9 mars 2015 : Le président étasunien Barack Obama déclare, par décret, que le Venezuela représente une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieur des Etats-Unis”. Pour une personne peu au fait des relations entre le pays pétrolier et le géant impérial, il pourrait s´agir d´une blague de mauvais gout. En réalité, elle n´est que l´aboutissement d´une longue série de 16 ans d´ingérence et d´action subversive pour renverser la Révolution Bolivarienne.
L´acharnement de l´empire contre le gouvernement de Caracas commença dés que celui-ci considéra que le modèle de développement choisi par le Peuple vénézuélien sortait du cadre de l´American Way of Life, et que sa réussite effritait le bloc idéologique conçu au sortir de la guerre froide.
Dès lors, une véritable guerre de basse intensité s´est abattue sur le pays caribéen. Contrastant les méthodes violentes (coup d´Etat de 2002, 2014, 2015, tentative de magnicide en 2004) avec d´autres scénarios déjà utilisés au Chili, á Cuba ou au Nicaragua (guerre économique 2003, 2007, 2014-15, boycott des élections parlementaires de 2005, guerre médiatique permanente), la volonté des Etats-Unis d´en finir avec la Révolution Bolivarienne a été ininterrompue.
Ajoutant aux coups d´éclat et coups d´Etat, l´ingérence d´agences étasuniennes ou de fondations européennes a été permanente depuis 1999, comme l´a montré récemment une étude du Center for Economic and Policy Research (Cepr). En se basant sur des documents rendus publiques par Wikileaks, les chercheurs du Cerp montrent que les Etats-Unis financent et soutiennent l´opposition vénézuélienne depuis l´arrivée au pouvoir d´Hugo Chavez (1) . La NED (Fondation Nationale pour la Démocratie) ou l´Usaid (Agence des Etats-Unis pour le développement international) sont les agences du gouvernement étatsunien les plus compromises dans les opérations de déstabilisation des gouvernement qui ne s´alignent pas avec Washington. Mais elles ne sont pas les seules. Au Venezuela une myriade d´officines nord-américaine et européennes s´affairent d´une part á trianguler des flux d´argent á destination de l´opposition vénézuélienne, et d´autre part, sur le terrain, á conseiller et former la contrerévolution. Une de ces agences, l´International Republican Institute (IRI) est particulièrement active depuis le début du processus politique révolutionnaire.
L´IRI est la branche internationale du Parti Républicain des Etats-Unis. Affilié á la NED, cet institut est dirigé par l´ancien candidat républicain á l´élection présidentiel, le sénateur John McCain. En Europe centrale et dans le Caucase, l´IRI a été une des pierres angulaires des révolutions de couleur contre les gouvernements jugés trop pro-russe par Washington.
L´action de l´IRI contre les gouvernements de Hugo Chávez et de Nicolas Maduro nous rappelle que le gouvernement des Etats-Unis ne cessera son ingérence que lorsqu´ils réussiront á détruire la Révolution Bolivarienne et ses acquis politiques et sociaux.
Une série de documents provenant de l´IRI, envoyés á un grand nombre de journalistes d´investigation, sont riches d´enseignement sur les actions de l´agence nord-américaine au cours des années 2005-2006 (2) .
Ces documents sont très instructifs sur la manière d´opérer de l´IRI, et révèlent une ingérence permanente dans les affaires politiques de la République Bolivarienne du Venezuela. Suivant une méthodologie pointilleuse, et en lien tant avec l´ambassade des USA qu´avec leur quartier général de Washington, les employés de l´IRI á Caracas appliquent leur agenda de formation, de suivi avec les partis d´opposition. L´influence que peut avoir l´agence nous prouve que la véritable opposition á la Révolution Bolivarienne ne se trouve pas á Caracas mais au cœur de l´empire étatsunien.
Une méthodologie pointilleuse
Les documents révélés nous enseignent avant tout sur la méthodologie des agents de l´IRI á Caracas. En effet, ces derniers agissent comme un véritable service secret : rapports réguliers envoyés á leur hiérarchie á Washington, lien étroit avec l´ambassade des Etats-Unis á Caracas, relations permanentes avec les différents partis d´opposition ainsi qu´avec d´autres fondations opérant dans le même registre de la déstabilisation (notamment avec la fondation Konrad Adenauer (3) .
Plusieurs rapports sont étayés d´une analyse conjoncturelle de la vie politique et sociale vénézuélienne. Ces analyses, assez pertinentes, frappent d´emblée par leur contraste avec les prises de position publiques de l´opposition vénézuélienne ou du gouvernement étatsunien.
Ainsi, l´IRI affirme dans ses rapports que l´opposition ne dépassera pas 20% des députés á l´élection parlementaires du 4 décembre 2005 (4) . Consciente de la débâcle annoncée, celle-ci finira par boycotter les élections, essayant par là de discréditer le système démocratique vénézuélien (5) . De même, les analystes de l´IRI mentionnent la victoire inéluctable de Hugo Chávez á l´élection présidentielle de 2006, dans le même temps où le staff de campagne de Manuel Rosales publiait dans les journaux locaux des sondages donnant le politicien de droite largement en tête.
Ces analyses déterminent l´orientation de leur travail avec les partis d´opposition á la Révolution Bolivarienne selon un agenda qui répond beaucoup plus aux intérêts de Washington qu´á ceux du Peuple vénézuélien.
Leurs axes de travail consistent officiellement a renforcer le rôle des partis politique et de la société civil dans la vie démocratique vénézuélienne, aider les partis d´opposition á s´implanter dans les quartiers populaires, et développer de nouveaux leadership politiques au sein de la jeunesse vénézuélienne.
Modifier le panorama politique vénézuélien
La perte de confiance dans les partis politiques d´opposition ressort de la plupart des analyses stratégiques de l´IRI. Pour y remédier, l´agence étasunienne va travailler avec la plupart des partis de la droite vénézuélienne, en vue de modifier leur organisation interne et de faire évoluer leur discours en y édulcorant les aspects idéologiques. En ce sens, on devine l´évolution du discours actuel des cadres de l´opposition dans le travail de l´IRI au cours des années 2005-2006 : promesses démagogiques, triangulation des discours sociaux propres á la Révolution Bolivarienne, maquillage de la structure néolibérale sous le thème du progrès, etc.
La formation électorale est aussi un des thèmes récurrents des stages de formations qu´organise l´IRI. Ces formations prétendent enseigner aux militants escualidos comment améliorer leur campagne électorale, et comment l´organiser. On notera par ailleurs dans l´un des documents que l´IRI dédie une grande partie de son travail de conseil et formation á Primero Justicia (6) . Or en 2005, Primero Justicia n´est qu´un parti politique embryonnaire n´ayant qu´une relative assise au sein de l´Etat du Miranda. La collaboration avec l´agence étasunienne va se révéler fructueuse pour le parti de Capriles Radonski, et au fil des années va leur permettre de réaliser une OPA sur le reste de l´opposition vénézuélienne.
Bien conscient que les classes populaires sont la base du chavisme, l´IRI va peser de tout son poids pour faire évoluer les politiques de communication de la droite vénézuélienne (7) en élaborant une stratégie pour crédibiliser leur discours au sein des classes les plus pauvres du Venezuela.
De plus, plusieurs documents nous révèlent la préoccupation de l´agence étatsunienne pour les confrontations internes au sein de l´opposition. Un travail intense va être entamé avec les partis anti-chavistes afin de construire une plateforme politique et électorale unitaire. Plusieurs réunions et formations de l´IRI vont aller dans ce sens. Le responsable de l´IRI en Biélorussie ainsi que des leaders politiques biélorusses à vont même être invité á Caracas afin de partager leur expérience de plateforme politique unitaire contre le gouvernement d´Alexander Loukachenko (8). Le résultat de ce travail intense de Washington est aujourd´hui connu de tous. Le 23 janvier 2008, la Mesa de Unidad Democrática (MUD) est officiellement crée. Merci qui ?
Travail avec les jeunes
Comme conséquence de la perte de crédibilité des partis traditionnels, l´IRI va centrer une grande partie de son travail sur l´émergence d´une nouvelle classe politique peu suspecte d´avoir entretenu des liens avec le désastre néolibéral des dirigeants de la 4e République : les jeunes.
Tous les rapports d´activité mentionnent un travail intense de l´agence étasunienne pour que les partis politiques d´opposition renforcent leur secteur de jeunesse et présente de nouveaux leadership á leurs électeurs. Comme inscrit dans un document, l´IRI travaille, dés 2006, á la création d´un réseau national de jeunes. Et veille á l´établissement d´échanges entre les jeunes des partis et les membres de la société civile afin de développer la coopération entre les différents groupes de jeunes et éviter les confrontations (9) .
Des stages de formations sont organisés spécifiquement en direction de la jeunesse afin de leur enseigner stratégies et maniement des nouvelles technologies. On notera la présence comme orateur dans l´un de ces stages de Lester Rodriguez, ancien doyen de l´Université des Andes, et ancien maire de Merida, élu sous la banderole de l´opposition (10) .
La naissance du groupe Movimiento Cambio est une des conséquences du travail de l´IRI. En lien avec l´ambassade des Etats-Unis, l´IRI va organiser un voyage d´un membre de Movimiento Cambio á Washington, quelques mois avant l´élection présidentielle. Ce mouvement de jeunes préfigure la naissance du mouvement Manos Blancas au cours de l´année 2007. S´inspirant des techniques de Coup d´Etat soft et des révolutions de couleur, Movimiento Cambio va réaliser, durant la campagne électoral de 2006, une très couteuse campagne médiatique sur le thème de l´insécurité (11).
Movimiento Cambio est un des premiers mouvements vénézuélien á se revendiquer ouvertement des coups d´Etat « non-violent » promus par l´Albert Einstein Institution. Voir que l´IRI et l´ambassade étasunienne étaient derrière la création de ce mouvement de jeune, nous rappelle que les « révoltes universitaires » de 2007, et plus récemment les guarimbas de 2014 n´ont absolument rien de spontanées. N´en déplaise aux multinationales de la communication, elles furent une création de Washington dans la droite ligne de celle conduite en Europe de l´Est et dans le Caucase.
Les lignes directrices de l´opposition dans sa quête du pouvoir sont plus le résultat des actions subversives du gouvernement de Etats-Unis, que d´un programme purement vénézuélien.
A ce titre, c´est plutôt l´IRI et Washington qui représentent une « menace inhabituelle et extraordinaire » pour la démocratie vénézuélienne.
Romain Migus