The New York Times, 5 août 2007.
La Havane, 29 juillet - A Cuba, on les appelle "les cinq". Leurs visages sont dessinés ou affichés partout sur les murs. C’est simplement une marque de la célébrité dont jouissent les cinq. Chaque enfant les connaît par leurs prénoms - Gerardo, René, Ramón, Fernando et Antonio.
Ils ne forment pas une "boy band".
Ce sont des hommes d’un âge moyen qui ont été condamnés à de longues peines de prison pour espionnage, non aux dépens des Etats-Unis, maintiennent les autorités cubaines, mais aux dépens de l’extrême-droite des exilés cubains à Miami qui sont considérés par le gouvernement d’ici comme des terroristes.
« Tout le pays connaît leur histoire pas coeur », dit Elena Portala, une quinquagénaire qui travaille dans la reliure, tout en marchant le long d’un mur qui porte les noms de ces hommes et des citations de chacun d’eux. « La radio et la presse parlent d’eux constamment. Ils devraient être libérés. Ils n’ont rien fait de mal. »
Ces jours-ci, de nombreux Cubains mettent tous leurs espoirs dans l’audience orale du 20 août, devant la Cour d’Appel Etats-unienne du 11° Circuit d’Atlanta, où des juges fédéraux décideront si les évidences étaient insuffisantes pour établir leurs convictions.
Les cinq faisaient partie d’un groupe de 10 immigrants cubains arrêtés en septembre 1998 et accusés d’être des membres d’un cercle d’espions appelé le « Wasp Network » (Réseau Guêpe). Quatre autres furent inculpés mais jamais appréhendés. Les procureurs ont présenté des preuves montrant que le réseau avait infiltré « Brothers to the Rescue » (Frères à la Rescousse [1]) et d’autres groupes d’exilés militant à Miami. Quelques uns furent accusés de chercher des informations sur les Services militaires de Renseignement des Etats-Unis.
La moitié des hommes arrêtés ont plaidé coupables, mais le procès s’est finalement tenu à Miami après qu’une juge de District Fédéral, Joan A. Lenard, ait rejeté la motion demandant que les débats se tiennent dans un autre siège. En juin 2001, un jury fédéral les a condamnés. Aucun Cubano-américain ne figurait dans le jury.
Tous les cinq, Gerardo Hernández, Ramón Labañino, Antonio Guerrero, René González et Fernando González- furent condamnés en tant qu’agents étrangers non-déclarés et pour avoir conspiré dans le but de commettre des crimes contre les Etats-Unis. Trois furent aussi condamnés pour conspiration en vue d’espionnage, sur la foi d’évidences montrant qu’ils avaient récolté des informations sur des activités militaires dans une station aéronavale de Key West. De plus, Mr Hernández fut condamné pour conspiration en vue d’assassinat en rapport avec la mort de quatre exilés cubains dont les deux petits avions avaient été abattus par la Chasse Cubaine dans le détroit de Floride en 1996. La juge Lenard a eu la main lourde : Mr. Guerrero et Mr. Labañino furent condamnés à la prison à perpétuité. Fernando González fut condamné à 19 ans de prison et René González à 15 ans. (Ils ne sont pas apparentés.) Mr. Hernández fut condamné à deux perpétuités consécutives.
Depuis leur condamnation, les cinq sont engagés dans les méandres des recours légaux. En août 2005, un panel de trois juges de la Cour d’Appel d’Atlanta a annulé les verdicts, en disant que les défendeurs ne pouvaient recevoir un jugement équitable à Miami à cause des préjugés anticastristes parmi les exilés. Deux mois plus tard, une majorité au sein du 11° Circuit confirma les condamnations mais accepta un appel sur le bien-fondé des preuves, concernant les autres questions.
Pendant ce temps, les "cinq héros" sont devenus le plus grand instrument de propagande que le Gouvernement du parti unique communiste cubain ait eu à sa disposition depuis Che Guevara. Leurs noms et leurs visages sont sur les murs et les symboles partout dans Cuba, avec le mot « volverà n » qui signifie « ils reviendront ». Les officiels cubains ne manquent jamais de faire mention d’eux comme héros dans les discours officiels et les cérémonies.
Une des raisons de leur popularité est la version simplifiée que donne le gouvernement de l’épreuve qu’ils subissent : des hommes courageux qui ont tenté d’infiltrer l’extrême-droite terroriste qui a trouvé refuge aux Etats-Unis et qui est déterminée à frapper Cuba.
Cette vision des choses est porteuse du message que Washington est hypocrite dans sa « guerre contre la terreur », emprisonnant les cinq pour avoir fait une chose équivalente à essayer de trouver Oussama Ben Laden dans son présumé havre du Pakistan.
Cet argument est devenu encore plus persuasif pour les Cubains depuis le mois de Mai, quand Luis Posada Carriles a été libéré de sa prison aux Etats-Unis. Le gouvernement cubain accuse depuis longtemps Mr Posada Carriles, depuis 79, d’avoir tenté d’assassiner Mr Castro et affirme qu’il a été le maître d’oeuvre dans l’explosion d’un avion de ligne cubain en 1976, qui a tué 73 personnes, et dans une série d’attentats à la bombe dans des hôtels et des night-clubs de La Havane en 1997. Les efforts pour l’extrader vers le Venezuela, où il est également recherché pour l’explosion de l’avion de ligne, ont été vains.
"Je suis convaincu que ce sont des héros," dit un comptable qui, comme beaucoup de Cubains, préfère rester anonyme pour éviter de possibles ennuis avec la police. « Toute personne qui est contre le terrorisme doit être de leur côté. Et le gouvernement des Etats-Unis est vraiment injuste de les avoir enfermés alors que Posada Carriles est libre. »
Même les jeunes de 13 ans reprennent l’argument du gouvernement. « Ce sont des frères pour nous », dit Lizbet Martin, une écolière. « Ils ne devraient pas être en prison. »
Dans une récente interview à la BBC, Mr Hernández admet qu’il récoltait des informations sur ce qu’il a décrit comme des groupes paramilitaires déterminés à renverser le gouvernement cubain. Il a maintenu que le gouvernement cubain avait informé le FBI sur ces groupes.
Ce sont des gens qui ont participé à des camps d’entraînement ici au sein d’organisations paramilitaires et ils vont à Cuba, ils commettent des sabotages, des attentats à la bombe et toutes sortes d’agressions, » a-t-il dit à la BBC. « Et ils bénéficient de l’impunité, aussi arrivé à un certain point Cuba a décidé d’envoyer des gens pour récolter des informations sur ces groupes et les faire parvenir à Cuba pour prévenir ces actions. »
Mais Mr Hernández nie avec véhémence avoir aidé la Chasse Cubaine à abattre les deux avions des exilés. « Ils avaient besoin de rejeter la faute sur quelqu’un, et ils m’ont choisi, » a-t-il dit.
Alicia Valle, une porte-parole du Bureau du procureur des Etats-Unis à Miami, s’est refusé à commenter l’affaire. En accord avec les documents de la Cour, le gouvernement des Etats-Unis a admis que les cinq ont espionné des groupes anticastristes comme « Brothers to the Rescue » et le « Movimiento Democrà tico ». *
Mais le gouvernement des Etats-Unis a maintenu qu’ils étaient des espions bien entraînés, non des amateurs, impliqués dans une action d’espionnage, et que aucun d’entre eux n’avait informé le gouvernement de sa présence, ainsi que l’exige la loi fédérale, comme l’ont révélé des documents de la Cour.
Le cas des cinq Cubains a engendré quelques commentaires étranges. Des officiels de haut rang du gouvernement cubain, qui emprisonne régulièrement des gens sans procès public pour avoir critiqué le Communisme, parle en long et en large sur le manque de preuves dans cette affaire, et vitupèrent contre le manque de « procès équitables » dans les Cours américaines.
Dans une récente interview, Ricardo Alarcón, le président de l’Assemblée nationale de Cuba, a dit que les sentences contre ces hommes étaient excessives, en comparaison avec celles prononcées contre un autre espion et a insisté sur le fait qu’ils ne recherchaient pas des informations sur le gouvernement des Etats-Unis. Il a fait remarquer qu’en juillet, un ancien analyste du FBI, Leandro Aragoncillo, n’a été condamné qu’à 10 ans pour avoir transmis des documents top-secrets au gouvernement des Philippines.
Les familles, également, sont devenues célèbres, quoique à un degré moindre. Elles sont invitées à apparaître dans toutes sortes de manifestations de l’état. En une semaine en juillet, des membres des familles ont participé à la remise de diplôme de médecins cubains et aux célébrations du Jour annuel de la Rébellion Nationale. Les orateurs dans chaque évènement, ont salué les familles, appelant les prisonniers des héros.
Mais après les mondanités, de retour à la maison, comme le disent des membres de ces familles, il faut s’atteler à la tâche d’élever des enfants qui grandissent sans leurs pères, et vivre sans son mari.
"Ca a bouleversé ma vie, dit Olga Salanueva, l’épouse de René González qui était pilote dans un aéroport où un des groupes d’exilés avait des avions. « Personne n’est préparé à vivre ainsi séparé de son mari. Et à voir quelqu’un de si humain, de si noble, souffrir encore et encore. »
Elle a ajouté : "Nous n’avons pas une grande confiance dans le système judiciaire de l’Amérique du Nord. nous savons que c’est très difficile, parce que c’est devenu une affaire politique. »
Madame Salanueva a ajouté que les Etats-Unis lui ont à plusieurs reprises refusé un visa pour rendre visite à son mari sous prétexte qu’elle a été expulsée en 2000 et en vertu de règles qui l’empêchent d’obtenir à nouveau un visa.
Adriana Pérez, l’épouse de Gerardo González, a également vu rejeter chaque année sa demande de visa pour lui rendre visite. Des officiels du Département d’Etat ont refusé de commenter ces décisions pour les visas de ces femmes. Elizabeth Palmeiro, l’épouse de Mr. Labañino, a dit la peine qu’elle ressent chaque fois qu’elle regarde ses deux filles, qui ont maintenant quinze et dix ans, et qu’elle réalise à quel point il [leur père] leur a manqué dans leurs vies. Une des filles était un bébé et l’autre avait 5 ans quand il a été emprisonné.
"J’éprouve un mélange de chagrin, de tristesse, de rage, et de fierté," a-t-elle dit.
James C. McKinley Jr
– Source : The New York Times www.nytimes.com
– Traduction : Annie Arroyo
– Transmis par Cuba Solidarity Project
Pour en savoir plus :
Le 16 et le 17 juin 1998, le gouvernement cubain a invité deux importants responsables du FBI, pour leur remettre de nombreux documents prouvant la dangerosité de plusieurs personnes lourdement impliquées dans le terrorisme contre Cuba et vivant en Floride. A ce jour, aucune d’entre elles n’a été inquiétée par les autorités étasuniennes malgré les preuves dont elles disposent.
Trois mois plus tard, le 12 septembre 1998, le FBI a procédé à l’arrestation de cinq Cubains : Antonio Guerrero, Fernando Gonzalez, Gerardo Hernandez, Ramon Labanino et René Gonzalez. Leur crime ? Avoir infiltré, au risque de leur vie, les groupuscules criminels d’origine cubaine responsables de plusieurs attentats violents qui ont coûté la vie à de nombreux innocents. Depuis 1959, le terrorisme contre le peuple cubain a fait 3.478 morts et a rendu infirme 2.099 personnes. (...)
Lire + liens en bas de page : Etats-Unis - Cuba : Les cinq prisonniers politiques cubains détenus aux Etats-Unis doivent être immédiatement libérés. Nadine Gordimer, Salim Lamrani, Noam Chomsky, Adolfo Pérez Esquivel et José Saramago..
- Liberté pour les Cinq (français) : <BR>
www.lescinq.org et www.freeforfive.org
- Solidarité avec les Cinq : <BR>
www.antiterroristas.cu
- USA - National Committee To Free The Cuban Five<BR>
Comité Nacional por la Libertad de los Cinco Cubanos : <BR>
www.freethefive.org