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Les droits politiques tels qu’ils s’exercent en Occident sont-ils véritablement des droits ?

Les droits politiques, élections libres, presse libre, garanties juridiques, sont-elles les conditions de l’existence de tous les autres droits ?

L’article en lien d’André Lacroix à lire ici sur Le Grand Soir montre bien l’inanité de ce préjugé libéral. C’est, au contraire, l’absence des droits réels (travailler, se loger, se nourrir, se faire soigner, recevoir une éducation, etc) qui vide de leur sens les droits juridiques des individus.

Mais il faut aller plus loin.

Ces droits sont-ils vraiment des droits ?

Au vu de la désertion des urnes et de l’anémie de la presse d’opinion réduite à se vendre à des milliardaires ou à quémander les aides publiques (y compris les soi-disant journaux de référence qui se gargarisent de leur déontologie) on dirait bien que les principaux intéressés, les citoyens ordinaires des "démocraties libérales", n’en sont pas très convaincus !

Je ne crois pas que l’abstention massive soit une forme de protestation, et c’est dommage car dans ce cas la révolution serait au coin de la rue, mais c’est le signe de l’épuisement du récit idéologique libéral/républicain qui justifie le consentement des opprimés depuis deux siècles au moins. C’est donc la promesse de grands bouleversements, mais à plus long terme.

Voter tout les cinq ans pour des menteurs qui ne proposent aucune alternative et qui ne rendent jamais de comptes. Lire les articles suscités par les propriétaires des médias ou écrits pour leur plaire. Participer aux débats hystériques et superficiels qui animent la vie « démocratique ». Participer à des guerres non déclarées sans même le savoir. Donner son avis sur des questions sans intérêt pour le peuple. Donner aux délinquants organisés toutes les protections juridiques imaginables et livrer la société à la violence. Les droits de l’homme n’ont jamais été des droits que pour les élites bourgeoises et aristocratiques.

Le débat (relativement) libre qui se développe est effectivement une expression des contradictions de la bourgeoisie (celle traditionaliste de Fillon contre celle dépravée de Macron). Il n’exprime pas la contradiction centrale de la société, la contradiction capital-travail.

Toute la culture politique bourgeoise, c’est à dire la culture politique tout court qui est enseignées dans les IEP et ressassée dans les médias n’est qu’une dénégation du rôle des classes sociales et du pouvoir de l’argent.

Les mêmes qui nient l’existence du travail gratuit des salariés (définition précise de l’exploitation) affirment à qui veut les entendre que les patrons de presse rendent un service gratuit à la liberté d’informer et à la culture.

Le contrôle de la politique par le capital est sous-évalué, considéré à la fois comme un mythe et comme un lieu commun, et minimisé à l’extrême quand il est reconnu (le tout souvent dans les mêmes publications). Il paraît que « ce qui explique tout n’explique rien ». Mais la vérité, c’est qu’il n’y a plus rien à expliquer. Les débats contradictoires internes à la bourgeoisie sont le jeu du pouvoir bourgeois et sa manière de réguler les ambitions. C’est dans cette succession des vagues éphémères de l’idéologie, « toujours la même histoire » où les hordes de parasites se bousculent au sommet d’une structure réelle inchangée, en invoquant des prétextes à leur course de rats qui ne valent pas mieux que les débats byzantins sur le sexe des anges (et tous les autres débats picrocholins réhabilités dans la culture post-moderne).

La contradiction entre l’argent et la citoyenneté ne date pas d’hier, elle est centrale dès la démocratie grecque de l’Antiquité, et pourtant elle n’est jamais considérée avec sérieux.

Pourtant, parfois, un de ces hommes puissants qui pensaient pouvoir tout acheter tombe de son piédestal. Quand un riche pourri tombe, qu’est ce que cela signifie ? Et aujourd’hui qu’est ce que ça signifie quand ça se produit en Occident, et quand ça se produit en Chine ?

Les deux systèmes procèdent à des purges, dont le but est de signifier par un exemple haut placé un changement de ligne.

On prendra comme exemple le producteur tout-puissant Weinstein à Hollywood en 2019, et Bo Xilai, le dirigeant du PC de Chongquing en 2013.

Weinstein est purgé dans le cadre des contradictions insolubles du « Nouvel âge du capitalisme » qui veut concilier l’individualisme absolu, massif, sans frein et sans règles avec la promesse d’un capitalisme compatissant, repentant, écologiste, féministe, gay-friendly. Ce nouvel âge post soixante-huitard est arrivé à sa vérité, quand l’amour libre se dégrade en harcèlement de rue, et quand les comédiennes refusent d’être assimilées aux « travailleuses du sexe ». A long terme, sur le plan des mœurs, les élites occidentales basculent d’une génération à l’autre du cynisme du Marquis de Sade à l’hypocrisie de la reine Victoria, et retour.

Bo Xilai est purgé dans le cadre de la prise de conscience par le parti chinois que la corruption détruit sa légitimité, et ouvre les portes à une restauration néo-colonialiste. Il signifie aussi le basculement progressif au profit du socialisme des rapports de force internes au PCC.

Dans les deux cas des comportements qui étaient connus et tolérés, ou acceptés avec résignation deviennent soudain insupportables. La ligne a changé.

Mais qui décide de cette ligne ? en Chine on le sait, c’est le Parti communiste, mais en Occident ?

L’explication implicite qui a cours est que cela se décide « tout seul » et qu’il y a une espèce de météo idéologique dont les plus futés sauront anticiper les variations. Ce qui est vrai c’est que les décideurs ne sont pas totalement éclairés sur les motivations de leurs décisions sur chaque question séparée, mais ils ne perdent pas le nord dans leur adhésion opportuniste aux valeurs changeantes, qui conservent un noyau invariant : la nécessité absolue de préserver la société de classe et la propriété.

Contrairement aux apparences crées par la propagande, qui est dissimulée mais structurelle dans la culture occidentale, le citoyen soviétique était beaucoup plus libre que nous. Lorsque des représentants sont choisis dans un pays socialiste, c’est au cours d’un processus où les mandants, avant de voter, sélectionnent eux-mêmes leurs candidats, connaissent réellement leurs élus et peuvent leur faire confiance. Les 100% du "score soviétique" qui provoquent les ricanements universels des bien-pensants ne sont pas l’effet d’une pression policière, mais d’un long travail de la conscience collective qui vise à construire l’unité du peuple. Les citoyens du socialisme tiennent leur pays réellement entre leurs mains, et les opposants au socialisme veulent le donner à d’autres, en échange de promesses d’abondance marchande, comme nous le faisons honteusement à chaque "élection libre".

L’idée d’un parlement où toutes les voix autorisées à s’affronter s’affrontent est essentielle au libéralisme, mais ce n’est en rien une idée démocratique. Les voix qui s’affrontent sont aristocratiques sous l’ancien régime, et oligarchique sous le régime bourgeois. La démocratie prolétarienne imagine plutôt des mandataires rigidement déterminés dans l’utilisation de leur mandat impératif par leur mandants. Il n’y a rien là, il est vrai, d’excitant pour l’imagination : car nous avons été habitués à l’idée que la politique doit être un spectacle passionnant et surprenant et plein d’intrigues, de complots et de rebondissements, et c’est précisément ce qu’il faut éviter si on veut une politique prolétarienne. Le parlement socialiste est une délégation du pays, une structure de conseil, et un organisme qui rédige et qui promulgue les lois. Ce n’est pas un spectacle mais un rouage essentiel de l’État prolétarien.

Le parlement bourgeois est une arène et, comme les arènes romaines, elle n’est pas faite pour éveiller la conscience ni pour le bien public. La vie politique bourgeoise est remplie d’une mauvaise énergie et d’une vitalité morbide que Balzac a décrit parfaitement dans sa Comédie Humaine.

Du reste les parlements bourgeois ont perdu beaucoup de leur lustre et de la passion politique qui les animaient depuis que le pouvoir s’est déplacé hors des cadres nationaux, vers la "gouvernance" d’institutions opaques internationales ou transnationales. Mais dans une société bourgeoise, l’élection des mandataires politiques investis d’un pouvoir officiel et présenté comme effectif reste la seule expression de la vie politique qui semble éveiller un peu l’intérêt du public.

Le retour des élections est donc un cycle pseudo-naturel qui doit enfermer dans un cercle fermé les potentialités révolutionnaires de la société. Participer au vote c’est accepter par avance la légitimité bourgeoise où les pauvres sont invités à choisir leurs maîtres parmi les riches. Ne pas y participer, c’est se vouer à l’inexistence. Y figurer uniquement pour témoigner, à la manière trotskyste, c’est travailler à consolider l’édifice.

On ne peut pas briser ce cercle par une simple victoire électorale, mais il faut participer aux élections et les gagner, afin de pouvoir créer la situation historique qui rendra possible de briser ce cercle. Au temps des Trente Glorieuses, des partis communistes pouvaient dans quelques pays du monde (France, Italie, Chili, etc) atteindre le pouvoir par la voie électorale, et il était entendu que cette éventualité devait être décisive, sans retour possible. Bien évidemment le vote seul n’aurait pas suffit.

L’élection est le langage qu’il faut employer et la scène symbolique qu’il faut occuper, pour pouvoir surmonter le régime qui les a mis en place. Vouloir mener une autre politique sans participer aux élections dans un État bourgeois, ce serait comme tenter de parler au peuple en espéranto.

On ne fait pas « la politique autrement ». Autrement, c’est toujours la même chose : « jusqu’à ce jour on vous a toujours menti, mais moi je vous le promets je ne suis pas comme les autres » ; c’est qu’il faudrait les croire !

Signe de l’épuisement du modèle démocratique libéral, il est de plus en plus fréquent qu’on tente par voie judiciaire d’interdire la participation aux élections aux défenseurs d’une véritable alternative. On a le doit d’être verbalement « anticapitaliste », mais bientôt on n’aura plus le droit de relever d’une idéologie dite totalitaire, et d’être « communiste ».

Ou sinon, si on n’est pas un communiste, mais qu’on représente tout de même un certain danger politique pour les possédants, on sera traîné, préventivement ou a posteriori, devant les tribunaux pour corruption, sachant qu’aucun candidat ne peut gagner une élection importante en Occident sans financement illégal. Médias et Justice interviendront sélectivement pour éliminer ou pour intimider tous les sociaux-démocrates un peu radicaux qui se présenteraient aux électeurs avec quelque chance de victoire.

On a le droit de se présenter si on représente le prolétariat, mais pour perdre. Au moins dans les circonstances habituelles, et de célébrer en grande pompe les souvenirs des défaites sur le mode pleurnichard. Mais parfois, et souvent de la manière la plus inattendue, surgit une fenêtre de tir à la faveur des rivalités internes et de la baisse du niveau de culture du personnel politique bourgeois, et c’est le moment qu’il ne faut pas manquer.

Malheureusement beaucoup qui font profession de changer le monde regardent précisément ailleurs à ce moment là !

GQ 14 juillet 2021

PS 15 juillet :

En 1989 et 1990 en Europe de l’Est, des foules civiques organisées de l’extérieur sont descendues dans les rues pour exiger le pluralisme à l’occidentale et ont obtenu en échange la fin du système socialiste et un effondrement de leur niveau de vie. Cette génération enthousiaste des libertés politiques et du parlementarisme s’est évaporée comme par enchantement dès 1992, et chacun s’est rué à la poursuite des opportunités offerte par la toute nouvelle société libérale : mendicité, émigration, prostitution, drogue, criminalité organisée, exploitation, chômage, cléricalisme et chasse aux sorcières.

"l’Empire du moindre mal" tente de rééditer aujourd’hui le même coup à Cuba, une fois de plus, après avoir échoué à Hong Kong et en Biélorussie l’année dernière, et en Bolivie et au Venezuela l’année précédente.

»» http://www.reveilcommuniste.fr/2021...
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« Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »

John Swinton, célèbre journaliste, le 25 septembre 1880, lors d’un banquet à New York quand on lui propose de porter un toast à la liberté de la presse

(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

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