Un accord intérimaire sur la question du nucléaire iranien a été annoncé le 24 novembre 2013. Il permettra d’ouvrir une période de six mois de négociations.
Michael Gordon, reporter au New York Times, écrit : « Selon les porte-parole du gouvernement états-uniens, c’est la première fois depuis presque dix ans que l’on parvient à un accord international pour faire cesser l’essentiel du programme nucléaire iranien et pour en contrecarrer certains éléments ».
Les États-Unis ont aussitôt imposé de sévères pénalités à une entreprise suisse qui a violé le régime des sanctions imposées par les États-Unis. « Le timing de l’annonce de ces pénalités semble destiné à faire savoir que le gouvernement Obama considère encore que l’Iran est soumis à des sanctions économiques », explique Rick Gladstone dans le New York Times.
L’« accord historique » inclut en fait de significatives concessions de la part de l’Iran – rien de comparable avec les États-Unis, qui s’engagent simplement à limiter temporairement les sanctions à l’encontre de l’Iran.
Il est facile d’imaginer les concessions que pourraient faire les États-Unis. Pour en mentionner une : Les États-Unis sont le seul pays qui viole directement le Traité de non prolifération nucléaire (ainsi que, plus grave, la Charte des Nations Unies) en maintenant la menace du recours à la force à l’encontre de l’Iran. Les États-Unis pourraient aussi insister auprès de leur client, Israël, pour que ce pays s’abstienne de violer le droit international – exemple parmi tant d’autres.
Dans le discours des médias dominants on considère comme naturel que seul l’Iran fasse des concessions. Après tout dans la communauté internationale les États-Unis sont le Chevalier blanc qui s’efforce de confronter la menace iranienne – supposée être la plus grave menace contre la paix du monde – et d’empêcher ce pays de commettre des d’agressions, des actes de terreur et autres crimes.
Les choses pourraient être présentées différemment. On n’en entend guère parler, mais cela vaut d’être mentionné. Il faut commencer par rejeter l’affirmation des États-Unis selon laquelle l’accord survient, maintenant, au bout d’une période de 10 années pendant lesquelles l’Iran a refusé d’aborder le sujet de sa supposée menace nucléaire.
Il y a dix ans l’Iran a offert de régler les points de désaccord avec les États-Unis à propos de son programme nucléaire, et y compris d’aborder tout autre sujet. Le gouvernement Bush, fâché, avait rejeté l’offre et avait réprimandé le diplomate suisse qui l’avait transmise.
L’Union européenne et l’Iran avaient alors recherché un arrangement par lequel l’Iran suspendrait l’enrichissement de l’uranium alors que l’Union européenne apporterait la garantie que les États-Unis n’attaqueraient pas. Comme Selig Harrison l’a rapporté dans le Financial Times « l’Union européenne, sous la pression des États-Unis..., a refusé de discuter des questions de sécurité », et le processus fut ainsi sacrifié.
En 2010 l’Iran avait accepté une proposition de la Turquie et du Brésil pour que son uranium enrichi soit envoyé en Turquie pour être stocké. En contrepartie l’Occident aurait fourni des isotopes pour les réacteurs relevant de la recherche médicale en Iran. Le président Obama a furieusement invectivé le Brésil et la Turquie, les accusant d’avoir enfreint la discipline, et il a vite imposé de très dures sanctions. Le Brésil, irrité, a alors rendu publique une lettre d’Obama dans laquelle ce dernier proposait lui-même la même solution, certainement parce qu’il supposait que l’Iran allait refuser. L’incident a vite été enterré.
Toujours en 2010, les membres du Traité de non prolifération ont appelé à une conférence internationale pour évaluer une proposition assez ancienne, émise par les pays arabes, pour que soit établie une zone libre d’armes nucléaires au Moyen-Orient. La conférence devait se tenir à Helsinki en décembre 2012. Israël a refusé d’y assister. L’Iran était d’accord pour y assister, sans condition.
Les États-Unis, faisant écho aux objections israéliennes, ont alors annoncé que la conférence était annulée. Les États arabes, le parlement européen et la Russie ont alors appelé à la programmation d’une nouvelle date pour la conférence, cependant que l’Assemblée générale des Nations Unies votait, par 174 voix (contre 6), pour demander à Israël de rejoindre le Traité de non prolifération et d’ouvrir ses installations aux inspections. Pour voter non il y avait les États-Unis, Israël, le Canada, les Îles Marshall, la Micronésie et le Palaos – un résultat qui suggère une autre concession de la part des États-Unis aujourd’hui.
Un tel isolement des États-Unis sur la scène internationale est assez habituel, sur un grand nombre de sujets.
Par contre le Mouvement des Pays non alignés – la majeure partie des pays du monde – lors de son sommet à Téhéran avait une nouvelle fois vigoureusement soutenu le droit de l’Iran, en tant que signataire du Traité de non prolifération, d’enrichir l’uranium. Les États-Unis rejettent cet argument, affirmant que ce droit est conditionné à des rapports impeccables de la part des inspecteurs, mais ces considérations n’existent pas dans le Traité.
Une grande majorité des Arabes soutiennent le droit de l’Iran de continuer son programme nucléaire. Les Arabes sont hostiles à l’Iran, mais dans leur grande majorité ils considèrent que ce sont les États-Unis et Israël qui sont les principales menaces auxquelles ils doivent faire face. C’est ce que rapporte une fois de plus le dernier rapport d’analyse de l’opinion arabe.
« Les officiels occidentaux semblent déroutés » par le refus de l’Iran d’abandonner son droit à enrichir de l’uranium, observe Frank Rose dans le New York Times, qui offre ensuite une explication psychologique. D’autres explications pourraient venir à l’esprit si on sortait un tout petit peu du prêt-à-penser.
Les États-Unis peuvent être considérés comme leader de la communauté internationale seulement si cette communauté est définie de la façon suivante : les États-Unis et quiconque est d’accord avec les États-Unis, souvent par le recours à l’intimidation, ce qui est parfois tacitement admis.
Ceux qui critiquent le nouvel accord, comme le rapportent David E. Sanger et Jordi Rudoren dans le New York Times, mettent en garde contre « des intermédiaires rusés, des Chinois attirés par les ressources énergétiques et des Européens souhaitant revenir au bon vieux temps, lorsque l’Iran était un lieu d’échange important. Mais ils pourraient voir leur opportunité s’envoler ».
En bref ils acceptent actuellement les ordres états-uniens seulement par peur. Et en fait la Chine, l’Inde et beaucoup d’autres pays ont trouvé des voies de contournement des sanctions états-uniennes imposées contre de l’Iran.
Une perspective alternative remet en cause la version habituelle des États-Unis, si on considère que depuis 60 ans, sans interruption, les États-Unis torturent les Iraniens. Cette punition a commencé en 1953 lorsqu’un coup d’État organisé par la CIA a renversé le régime parlementaire iranien et a installé le Chah, tyran allié des États-Unis, qui a battu tous les pires records mondiaux en matière de droits humains.
Lorsque le Chah a à son tour été renversé en 1979, les États-Unis ont aussitôt soutenu Saddam Hussein quand il a lancé la meurtrière invasion de l’Iran. Les États-Unis s’étaient même ensuite directement impliqués en prêtant leur pavillon aux navires du Koweït, allié de l’Irak, ce qui permettait de briser le blocus effectué par l’Iran. En 1988 un avion iranien a été abattu par un navire états-unien dans l’espace aérien civil, faisant 290 morts. De retour aux États-Unis les auteurs de cet acte ont reçu les honneurs présidentiels.
Lorsque l’Iran a finalement été contraint de capituler les États-Unis ont renouvelé leur soutien à leur ami Saddam Hussein. Des ingénieurs nucléaires irakiens avaient y compris été invités aux États-Unis pour recevoir des formations de pointe pour la production d’armes. Puis alors le gouvernement Clinton imposa des sanctions contre l’Iran, lesquelles sont devenues de plus en plus sévères ces dernières années.
Il y a en fait deux États voyous au Moyen-Orient, ils recourent à l’agression et à la terreur et ils violent à l’envi le droit international : les États-Unis et leur État client, Israël. L’Iran a certes commis un acte d’agression : il a conquis trois îles arabes à l’époque du régime du Chah, qui avait le soutien des États-Unis. Mais tout acte de terrorisme attribué à l’Iran fait pâle figure comparé aux États voyous.
Il est compréhensible que ces États voyous s’opposent résolument à l’existence d’une contrepoids dans la région, et il est normal qu’ils se lancent dans une campagne pour empêcher l’existence d’une force de contention.
Jusqu’où ira le petit État voyou pour éliminer la force de contention si redoutée au prétexte qu’elle représente une « menace pour son existence » ? Certains craignent qu’il aille très loin. Micah Zenko du Conseil des affaires internationales [Council of Foreign Relations] signale dans la revue Foreign Policy qu’Israël pourrait recourir à la guerre nucléaire. Le spécialiste des relations internationales Zbigniew Brzezinski demande à Washington de faire clairement savoir à Israël que l’aviation états-unienne les arrêterait s’ils essayaient d’effectuer des bombardements.
Laquelle de ces perspectives contradictoires est la plus proche de la réalité ? Répondre à cette question est davantage qu’un utile exercice. De la réponse découlent des conséquences importantes pour la politique internationale.
Noam CHOMSKY
dimanche 8 décembre 2013
Traduction : Numancia Martinez Poggi