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Les citoyens n’ont pas bonne presse

Graffiti @ photo de Denis Bocquet

Nicolas Sarkozy et Alain Finkielkraut partagent l’amour du prochain. Tout comme les médias… Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’émission « Des paroles et des actes », sur France 2.

Nicolas Sarkozy et Alain Finkielkraut ont tous les deux été récemment reçus dans l’émission « Des paroles et des actes », animée par David Pujadas. Deux situations traductrices du malaise que les médias ont avec les citoyens « lambdas ». Pourtant en démocratie, une personne égale une voix.

Ce jeudi 4 février est un cas d’école. Nicolas Sarkozy est une personnalité publique. Ex-chef d’Etat, on ne badine pas sur le statut. Peu importe aux intervieweurs que « l’ex » soit quotidiennement pris en flagrant délit de falsification de chiffres. Ce qui remplit des dizaines d’articles de fact-checking, une rubrique journalistique spécialisée dans la vérification des faits. On ne dénombre plus les récompenses attribuées à ses talents d’affabulateur, comme celle de « menteur en politique ». Un prix humoristique créé par le politologue Thomas Guénolé. Soit. Invité de prestige de David Pujadas, Nicolas Sarkozy est questionné par des inconnus du public. Mais les règles sont figées dans le marbre. Il s’agit d’interroger ponctuellement l’ancien président, en aucun cas débattre. Encore moins le bousculer dans ses retranchements. Karl Gahzi, secrétaire de la CGT Commerce, combattant du travail dominical, a le privilège de questionner le patron des Républicains. Mais le syndicaliste est coupable de vouloir s’extraire des règles ultra codifiées. Il oppose à Nicolas Sarkozy, une réflexion de fond sur son bilan et retoque sa légitimité. Entorse à la règle. Il s’arroge le droit d’exprimer librement et de développer un argumentaire, ce qui lui vaut une double-sanction. L’empressement de David Pujadas, et la coupure-son de son micro… Pénalty et carton rouge ! Nicolas Sarkozy, lui, répondra par la circonvolution. Piètre exercice citoyen.

L’anecdote de ce jeudi rappelle celle à peine plus vieille concernant Alain Finkielkraut. Jeudi 21 janvier. Même émission. Même présentateur. Une jeune enseignante musulmane s’insurge des tribunes à répétition d’Alain Finkielkraut. Propagateur d’une parole raciste, selon elle. Ce qui questionne, c’est la similitude de la place laissée à certains citoyens intervenant dans le débat public. L’enseignante est pressée par David Pujadas de conclure, d’aller au but. Exit son développement. C’est un art réservé aux invités « intellectuels » et aux personnalités prévus à cet effet. Mais l’enseignante prend du temps, met son propos en perspective. David Pujadas et Alain Finkielkraut montrent leur embarras face à une situation peu orthodoxe : celle où une citoyenne ordinaire s’attarde pour développer une idée.

La sélection dans l’espace médiatique est une chose ancrée. Trop souvent inhérente au métier. Les intervenants doivent être vendeurs, « bons clients », comme on les taxe dans la profession. Le temps de parole est compté. Surtout pour certains intervenants, comme constaté. Egalement pressé par la montre, le journaliste se tourne vers ce qu’il considère comme des valeurs sûres : ces sempiternels invités essorés jusqu’à la dernière goutte, tant leurs apparitions médiatiques sont nombreuses.
Révolution citoyenne dans les médias !

L’émergence d’une presse alternative devrait mettre en exergue les défauts de la presse en général. Les journaux alternatifs connaissent des difficultés, de visibilité, de financement, mais ils font recette. Le succès des appels au don des médias tels Bastamag et OrientXXI témoignent de la curiosité que leurs reportages suscitent. Et du vent de fraîcheur qu’ils apportent.

Si le citoyen trop imprévisible est blacklisté dans certaines émissions rigides, la sous-représentation de la classe populaire contrevient à l’esprit démocratique. Les mises en garde du CSA ou le livre de Sébastien Rouquette (sur la place des classes populaires dans les médias) ne semblent pas émouvoir les médias. Pas plus que l’enquête réalisée par le journal Fakir, sur une journée-type à FranceInter. Une journée bien pauvre en diversité sociale.

A l’heure où la presse cherche à se réinventer, peut-être y a-t-il matière à intéresser le public, en le faisant intervenir, débattre, prendre la parole, au même titre (!) que les intellectuels autoproclamés (les fast-thinkers ou penseurs rapides, de Pierre Bourdieu), éditorialistes et autres initiés sur-exposés. Luc Boltanski, figure en sociologie, a démontré que le savoir réside également parmi les travailleurs (cadres en l’occurrence). L’historien Maurizio Gribaudi, confirme que le travail engendre chez les ouvriers la réflexion sur leur condition sociale, culturelle et économique. Il s’appuie sur les ouvriers parisiens des années 1798-1848… Une approche de la classe ouvrière productrice de réflexion, que l’on retrouve dans le livre de Xavier Vigna, « Histoire des ouvriers en France au XXe siècle ».

Le citoyen, quelque soit son statut, ne souffre en théorie d’aucune discrimination pour la démocratie. Une voix en vaut une autre.

Florian Maroto

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