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Les jurés en correctionnelle

Voici que commence l’expérimentation des citoyens assesseurs devant le Tribunal Correctionnel. J’ai été assez longtemps Avocat Pénaliste et j’ai plaidé assez souvent devant les Cours d’Assises de France et de Navarre pour pouvoir en dire un mot. Disons donc que je suis plutôt favorable à cette innovation en tant qu’Avocat, et très réservé en tant que citoyen.

L’Avocat sait que les jurés populaires ne seront ni plus ni môns répressifs, ni plus ni moins laxistes que les Magistrats. Ils le seront autrement. Ils auront plus d’indulgence pour les prévenus qui se présenteront de manière humble et respectueuse que pour ceux qui chercheront à jouer les magnifiques. Devant un Tribunal, il vaut mieux être Bourvil que Jean Paul Belmondo. Il vaut mieux être Gaby Morlay que Marlène Dietrich. Il appartiendra aux Avocats de préparer leurs clients à un rôle utile.

De même, il faudra insister sur les malheurs que le pauvre bougre ou la malheureuse dame a dû subir. Les Magistrats professionnels sont blindés à l’égard de ce genre d’explications. Les Jurés populaires y sont sensibles. Enfin allons nous assister au retour du père alcoolique et de la maman putain par obligation de nourrir les têtes blondes. Ce genre de plaidoirie est appelé une « dégoulinante ». Elle est d’une extrême efficacité si l’Avocat prend soin de suggérer plutôt que d’asséner. Dégouliner les bons sentiments certes, mais délicatement. A la manière de Jules Renard plus qu’à celle d’Hector Malot.

Enfin, la manie très contemporaine du complot pourra enfin être utilisée à bon escient. Le doute profite toujours au prévenu. Il est plus facile de convaincre des jurés populaires que des Magistrats professionnels de l’existence d’un vaste complot à l’encontre du client pour qu’il porte tout seul le chapeau pour tout le monde. Là aussi, mes chers confrères, de la délicatesse, des allusions, pas de longs développements.

Donc, l’Avocat est content. Bien préparé quant à son comportement dans le box et dans l’histoire de sa vie passée, le client s’en tirera le plus souvent beaucoup mieux.

Le citoyen, lui, est inquiet. La Justice a pour rôle de dissuader les individus de commettre des infractions. Tout ce qui peut créer une incertitude quant à la sévérité de la sanction est de nature à nuire à cette dissuasion. Les Jurés populaires sont infiniment plus imprévisibles que les magistrats. Certes, les petits délinquants l’ignorent, mais les vrais malfrats le savent très bien. La délinquance professionnelle, la plus dangereuse pour chacun d’entre nous, n’a donc qu’à gagner à cette incertitude aggravée.

Par ailleurs, les grands absents de cette réforme restent, une fois de plus, les victimes. Il aurait été envisageable, par exemple, de leur donner leur mot à dire devant le Tribunal d’Application de Peines, plutôt que d’y glisser des jurés populaires. Mais chacun sait bien que le législateur et le gouvernement se moquent bien des victimes. Une larmichette et puis s’en vont.

Enfin, il est toujours comique mais inquiétant de vouloir lier le sort des gens, fussent-ils prévenus de délits graves, à un tirage au sort. Je ne me fais pas à l’idée que le tirage au sort puisse être vraiment une manifestation de Démocratie. Depuis quelques années déjà , nous avons renoncé à tirer au sort ceux qui partiraient à la guerre.

Cette réforme est, vous l’aurez compris, une erreur lourde. Elle aggravera les doutes qui pèsent déjà trop sur notre pauvre vieille justice.

Mais quelque chose malheur est bon. Quand cette réforme aura montré à quel point elle est nocive, nous réfléchirons peut être à l’opportunité de la présence des jurés devant les Cours d’Assises. S’ils venaient à être remis en cause, je ne pleurerais pas.

Etienne TARRIDE

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