J’ai sous les yeux une publication d’entreprise.
On y parle de « réussir demain », de « contrats », de « parcours et de suivi individualisé », de « développement du potentiel d’anticipation », de « crainte de se retrouver dans l’impasse », de « parcours réfléchi délivré des idées reçues et de tout fatalisme », d’« approche de l’entreprise humaine et responsable », de « performance globale », de « vision humaine de l’entreprise », de « thématique innovante », de « mission », de « jeu de simulation », de « training job dating » (1).
Dans cette entreprise, on gère les emplois « de façon plus souple et plus dynamique ». Notez bien ce comparatif qui ne compare rien, comme dans les slogans publicitaires (« Persil lave plus blanc »). Dans cette entreprise, on élabore, comme chez Clausewitz, « une vision stratégique ». Dans cette entreprise, les dirigeants se félicitent du « volontarisme des acteurs à travailler dans un esprit de synergie et de complémentarité ». Cette entreprise vise, forcément, à « renforcer sa dimension européenne ». Elle s’en est ouverte au préfet de région qui se trouve être, personne n’est parfait, un ancien directeur de l’administration de la police nationale. Cette entreprise, qui recherche « l’excellence dans l’innovation », veut être « partenaire de son territoire ». Bien sûr dans une « démarche de développement durable ».
J’arrête. Je ne citais pas une publication d’entreprise mais un « Mag’ » d’université. Peu importe de donner le nom de cet établissement qui n’est ni plus ni moins que d’autres dans l’air du temps sarkozyste. Mais comme il ose en appeler à trois immense esprits français, sans faire oublier qu’il s’est placé au service du patronat, disons que nous sommes au pays de Rabelais, de Ronsard et d’Anatole France. Peut-être le berceau français de l’humanisme.
Valérie Pécresse s’est assigné pour mission, d’ici 2012, de « réparer les dégâts de Mai 68 qui avaient cassé l’Université ». Pécresse est très confiante : « Même si elle revient au pouvoir en 2012, la gauche ne reviendra sur rien. Je fais la réforme avec les universitaires, et ils sont majoritairement de gauche. Je crois qu’ils attendaient cette réforme. »
Pécresse a à la fois raison et tort : les universitaires n’attendaient pas « cette » réforme ; en revanche, il y a fort à parier que « la gauche », celle du Traité de Lisbonne, ne reviendra sur rien, d’autant que l’Université française est actuellement gouvernée par des produits de Mai 68 qui se sont glissés avec délectation dans la peau de chefs d’entreprise privée.
(1) A propos de l’expression training job dating : la langue anglaise est parfois très imprécise, surtout quand elle est utilisée par des Français qui ne la connaissent pas. Training job dating peut signifier, selon le contexte :
– prise de rendez-vous pour un boulot d’entraînement
– prise de rendez-vous pour un stage,
et, pourquoi pas,
– prise de rendez-vous de boulot pour l’entraînement
En tout état de cause, cette expression qui se veut anglaise, ne devrait pas figurer non traduite dans un document émanant d’une université française. Or, dans l’esprit des concepteurs de la plaquette, elle est censée signifier "entraînement aux entretiens de recrutement", ce qui est impossible : ce sens ne pourrait être rendu en anglais que par job-dating training ! Le ridicule est donc double.