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Les ravages de la LRU (suite)

Pourquoi les universités françaises font-elles si pâle figure dans les classements internationaux, celui de l’université de Shanghai (le plus célèbre), en particulier ? Pas seulement parce que les établissements sont en voie de tiers-mondisation du fait des restrictions budgétaires depuis vingt ans : chaque année, les universitaires doivent faire plus à moyens constants. Pas uniquement du fait de la LRU qui, en mettant les universités en compétition les unes par rapport aux autres, obligent les personnels à concentrer leur énergie sur des activités débilitantes qui les détournent de la recherche et d’un enseignement de qualité ? La raison principale est peut-être que ces classements favorisent - et donc finissent par imposer - le modèle anglo-étatsunien d’enseignement supérieur.

Disons tout de suite que les présidents d’université, au sein de la CPU, leur groupe de pression, ne remettent nullement en cause ces classements pour la bonne raison qu’ils partagent l’idéologie qu’ils sous-tendent : concurrence libre et non faussée, universités au service des intérêts du patronat. Cela dit, un nombre croissant de présidents s’émeuvent, non pas des classements, mais de l’utilisation qu’en font les médias et les politiques. Pour ceux-ci, en effet, l’obligation de figurer en bonne place dans les hit-parades est devenue une fin en soi : pour le grand public, tout classement est " lisible " , simple (simpliste) et permet une articulation rapide et évidente sur n’importe quelle réforme débouchant … sur un meilleur classement. De la tautologie à l’état pur.

Mais parce que, comme l’exprime si bien la Conférence des présidents d’universités, « le grand public accepte facilement ces classements parce qu’ils proposent des informations simples, prêtes à consommer », cette logique va plomber l’université française pendant un bon moment. Au nom d’une prétendue " transparence " .

Pourquoi ces classements sont-ils biaisés ? Au premier chef parce que, pour ce qui est de la recherche, ils favorisent les universités anglophones dans la mesure où les travaux publiés dans d’autres langues que l’anglo-étatsunien sont moins cités, et surtout moins publiés. De très nombreux chercheurs du monde entier proposent d’abord leurs articles (en langue " anglaise " ) à des universités étatsuniennes ou britanniques avant de se rabattre sur des supports nationaux en cas d’échec. A noter que les critères bibliométriques utilisés pour évaluer la recherche privilégient les travaux en sciences " dures " aux dépens de ceux effectués en sciences humaines. On n’omettra pas de mentionner les stratégies de petite cuisine utilisées par les chercheurs aux fins de publication et de citation : au lieu d’écrire un article de fond, il vaut mieux produire un article polémique - qui suscite d’autres articles polémiques écrits par des copains ou des coquins, ce qui crée de la citation et de l’autocitation à tout va. Cette effervescence sans intérêt scientifique affole les ordinateurs de Shanghai. Enfin, parce que les classements mondiaux privilégient largement la recherche par rapport à l’enseignement. C’est pourquoi, par exemple, les efforts considérables mis en oeuvre par les universités françaises pour former les étudiants aux nombreux concours de recrutement ne sont quasiment pas pris en compte par les classements internationaux.

Lorsque les responsables d’une université découvrent leur classement annuel, il leur est difficile, surtout si celui-ci est en baisse (« dégradé », comme on dit dans les agences de notation), de ne pas se concentrer sur ce qui risque de payer à court terme, parfois au détriment de ce qui fait la raison d’être de l’université républicaine de service public.

Depuis quelques années, la Commission européenne (qui veut à tout prix classer), tente d’élaborer, par le biais du projet U-Multirank, un classement qui prendrait en compte d’autres critères que ceux dont raffolent les médias. Ce sera très compliqué car aucun indicateur ne peut respecter, prendre en compte, la diversité de tous les établissements.

La Conférence des présidents d’université comprend en son sein un « Comité Qualité, Évaluation et Rankings (sic, le mot ranking ne signifie rien d’autre que classement mais il est tellement plus inoffensif !) ». Tant que l’université française s’en tiendra à cette logique imposée à la fin des années 1980 par Jospin, Allègre et Lang dans le but, prétendument neutre, d’« évaluer les compétences » pour, toujours prétendument, combattre l’élitisme des humanités, l’accent sera mis sur les compétences et non sur les savoirs. Dans une optique blairienne bien connue. Il s’ensuivra un bouleversement méthodologique radical : selon l’excellent raccourci d’Angélique del Rey, les enseignants, les chercheurs et les étudiants devront être évalués pour mieux apprendre, et non apprendre pour être évalués (http://www.legrandsoir.info/Angelique-del-Rey-A-l-ecole-des-competences-De-l-education-a-la-fabrique-de-l-eleve-performant-Paris-La-Decouverte.html).

http://bernard-gensane.over-blog.com/

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