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Menaces contre le gouvernement saoudien

Les Etats Unis menacent d’une démocratisation tous les régimes dictatoriaux qu’ils ont soutenu.

Il est de l’interêt des gouvernants des pays du sud de mettre en place un processus de démocratisation. le récent mémo qui recommande de mener la guerre contre l’arabie saoudite mérite d’être pris au sérieux.

La publication du mémo de Laurent Murawiec adressé au Rand Corp offre une formidable opportunité pour réfléchir sur le sort des gouvernements arabes et de leurs populations, ainsi que, plus généralement, sur le sort des gouvernements et des populations de tous les pays du sud.

L’importance de ce mémo ne résulte pas seulement de son caractère caricatural, de ses destinataires (des conseillers du Pentagone eux même anciens militaires ou hauts fonctionnaires à la retraite), de l’opportunité de sa publication ou de la violence des réactions qu’il a suscité… elle ne réside pas non plus dans le fait qu’il s’agit d’une magnifique opération de désinformation visant à renforcer le front de la guerre au moment même où il s’affaiblit.

L’importance de ce mémo réside dans son contenu même et dans les lectures qui peuvent en être faites suivant le destinataire ciblé. On peut en effet le lire selon trois perspectives différentes, qui témoignent toutes de la nécessité d’une réflexion sérieuse quant à son contenu : la première doit être focalisée sur la logique du Pentagone, la seconde doit mettre en exergue le message politique qui est envoyé aux dirigeants du monde arabe et la dernière, la plus importante à notre sens, doit mettre l’accent sur le message envoyé aux populations des pays arabes et plus généralement à celles de tous les Etats du Sud comme du Nord

Certes, il faut commencer par ignorer certains propos outranciers qu’il contient. L’affirmation selon laquelle la violence est une composante intrinsèque de la culture politique arabe est par exemple à mettre au rang de l’antisémitisme manifeste dont témoignent certains cercles conservateurs américains. Elle rappelle aussi les propos de Ehud Barak disant que les arabes palestiniens, par nature, font toujours le choix du mensonge au détriment de la vérité, comme si vérité et mensonge étaient des catégories raciales ou politiques. On peut en dire autant des différentes qualifications mises dans la bouche des arabes s’agissant des saoudiens, alors que quand bien même elle seraient fondées, elles ne concernent qu’une infime partie de la population saoudienne. On ne s’attardera donc pas sur différents points qui relèvent plus du racisme pur et simple que de l’analyse politique.

De même, les remarques de Mr Rumsfeld, qui dit que la fuite de ce mémo est le signe d’un manque de professionnalisme d’autant plus grave qu’il nuit aux intérêts américains ne doivent pas être prises à la légères. Et les réactions d’une certaine presse arabe qui juge que ce mémo est la simple émanation du lobby juif à Washington doivent être prises pour ce qu’elles sont et rejetées d’un revers de la main : analyses superficielles d’autant plus inacceptables qu’elles voilent les véritables enjeux de la réflexion sur ce mémo.

Le point de vue des conseillers du Pentagone

Tout d’abord, le premier destinataire de ce mémo est le Defense Board Panel, organe de conseil si important que Mr Donald Rumsfeld s’intéresse à ce qui s’y dit. Cet organe n’est pas une simple sinécure réservée à ceux qui ont mérité de la nation américaine.

Il est dirigé pap Richard Perle, un faucon qui a gagné le sobriquet de "Prince des ombres" quand il a servi dans le Pentagone sous Reagan. Richard Perle, selon une biographie officielle est non seulement président du Defense Policy Board pour le Département de la défense, mais il est aussi directeur de Hollinger Digital Inc, Directeur du Jerusalem Post, Producteur de « la crise du golfe ; chemin vers la guerre »en 1992, Assistant du secretariat d’état à la Défense pour les affaires de politique de sécurité internationale de 1981 à 1987, etc.

Le Defense Board Panel compte parmi ses membres, entre autres, des anciens secrétaires de défense, Jameq Schlesinger et Harold Brown, un ancien Directeur de la C.I.A. R.James Woolsey et l’ex-speaker Thomas Foley.

Ceux qui se sont intéressés à ce mémo, et l’ont diffusé, ne sont donc pas des personnalités secondaires dans l’administration américaine. L’institution à laquelle ils proposent leurs conseils gère prés de 40% du budget militaire mondial au moment même où l’administration américaine compte un nombre impressionnant d’anciens de toutes les guerres menées par l’Amérique depuis celle du Viet Nam, si ce n’est celle de Corée.

On ne peut donc ignorer les implications d’un tel message accrédité par d’aussi solides références. D’autant plus que les fuites dites irresponsables et nuisibles par D. Rumsfeld révèlent un état de la réflexion au Pentagone sur au moins trois plans : la caractérisation actuelle de la situation dans le monde arabe, le cas particulier de l’Arabie Saoudite et les stratégies que les américains doivent se préparer à mettre en oeuvre.

Le mémo dit en premier l’échec du monde arabe à se développer. Il observe aussi que le champ religieux dans cette région est investi à la fois par les forces de la contestation et celles de la répression. Il décrit la fragilité des états de cette zone où la démocratie n’a fait que de timides apparitions vite réprimées et l’impasse politique dans laquelle se trouvent tous ces régimes. Il met en lumière la crise croissante vécue par le monde arabe qui atteindrait maintenant son apogée.

Toujours du même point de vue, le mémo s’intéresse au cas de l’Arabie Saoudite. Il rappelle que ce pays est un allié de longue date des Etats Unis. Il met l’accent sur la place particulière des religieux dans ce pays et l’état d’oppression qui en résulte pour les populations. Il rappelle les moyens dont dispose la Maison des Saoud et les Wahhabites depuis le choc pétrolier de 1973. Il évoque aussi la concurrence entre les clergés sunnites et Chiite pour le statut de porte flambeau du message islamique dans le monde sans oublier l’opportunité qu’à constitué pour les premiers leur alliance avec l’administration américaine contre les soviétiques. Il fait le lien entre les tentations prosélytes des Wahabbite, les interêts de la Maison des Saoud et la diffusion mondialisée du terrorisme fondamentaliste qui a fini par toucher le coeur même des Etats Unis.

En terme stratégiques le mémo rappelle la fragilité de la Maison des Saoud, qui ne doit sa position qu’à son alliance avec les britanniques, y compris son statut de gardien des deux lieux saints. Il rappelle que la popularité des membres de cette maison est à son plus bas niveaux auprès des populations de tout le monde arabe qui les accuse d’être corrompus, paresseux, méprisants et malhonnêtes. Il invite à menacer les saoudiens de telle sorte qu’ils revoient leur stratégie prosélyte, cessent leur propagande anti-américaine, anti-israelienne et généralement anti-occidentale, démantèlent toutes leurs institutions caritatives et confisquent leurs actifs, poursuivent et isolent tous ceux qui sont impliqués dans les aventures terroristes y compris au sein des services secrets saoudiens. Le mémo rappelle enfin que dans la grande stratégie moyen orientale qui se profile, « l’Irak est un pivot tactique, l’Arabie Saoudite un pivot stratégique et l’Egypte le prix à payer ».

Le message adressé aux dirigeants saoudiens et à tous ceux des pays du Sud

Il va de soi que ce mémo n’a pas été diffusé accidentellement. Il s’agit d’un message que certaines autorités américaines ont décidé de faire passer aux gouvernements saoudiens et de manière générale aux gouvernement arabes et encore plus générale à ceux des pays du Sud et du Nord.

Ce message dit que l’alliance stratégique nouée entre les américains (dans la continuation des Britanniques) et les autorités religieuses et politiques de l’Arabie Saoudite est morte de sa belle mort. Dorénavant, les failles politiques qui caractérisent le régime saoudien constitueront autant d’opportunités pour les faucons du Pentagone. Transparency International, Amnesty International ne verrons plus jamais la reconnaissance de la validité de leurs analyses et rapports contestées par un véto du gouvernement américain à l’ONU. L ’absence d’ouverture démocratique en Arabie Saoudite sera vilipendée et il ne se passera plus un seul jour sans que l’on s’interroge (avec raison sans aucun doute mais aussi avec toute la puissance conjuguée des média américains) sur la condition désastreuse de la femme saoudienne, la nécessaire réforme politique de ce pays ou le soutien affiché par ce pays à la cause palestinienne et aux « terroristes » qui résistent en Israël.

La classe dirigeante saoudienne va donc traverser une très mauvaise passe. Elle sait qu’elle va devoir lutter de toutes ses forces contre un ennemi d’autant plus fort qu’il aura été pendant cinquante ans son allié stratégique. Nul n’a oublié le sort du Shah. Il n’y a pas de doute que des démocrates et des opposants saoudiens vont bientôt surgir de partout prêts à promettre les indispensables réformes en échange d’un soutien politique et financier (les Hachémites semblent déjà en lice).

Les gouvernements des états arabes et des pays du Sud ont aussi entendu ce message. Même les intouchables saoudiens, pierre de touche de la politique américaine anti-soviétique pendant des années peuvent être menacés. Il n’y a pas de vache sacrée. Pour mener une politique d’indépendance voire seulement de contestation mineure, il faut en avoir les moyens, politiques, diplomatiques, militaires et financiers.

Or : Les puits de pétrole saoudiens ne sont pas à l’abri d’une invasion. Leurs actifs financiers peuvent être saisis. Le poids politique des saoudiens n’est réel que dans la mesure où s’y dessine toujours l’ombre du protecteur américain. Et aux yeux de l’occident, l’organisation politique de ce pays contredit toute les évolutions politiques et constitutionnelles réalisées depuis un siècle.

La cause de ce régime sera toujours indéfendable, comme l’est celle de la majorité des pays du Sud.

Seules des démocraties pourraient résister, parce que leur système politique rend de facto illégitime la contestation par des puissances étrangères des décisions politiques qui y sont prises. Les Etats unis n’ont pas pu intervenir directement au Venezuela. Ils se sont faits complices du patronat de ce pays, dont le coup d’état a piteusement échoué. Les Etats unis n’ont pas pu prétexter de la restauration d’un régime démocratique pour empêcher Chavez de retourner la situation à son profit. Dans cette farce, ledit Chavez aura joué le beau rôle du président démocratiquement élu renversé par une coalition de journalistes, de banquiers et de patrons. Sa légitimité ne lui aura servi à rien lors du coup d’état mais elle conforte indéniablement sa position depuis ces événements. La tâche des démocrates du Pentagone en est rendue d’autant plus complexe.

Les dirigeants non élus des pays non démocratiques ne pourront pas avoir ce rôle. Et ils ne peuvent espérer bénéficier du même répit. Leur position est fragile et foncièrement illégitime, comme le rappelle ouvertement le mémo. Ils pourront être déposés du jour au lendemain sans que pleurent les crocodiles.

Dans le cours des développements actuels de la politique américaine, les décideurs américains ont montré qu’ils pouvaient jouer de plus d’une carte. Et rien ni personne ne pourra protéger les régimes en place dans les pays du sud. Le droit international compte pour bien peu dans l’actuelle administration républicaine, les alliances peuvent être révisées au gré des nécessités et les régimes politiques sans légitimité démocratique n’ont pas les moyens de lutter. L’immense majorité des pays du sud ne peut que plier ou se démettre.

Pourtant ce rapport ne leur offre pas moins une formidable opportunité. Dans la mesure où nul ne peut lutter contre la puissance financière, militaire et politique des Etats Unis, la seule porte de sortie est la démocratisation des régimes. Il n’est pas sûr que les gouvernants des pays du Sud soient prêt à la saisir, et c’est pourquoi on peut dire qu’il y a une troisième lecture possible du mémo de Laurent Murawiec. Celle ci doit être faite par les peuples concernés des pays du Sud et par ceux des Etats européens dont les intérêts seront nécessairement lésés.

Le message adressé aux populations des pays du Sud

Les populations du sud doivent entendre ce message bien au delà des propos excessifs qui le caricaturent. Dans le conflit d’intérêts manifeste entre leurs gouvernants et ceux des Etats unis, leur position est la seule légitime. Ils sont les seuls à pouvoir tirer profit d’une évolution réelle et démocratique des régimes.

Quand le rapport explique que ces populations ont été manipulées par leurs religieux pour servir les intérêts de la lutte des Etats Unis contre l’empire soviétique, c’est un fait. La démocratisation de leurs régimes a été sans cesse reportée au nom de la guerre froide et de l’invasion marxiste.

Quand le rapport fait le lien entre développement, violence politique et corruption, c’est un autre fait. Les pays qui souffrent d’un pillage de leurs ressources au bénéfice d’une minorité plus que réduite ne peuvent se développer.
Quand le rapport explique qu’une évolution des régimes est une nécessité, c’est encore un fait. Il n’y pas un seul pays dans le monde arabe où l’on puisse constater une évolution des systèmes politiques, et les dernières années ont été plus propices aux régressions qu’aux avancées.

Pourtant, il est dans l’intérêt des dirigeants de ces pays d’ouvrir le jeu politique. L’expérience a montré qu’une démocratisation n’est pas une révolution. Il n’y a pas de contradiction entre l’existence de systèmes oligarchiques et l’état de démocratie. Il est sûr pourtant que plus de démocratie favorise l’enrichissement des peuples, l’alphabétisation, l’accès à la santé, le développement technologique, et la légitimation vis à vis de l’extérieur des classes dirigeantes. Il est sûr aussi que l’état de droit est un instrument sans pareil de gestion des conflits et des dissensions internes.

Les populations des pays du Sud soutenues par celles du Nord doivent donc, maintenant et à la lumière des nouvelles manipulations dont elles pourraient être victimes, exiger une démocratisation de régimes que leurs dirigeants ont tout intérêt à leur concéder. Sans quoi les régimes tomberont chaque fois que cela sera nécessaire et, sous inspiration américaine, de nouveaux dictateurs viendront sans cesse remplacer les anciens gouvernants. Dans les années soixante dix au Chili on a vu qu’un gouvernement démocratiquement élu pouvait être remplacé par un dictateur sanguinaire. Il y a peu on a observé au Panama qu’un ancien agent de la CIA pouvait aisément être remplacé par un homme aux ordres.

La seule issue à cette dérive sans fin est la démocratie. Les membres du Défense Policy Board ont invité les peuples et les gouvernements des pays du monde à ce prendre en charge. Ils serait affligeant qu’ils ne soient pas entendus.

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