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Les enjeux des élections en Turquie, Hüsnü-Agit Yilmaz.









solidaritéS, 20 juin 2007.


Les prochaines élections législatives en Turquie auront lieu le 22 juillet 2007. Chaque période électorale dévoile les nombreuses facettes de la crise de l’Etat et de la société turcs. Voyons plutôt...


Le mandat de sept ans du président de la République arrivant bientôt à échéance, le débat pour l’élection d’un nouveau chef d’Etat est ouvert. Ce poste est traditionnellement occupé par un ancien militaire ou par le président du parti politique au pouvoir. Le Parti de la justice et du développement (AKP), majoritaire au Parlement, a toute la légitimité pour prétendre occuper ce poste.

Par un communiqué de presse, diffusé sur son site internet, l’armée a formulé un ultimatum à l’AKP. Il peut se résumer ainsi : nous sommes partie prenante du débat sur la laïcité et nous exprimerons notre réaction s’il y a lieu de le faire. Le message est clair : aucun ministre de l’AKP ne sera élu président, sinon nous prendrons les choses en main, si nécessaire par la force.

La proposition d’une autre candidature que Tayyip Erdogan à la présidence de la République n’a pas non plus satisfait l’armée. La tentative de faire élire le président par le peuple, à travers une modification législative, a aussi échoué, compte tenu de l’opposition des élites dirigeantes, minoritaires dans le pays.

En même temps, des meetings pour la République ont rassemblé des centaines de milliers de personnes dans de nombreuses villes. Les forces politiques qui les ont convoquées sont pour l’essentiel des associations de promotion de la pensée kémaliste (dirigées souvent par d’ex-militaires), des forces d’extrême droite, ainsi que la « social-démocratie » nationaliste, comme le Parti du Travail de Dogu Perinçek, condamné récemment à Lausanne pour négationnisme du génocide arménien. En somme, des représentants des couches favorisées de la société, une sorte de « société civile » au service de l’armée.

Derrière ces manifestations, il y a aussi d’autres enjeux : le capital originaire d’Anatolie est devenu une force économique considérable et réclame sa part du pouvoir politique. Face à la question kurde, à l’islam politique et au néolibéralisme, l’ordre et les tabous des élites dirigeantes sont perturbés, affaiblis et discutés. Craignant cette nouvelle configuration, qui peut renforcer l’islam politique, l’armée a appelé les couches favorisées et réactionnaires de la société à réagir, sous prétexte que la laïcité serait en danger. Ce qui est en fait en danger, c’est le pouvoir des élites dirigeantes. En Turquie, la religion n’est pas une question en dehors du politique, elle est en son centre. L’Etat verse les salaires à plus de 100000 hommes de foi, il a son ministère de la religion.

Ces meetings « pour la République » ont fait pression sur les partis de la gauche nationaliste et de la droite, qui ont conduit à une alliance entre deux partis de « gauche » nationaliste, le Parti de la République de Baykal (CHP) et le Parti de la gauche démocrate (MHP) [1]. Leur discours est presque identique. La fusion de deux partis de droite a, quant à elle, échoué à la dernière minute. Le dirigeant de l’un d’eux, Mehmet Agar est un ancien militaire, formé dans une école paramilitaire américaine, il a joué un rôle important dans la guerre contre les Kurdes. L’intervention de l’armée a donc renforcé une « gauche » nationaliste et conservatrice, comme alternative à l’AKP, la consolidation de la droite nationaliste et libérale ayant échoué à la dernière minute. Cela ne suffira probablement pas à affaiblir l’AKP ni à donner satisfaction à la nouvelle bourgeoisie anatolienne.


Une guerre de basse intensité au Kurdistan de Turquie ?

L’armée turque a envoyé environ 500000 soldats à la frontière du Kurdistan irakien, elle a menacé le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et les Kurdes d’Irak d’une intervention militaire musclée. Une zone de haute protection a été créée à la frontière, les compétences de la police ont été élargies, les droits fondamentaux ont été restreints, ceci à la demande de l’armée.

De son côté, le PKK a augmenté ces derniers mois ses opérations armées dans plusieurs villes du Kurdistan. En réaction à la reprise des combats, l’armée a lancé un appel à sa « société civile » lui demandant des « réactions collectives ». Cet appel a donné lieu à des manifestations nationalistes turques dans plusieurs villes du Kurdistan.

Le malaise des élites dirigeantes face à la question kurde est criant. En effet, le PKK a déclaré plusieurs cessez-le-feu, il a appelé ses militant-e-s et sympathisants à fonder une société civile, à mener des actions de désobéissance civile. Ces actions ont créé un malaise croissant par rapport à la République. D’autre part, les municipalités aux mains du parti kurde DTP (Parti démocrate du peuple) ont fondé des écoles pour l’apprentissage du kurde. Il existe de nombreuses tentatives pour promouvoir la langue et la culture kurde.

Le DTP a pris la décision de présenter des candidat-e-s indépendants, seule possibilité d’entrer au Parlement pour ses partis qui ne dépassent pas le quota des 10% fixés par la loi électorale. Une alliance avec d’autres partis de l’extrême gauche a été formée. Dans le but de rendre difficile leur élection, le Parlement turc vient de voter une nouvelle loi, en urgence, pour changer le bulletin de vote, rendant ainsi presque invisible les candidats indépendants.

Les Kurdes ont la possibilité de gagner les élections dans la plupart des grandes villes du Kurdistan, et plus de 30 député-e-s pourraient entrer au Parlement. Les élites dirigeantes veulent à tout prix empêcher cela. Rappelons que la dernière fois que les Kurdes ont envoyé leurs député-e-s au Parlement turc, en 1994, ceux-ci en sont sortis les mains menottées. Ils ont ensuite été condamnés à 15 ans de réclusion. Compte tenu de deux condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme, ces parlementaires ont été innocentés et libérés après avoir purgé 10 ans de prison...

La crise de l’Etat turc va s’approfondir dans les années à venir. Quel que soit le parti au pouvoir après les élections, le pouvoir de l’armée, hors du Parlement, reste identique. Elle continuera à intervenir dans la politique intérieure et extérieure du pays. Ce qu’elle ne pourra pas empêcher, c’est la crise et l’usure croissante des tabous qui fondent l’idéologie officielle des élites au pouvoir, notamment le refus de reconnaître le fait national kurde.

Hüsnü-Agit Yilmaz


- Source : solidaritéS www.solidarites.ch










- Carte : La documentation Française www.ladocumentationfrancaise.fr


[1MHP : Parti du mouvement nationaliste, parti ultranationaliste turc qui est implanté dans les structures paramilitaires, la police, la police secrète, les soldats professionnels, certaines structures mafieuses etc.


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