Réalisé par Julian Schnabel et sorti en 2000, le film Avant la nuit raconte l’histoire de feu l’écrivain cubain Reynaldo Arenas à partir de ses mémoires. Il traite de son passage à l’âge adulte, qui correspond au début de la révolution cubaine, du harcèlement des autorités dont il a été victime, pour cause d’homosexualité et de son statut d’artiste, ainsi que de son exil volontaire et définitif à New York. Écrites une dizaine d’années après son départ en 1980, lors de l’exode de Mariel, massif et autorisé par les autorités cubaines, les mémoires d’Arenas ont été publiées peu avant sa mort du sida, en 1990.
Les critiques ont soulevé plusieurs questions, tant à l’égard du livre que du film, qui vont au-delà de la qualité littéraire de ces oeuvres. Ainsi, on remet en cause l’exactitude de son témoignage concernant la persécution des gais au début de la révolution, l’intérêt de ses mémoires tout autant que de leur adaptation à l’écran par Schnabel. En somme, le livre et le film sont-ils vraiment représentatifs de la réalité telle que vécue de nos jours par les gais de Cuba ?
Pour ma part, je dirais qu’à tout le moins, Arénas a exagéré ses " exploits ". Par exemple, sa prétention, assez incroyable, d’avoir couché avec quelque 5 000 garçons avant l’âge de 25 ans... On admettra que cette donnée, basée sur " des calculs mathématiques compliqués ", est invraisemblable ; si on le prenait au mot, tous les jeunes mecs de l’île restaient aux aguets pour lui sauter dessus !
Quant au film, il n’aborde l’appétit sexuel d’Arénas, apparemment insatiable, que de façon superficielle. On pourrait aller jusqu’à prétendre que le réalisateur a produit une version cinématographique très édulcorée des mémoires. L’auteur y est présenté comme n’étant rien de plus qu’un allumeur invétéré qui donne peu ou pas de suites aux avances qu’il provoque. Une critique informative du livre et du film, par Leonardo Hechavarria, un Cubain, et le Québécois Marcel Hatch, Les gays à Cuba et l’école de falsification de Hollywood, est disponible sur Internet (https://www.legrandsoir.info/les-gays-a-cuba-et-l-ecole-de-falsification-de-hollywood.html).
Le statut légal des gais et des lesbiennes cubains
Avant que d’aller plus loin, situons d’abord l’historique du statut légal des gais et des lesbiennes à Cuba. Dans les années trente, le régime d’alors, non communiste faut-il le rappeler, adoptait la Ley de ostentación pública, une loi interdisant les attitudes et les comportements ouvertement homosexuels en public. Prenant pour cibles ceux qui " font étalage " de leur homosexualité, la loi définissait les actes homosexuels publics et même privés dont pourraient être témoin, même involontaire, une tierce personne. Cela était punissable d’amende et d’emprisonnement. Elle fut abrogée en1988, mettant ainsi fin à la discrimination légale contre les homosexuels puisque toutes les autres lois pénalisant les actes homosexuels en tant que tels, l’avaient précédemment été en 1979.
Le contraste légal entre Cuba et les États-Unis en devient frappant. Ainsi, aux États-Unis, plusieurs États ont maintenu en vigueur des lois séculaires anti-sodomie jusqu’à ce que, tout récemment, en 2003, la Cour suprême des États-Unis les déclare anticonstitutionnelles et qu’elles ne disparaissent à jamais, espérons-le, du cadre légale du pays. Malgré cela, des États main-tiennent toujours d’autres lois répressives à l’égard des gais et de nouvelles sont constamment adoptées. N’oublions pas qu’au niveau fédéral, les États-Unis de George W. Bush résistent avec vigueur à l’acceptation du mariage entre personnes du même sexe.
Le contexte historique de Cuba
Il vaut la peine de s’attarder au contexte historique de Cuba sous l’angle particulier du sort réservé aux gais et aux lesbiennes durant les premières années de la révolution. Le passé de Cuba à l’égard du droit des gais n’est peut-être pas plus reluisant que celui de la plupart des sociétés occidentales. Indubitablement, la culture gaie cubaine a été réprimée, parfois sévère-ment, pendant la période décrite par Arenas dans ses mémoires. Ne correspondait-elle pas, plutôt, à cette ère pré-Stonewall, comme partout ailleurs dans le monde ?
On pourrait aller jusqu’à prétendre que, dans les premières heures de la révolution, la tolérance envers les gais et les lesbiennes pouvait, dans l’esprit des gens de l’époque, s’apparenter à des relents de décadence bourgeoise dont on venait tout juste de se libérer avec la révolution. Ou qu’a contrario, la répression exercée contre cette minorité prenait sa source dans des attitudes petites bourgeoises persistantes chez les révolutionnaires eux-mêmes. Alors que le contexte n’excuse que de façon rarissime un tel comportement, il faut se souvenir que Cuba n’était pas le seul pays à discriminer les gais de cette façon, au contraire ! Souvenons-nous que de semblables exemples, voire des pires, ont existé dans l’histoire de la plupart des pays occidentaux.
Cependant, aujourd’hui, Cuba soutient avantageusement la comparaison sous ce rapport avec les pays d’Amérique latine, voire même d’avec les États-Unis et plusieurs pays européens. Ainsi, encore récemment, il ne se passait pas trois jours, en moyenne, sans que les " escadrons de la mort " brésiliens n’assassinent un homosexuel.
La comparaison d’avec les États-Unis ne laisse de surprendre : des citoyens motivés par la haine, ont commis beaucoup de meurtres contre des homosexuels. Ne retenons, pour mémoire, que les cas les plus récents de Matthew Shepard, Brandon Teena, Billy Jack Gaither et d’autres encore. En 1955, il s’est produit, en Idaho, sans doute l’une des plus infâmes actions anti-gaies de l’histoire des États-Unis. Connue sous le nom de Boys of Boise (Les gars de Boise), quelque 1 400 personnes furent impliquées dans cette minable affaire dont plusieurs furent persécutés et d’autres forcés de quitter leur foyer et leur famille, poursuivis quand ils se réfugiaient dans les États voisins et emprisonnés pendant des années. Un récent documentaire a été réalisé à propos de cette histoire par l’Étatsunien Seth Randal ; il sortira bientôt sous le titre de The Fall of ’55 (Automne 1955). De plus, la Floride, qui abrite tant d’expatriés cubains, a commis maintes offenses contre les gais et les droits de l’homme. De même, dans les années quatre-vingt dix, la police de la ville d’Adrien, au Michigan, a guetté un parc public pendant des mois. Une vingtaine d’hommes, presque tous mariés et hétérosexuels, furent accusés d’attentat à la pudeur. La plupart furent arrêtés à leur domicile devant leurs épouses, leurs enfants et, dans certains cas, leurs petits-enfants.
Si Cuba était aussi répressif que ses critiques nous le laissent croire, il est peu probable qu’un magazine gai aussi branché qu’Out n’ait fait de La Havane, sa destination vedette dans son numéro de février 2001. On y décrivait La Havane comme étant " la nouvelle destination gaie branchée [...] garçons passionnés, bars sexy de travestis et beaucoup plus encore [...] " !
La culture cubaine
C’est Prince F. Konoye qui disait que
" La culture d’une nation est le miroir où se reflètent ses connaissances, ses croyances et ses traditions originales. C’est, en bref, une clé à l’aide de laquelle on peut ouvrir la porte de la connaissance de son peuple et de ses traditions. "
Entre mars 2000 et avril 2003, je me suis rendu à plusieurs reprises à Cuba pour une période équivalente à un total de quatre mois. Afin de me préparer à vivre et à comprendre la mentalité des habitants de l’île, je me suis plongé dans des productions de la culture cubaine pour préparer mon premier séjour.
Ainsi, j’ai fait la lecture de Machos, Maricones, and Gays, Cuba and Homosexuality, du Canadien Ian Lumsden, un défenseur critique de la révolution cubaine. Paru en 1996, son livre nous présente une histoire impartiale du traitement des gais et lesbiennes au début de la révolution. Il traite pareillement des conditions contemporaines dans lesquelles ils vivent dans la société cubaine actuelle.
J’ai aussi vu le film de Sonja de Vries, Gay Cuba, un documentaire sorti en 1995. Des gais et des lesbiennes y racontent franchement leur vie, les relations qu’ils ont avec leur famille, leurs amis et leurs collègues de travail. Fait à noter : sélectionné pour le Festival international du nouveau cinéma latino-américain de La Havane, Gay Cuba a été salué par le public et les critiques. C’est loin d’être la seule oeuvre cinématographique sur la vie gaie à Cuba ; plusieurs autres ont été produites.
Mais celle qui a suscité mon plus vif intérêt est sans doute Mariposas en el andamio (Papillons sur l’échafaud) de Luis Felipe Bernaza et Margaret Gilpin, sortie en salles en 1996. Le mot mariposa, peu courant à Cuba pour désigner un gai, sert ici de métaphore pour décrire le monde des travestis qui vivent surtout dans le quartier havanais La Güinera. Très pauvre avant la révolution et bien que toujours quartier ouvrier, il est aujourd’hui reconnu par l’UNESCO comme un modèle exemplaire de développement communautaire.
Beaucoup des spectacles de travestis qui y sont produits reçoivent des subventions des Comités de défense de la révolution (CDR) et attirent un public nombreux et enthousiaste.
Réalisé en 1993 par Tomás Guitérrez Alea, selon un scénario de Senel Paz, Fresa y chocolate (Fraise et chocolat) est le premier film cubain non documentaire à aborder ouvertement le thème de l’homosexualité. Les critiques n’ont pas tari d’éloges. Le film a d’ailleurs été choisi pour ouvrir le 15e Festival international du nouveau cinéma latino-américain de la Havane en 1993. En 1995, à Hollywood, il a même été nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger de l’année. Ce qui est moins connu est qu’il s’est avéré énormément populaire dans l’île. Même s’il était à l’affiche dans une dizaine de salles de La Havane, on enregistrait de longues files d’attente qui s’étiraient sur plusieurs rues. Ce succès était, sans doute, une réponse retentissante à un désir refoulé des Cubains de parler de l’homosexualité et de la vivre plus ouvertement.
En décembre 2000, le Teatro de Sotano, un théâtre d’avant-garde de La Havane, présentait Muerte en el bosque (Un mort dans la forêt). Inspiré du célèbre roman de Leonardo Padura Fuentes, Mascaras (Masques) raconte les péripéties de l’enquête policière à propos du meurtre d’un travesti. L’intrigue permet un regard lucide sur les attitudes et les préjudices causés aux gais, et ce, à tous les niveaux de la société cubaine.
Un autre événement révélateur du degré d’acceptation des gais s’est produit en 1996. Le très populaire chanteur de nova trova, présumé bi-sexuel, Pablo Milanes, composait une chanson, El pecado original (Le péché originel), qui parle de l’amour entre deux hommes. Il choisit de la présenter lors de son concert annuel dans le vaste théâtre Carlos Marx, à La Havane. Pablito, comme tous l’appellent affectueusement, la dédia ouvertement à tous les homosexuels cubains. A cause du succès populaire immédiat et quasi-foudroyant qu’elle connut, on prétend que cette chanson a participé à l’avancement de la reconnaissance des gais et des lesbiennes. Il est à noter que, dans les années soixante, Milanes fut envoyé quelques mois dans un camp de travail des Unités militaires d’aide à la production (UMAP) ; bien que de courte durée, l’existence de ces camps marque le creux de la vague dans le traitement imposé aux homosexuels.
Puis, lors du 22ème Festival international du nouveau cinéma latino-américain, la quasi-moitié des films projetés avaient des thèmes principaux ou sous-jacents gais. Enfin, en 2001, Emilio Bejet publia Gay Cuban Nation, un ouvrage portant sur les influences de l’homosexualité sur la politique, la culture et la société cubaines, et ce, sous le prisme de l’étude des écrits actuels ou anciens d’artistes gais et lesbiennes.
Sur une note plus légère, je retiendrai quelques anecdotes révélatrices du degré d’acceptation de la condition homosexuelle à Cuba. Ainsi, la troupe de danse La danza voluminosa exécuta, il y a quelques années, une version ballet du Phèdre de Racine. Fondée en 1996, la troupe met en vedette de gros danseurs, pesant souvent plus de 100 kilos. Le directeur de la production distribua les rôles sans tenir compte du sexe des danseurs avec, comme résultat, qu’un homme tint le rôle de Phèdre... Une version théâtrale du film Fraise et chocolat, dont tous les rôles étaient interprétés par un seul acteur, remporta un succès populaire.
En 2006, le téléroman La cara occulta de la luna (Le face cachée de la lune), réalisé par Rafael (Chéito) Gonzales, aborde des sujets provocants comme le VIH-sida, la promiscuité sexuelle entre adolescents, l’homosexualité allant jusqu’à même la bisexualité. Le thème principal de ce roman-savon raconte l’histoire de la relation entre un gai " ouvert " et un homme marié qui combat son homosexualité. Jusqu’à tout récemment, cette thématique restait un sujet tabou. Très populaire, cette émission télévisée fait parler d’elle et provoque beaucoup de débats chez les Cubains.
Un contraste saisissant existe entre cette très riche vie culturelle et intellectuelle, qui est à la portée de tout un chacun, et les bas salaires qui font de l’achat d’une simple paire de chaussures à la fois l’objet d’une complexe planification budgétaire et presque d’un exploit. C’est ainsi que les Cubains ne déboursent que cinq pesos nacionales pour assister au Ballet national de Cuba, huit pour une pièce de théâtre, dix pour les spectacles à grand déploiement et les festivals de ballet, puis deux pour le cinéma. Par contre, les étrangers en visite à Cuba paient en pesos convertibles (CUC ou " dollars touristiques "). Assister au ballet leur revient à 20 pesos convertibles (1) alors que, pour les autres spectacles, ils paieront le même prix que les Cubains, mais toujours en pesos convertibles (2).
Ajoutons qu’à La Havane, il est très facile de dénicher des restaurants fréquentés par une clientèle gaie. Essayez, pour voir, l’élégante cuisine du Chansonnier ou de La Guarida, celui-ci occupant l’appartement où fut tourné le film Fraise et chocolat. Jusqu’à sa récente fermeture et situé sur l’avenue emblématique El Malecon de La Havane, qui longe la mer, La Cafeterà Fiat attirait des centaines de jeunes gais, de lesbiennes, de bisexuels et de curieux. Chaque fin de semaine, cette foule enthousiaste débordait, en face du bar, sur cette avenue, devenue réputée pour cette raison. Ils y formaient une longue haie suivant le mur qui la protège des assauts de la mer. Aujourd’hui, cette même clientèle vient en masse chez un nouveau établissement, situé dans le même quartier et successeur du Fiat, le Bimbom. Pensons également à la messe de minuit de Noël, à la cathédrale de La Havane, ou à n’importe quelle représentation du Ballet national de Cuba qui tous les deux attirent une importante assistance gaie.
La mentalité cubaine
Des siècles de colonialisme espagnol, imprégné de l’influence de l’Église catholique, ainsi qu’une attitude quasi-révérencieuse envers la famille hétérosexuelle traditionnelle perpétuent encore une mentalité et des comportements portant préjudice aux gais. Cela engendre des comportements sexistes plus fortement polarisés que ceux que l’on retrouve généralement dans les sociétés européennes et nord-américaines ; cette situation génère, par conséquent, un nombre important d’hommes qui mène une vie bisexuelle secrète. Appelons ça la particularité latino-américaine.
J’ai quand même posé cette question à plusieurs : " Dans la rue, tiendriez-vous la main de votre partenaire ? " Et, malgré sa particularité, certains ont répondu par un oui timide alors que d’autres disaient que cela leur était naturel, normal, que cela allait de soi. Voir deux hommes ou deux femmes qui se promènent main dans la main dans la rue n’est pas rare, particulièrement à La Havane. Néanmoins, d’autres m’ont indiqué qu’ils se lâchaient la main à l’approche d’un officier de police. Car les forces policières des villes sont composées d’un pourcentage élevé de jeunes hommes, souvent très machos, qu’on recrute en province ; ils n’ont pas nécessairement intégré le fait que les gais ont des droits comme tout le monde.
Pour m’aider à démêler le tout, j’ai recueilli le témoignage d’un couple lesbien, qui a passé récemment une année à Cuba, Sandra, une Argentine, et Gwenn, une Galloise. Elles y ont travaillé pour un grand journal cubain. Mariées au Canada, Sandra m’a raconté qu’elles se tenaient la main et s’embrassaient sans problème dans les rues de La Havane. Présentement à Paris, Sandra me rapporte qu’" il est épuisant pour nous de se promener dans la rue en se tenant la main, car tout le monde nous adresse un regard réprobateur ". Elles se disent déçues par la situation des gais et des lesbiennes à Paris.
En dépit du fait qu’il n’y a peu ou presque pas d’organisations non gouvernementales qui promeuvent l’égalité des gais cubains, le Centre national pour l’éducation sexuelle (CENESEX) effectue un travail remarquable. Axé sur la recherche et l’enseignement, le Centre organise des conférences et des séminaires éducatifs dans le but d’éveiller la conscience nationale et de favoriser la compréhension et la tolérance envers les minorités sexuelles. L’un de ses objectifs actuels vise à promouvoir un amendement à la constitution cubaine protégeant l’orientation sexuelle contre toute discrimination.
Le Centre gère également un important site Internet dont une section spécifique est destinée aux minorités sexuelles. Ces membres peuvent y poser des questions, émettre des opinions ou des commentaires et être informés de événements culturels et sociaux les concernant. Le site offre encore une rubrique réservée aux rencontres gaies ou lesbiennes, le Club de amigos y amigas ; on peut y placer des petites annonces avec photos...
En résumé, disons que Cuba est reconnue pour la richesse de sa culture et le dynamisme de ses intellectuels. Il est donc normal d’y voir présenter des oeuvres théâtrales et cinématographiques ainsi que divers colloques et séminaires qui traitent de thématiques gaies.
Mon expérience personnelle de Cuba
Pendant mes séjours à Cuba, j’ai travaillé à titre de bibliothécaire avec des collègues cubains. En tant que gai, j’étais intéressé à en apprendre autant que faire se pouvait sur les conditions dans lesquelles vivent les gais et les lesbiennes de l’un des " derniers pays communistes de la planète ". Quoique séjournant principalement à La Havane, j’en ai profité pour visiter du pays, notamment les villes de Matanzas, Trinidad et Santiago de Cuba. En plus de mes lectures, tout ce que j’y ai vu et entendu m’a fait douter de la véracité du portrait tracé par Arenas de sa propre vie aux moments de la révolution. En tout cas, ça n’est manifestement pas la réalité décrite par Arenas que j’ai vécue dans le Cuba d’aujourd’hui.
Même si elles enregistraient des différences avec celles d’Europe et d’Amérique du Nord, les communautés gaies que j’y ai découvertes présentaient aussi des parallèles frappants. J’ai rencontré un grand nombre de gais. Bien que, parmi les plus âgés, plusieurs se remémoraient les premières années de la révolution comme une période sombre de l’histoire de Cuba, personne n’a mentionné que le gouvernement les persécute actuellement à cause de leur homosexualité. En revanche, beaucoup d’entre eux m’ont relaté des incidents, à caractère discriminatoire et sexiste, commis par des particuliers. Chacun se disait offensé par les attitudes machistes qui persistent encore de nos jours et qui demeurent l’apanage obstiné de plusieurs milieux de la société cubaine.
Pour ma part, je ne prétends pas savoir avec certitude si la description de la répression dont Arenas et d’autres ont souffert, est vraisemblable ou pas. Quoiqu’il en soit, je suis en mesure d’affirmer que la condition sociale et le statut légal des gais et des lesbiennes cubains d’aujourd’hui se sont améliorés de façon notable.
Quand je me compare, je me console...
Cuba se compare-t-elle avantageusement aux pays d’Amérique latine, à nos propres pays occidentaux dits avancés, progressistes et ouverts ? Combien de progrès a-t-il accomplis au sujet de la mortalité infantile, de l’analphabétisme, de l’éducation, du logement, de la santé, du statut social et légal des femmes et des noirs ainsi que, bien sûr, des droits de la personne, particulièrement de ceux des gais et des lesbiennes, au cours des quarante dernières années ? Sur une base comparative avec notre situation de européennes, Nord-américains et d’occidentaux, une réponse honnête à toutes ces questions nous fait voir un Cuba tout à fait différent de celui dénoncé par ses détracteurs, trop souvent, dans un manichéisme des plus outranciers. Un excellent livre, Cuba face à l’empire américain, de Salim Lamrani, bien documenté et révélateur des relations entre les États-Unis et Cuba est sorti en 2006.
En fin de compte, si on insiste pour tenir Cuba comme une norme idéale, donc théorique, qu’aucun autre pays au monde, surtout pas le mien, ne peut prétendre avoir atteinte, il s’agit alors d’une discussion stérile, voire inutile. Il me semble beaucoup plus intéressant d’évaluer la situation de cette petite nation dans le contexte de notre réalité contemporaine occidentale. Pour tout dire, je comprends le célèbre chanteur québécois, Robert Charlebois, qui a composé une chanson d’amour et de reconnaissance au travail fait à son " ami Fidel ". J’aime et contresigne.
Larry R. Oberg
bibliothécaire principal émérite, Willamette University, Salem, Oregon, États.-Unis loberg@willamette.edu
Cet article est une version revue et mise à jour d’un article de l’auteur, paru dans le Gay & Lesbian Review Worldwide. Reproduction permise avec la permission de l’auteur et en mentionnant la source.