce qui compte dans ces dossiers, c’est la présentation -en d’autres termes, la manière dont les universitaires se vendent - et le classement des revues où les chercheurs publient (pour simplifier, un classement anglo-saxon qui évolue sans cesse selon des critères souvent incompréhensibles). Nous en sommes arrivés à un point où un très bon article scientifique publié dans une revue brestoise vaut moins qu’un plagiat publié dans une obscure revue de l’Arkansas !

Obtiendront la prime les chercheurs opportunément dans l’air du temps, c’est-à -dire impliqués dans une recherche aujourd’hui porteuse, demain, peut-être, complètement obsolète, faisant partie des bons réseaux, cosignant soit avec des collègues plus illustres qu’eux, soit avec des flopées de doctorants pour montrer qu’ils ont de la surface.

Au bout du compte, c’est le président de l’université qui attribue la prime, qui décide de son montant, après avis du conseil scientifique de l’établissement et, éventuellement, des experts de l’AERES.

Dans l’université comme ailleurs, l’argent va à l’argent. Sans risquer de se tromper, on peut penser que la prime d’excellence bénéficiera aux enseignants précédemment bien lotis, comme les professeurs d’université déjà gratifiés par d’autres avantages. Le but du pouvoir est, bien sûr, dans l’Éducation nationale comme ailleurs, de renforcer les inégalités entre fonctionnaires et de leur faire perdre à moyen terme toutes les garanties nationales en matière de rémunération. Le contenu de la recherche sera aussi sérieusement affecté : les chasseurs de prime tireront à vue sur tout ce qui bouge, dans l’urgence et en fonction du profit.

Les syndicats de gauche (SNESUP, CGT) dénoncent le principe de cette prime fondée, de manière très subjective, sur le mérite et la performance, deux notions bien peu scientifiques. Ils soulignent que le principe fondamental « à travail égal, salaire égal » (en d’autres termes, la notion même de grille indiciaire) est radicalement remis en question.

Pourquoi cette innovation ?
Il s’agit, d’un point de vue idéologique, de considérer l’universitaire comme une marchandise afin que celui-ci pense sa personne et sa production scientifique comme une variable d’ajustement perpétuelle dans le grand marché mondial capitaliste de la « connaissance ». Dans la pratique, la prime d’excellence vise à individualiser tous les parcours pour qu’aucune carrière ne ressemble à aucune autre. Les solidarités, les communautés de pensée, la liberté et, plus prosaïquement, la tranquillité d’esprit des scientifiques, tout cela volera en éclats à très court terme.

A mes yeux, il n’y a qu’une seule parade à cette crapulerie : que tous les universitaires, en tout cas le plus grand nombre possible, se portent candidats. La machine se bloquera d’elle-même.

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