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Le rôle du travail aux Etats-Unis. La bataille pour les droits sociaux.


México, 22 août 2005.


Le syndicalisme aux Etats-Unis est en train de vivre son étape la plus critique en un siècle d’histoire et ce au moment précis où les grandes entreprises de ce pays exercent une énorme pression afin de démanteler les conquêtes sociales et de bloquer les salaires.


« Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner ». Cette déclaration on ne peut plus claire a été faite par l’homme le plus riche du monde, le spéculateur financier Warren Buffet.

Mais qu’en est-il de la classe perdante ? Cette dernière se voit chaque jour forcé de céder ses conquêtes obtenues en un siècle de luttes et elle se retrouve de plus en plus désarmée dans cette « guerre de classes » avec des organisations divisées et déroutées face à l’ampleur des défaites.

Le syndicalisme étatsuniens traverse sa crise la plus grave depuis un siècle, cette crise à provoqué la scission la plus importante depuis 30 ans. Bon nombre de syndicalistes estiment que l’avenir même des syndicats est en train de se jouer. Comme l’a déclaré un dirigeant syndical à La Jornada : « Ou nous décidons de n’êtres que des témoins et des observateurs passifs de notre propre enterrement ou bien nous faisons quelque chose de dramatique pour nous ressusciter. »

Il y a 50 ans, le taux de syndicalisation était de 35% des travailleurs, aujourd’hui, il représente moins de 13%. Ainsi, l’organisation sociale la plus importante et puissante des Etats-Unis devient de plus en plus un acteur politique et économique marginal.

Bien que la scission survenue fin juillet dans le syndicat AFL-CIO - au cours d’un congrès qui, ironiquement, célébrait le 50e anniversaire de l’unité syndicale étatsunienne - ne résoud rien du tout, elle est l’expression de la crise profonde que traverse le mouvement ouvrier face à l’offensive néolibérale aux Etats-Unis.

Et cette rupture n’est en rien une blessure superficielle : des syndicats qui représentent plus d’un tiers des 13 millions de travailleurs syndiqués et plus d’un quart de son budget sont sur le point de fonder une nouvelle fédération syndicale. Une scission d’une telle ampleur n’était plus survenue depuis qu’un groupe de syndicats avait rompu avec l’AFL au milieu des années ’30 afin de fonder la CIO, une scission qui ne fut résorbée qu’en 1955.

Bien que certains espèrent que la rupture permettra de régénérer un mouvement ouvrier décrié pour sa bureaucratisation et son immobilisme, d’autres soulignent que les seuls qui peuvent se réjouir de cette division sont les adversaires des travailleurs.

«  Il y a ici une véritable guerre terroriste, celle provoquée par les patrons contre les travailleurs afin de les empêcher de s’organiser dans des syndicats et de défendre leurs intérêts et leurs droits » a souligné Bill Henning, vice-président de la section syndicale 1180 du syndicat national des télécommunications à New-York dans un entretien accordé à La Jornada.

Cette guerre contre les syndicats et les travailleurs a été formellement déclarée par Ronald Reagan en 1981 lorsqu’il a décrété l’abolition des syndicats chez les contrôleurs aériens et a incité les patrons à le faire dans tous les secteurs. Aujourd’hui, cet affrontement s’est aggravé avec la politique économique actuelle et il tend à reproduire les mêmes relations sociales existantes dans de nombreux pays en voie de développement.

La vie des travailleurs étatsuniens est nettement caractérisée par une inégalité croissante. D’après les chiffres officiels, les revenus réels nets d’un cinquième des foyers les plus pauvres a crû de 5% seulement entre 1979 et 2002, ceux de 20% des foyers a augmenté de 15% en moyenne sur la même période. Par contre, pour le cinquième le plus riche, la croissance a été de 48% et l’on estime que pour le 1% des foyers les plus riches, l’augmentation moyenne des revenus a été de 111%...

D’autres part, entre 1979 et 2002, la productivité de l’économie a augmenté de 53%, une donnée qui, d’après l’économiste Jared Bernstein de l’Institut de politique économique (EPI) à Washington, révèle que « cette croissance n’a nullement bénéficié aux travailleurs et à la classe moyenne ».

Bernstein souligne que, malgré cette croissance ininterrompue de l’économie, des progrès de la productivité et une intégration plus grande dans l’économie globale, le salaire moyen d’un travailleur est resté quasi-identique pendant 30 ans ; en dollars de 2004, ces revenus moyens étaient de 15,24 dollars en 1973 et de 15,23 dollars en 2004.

La globalisation, les politiques économiques et les progrès technologiques ont également durement frappé les travailleurs étatsuniens au niveau de l’emploi. Selon l’EPI, le secteur manufacturier a perdu 3,3 millions d’emplois depuis 1998, ce qui ne s’était jamais vu en si peu de temps. Ainsi, l’industrie a perdu sa capacité d’être une source d’emplois, de 14,1% de l’emploi total elle est tombé à 10,7%. Bien que cette tendance s’est manifestée pendant des décennies, l’accélération est notable au cours de la période récente.

Entre 1994 et 2000, les trois-quarts des emplois disparus étaient occupés par des travailleurs sans qualification universitaire, mais la moitié de ces emplois étaient dans la partie moyenne de l’échelle salariale.

En 1979, le revenu moyen pour le pour cent le plus riche de la population était 33,1 fois plus important que le revenu moyen des 20% des plus pauvres. Mais en 2000, ce rapport s’est élevé à 88,5 fois. En 2000, près de la moitié des richesses créées se concentraient entre les mains de 20% des foyers les plus riches, tandis que les 20% plus pauvres ne se partageaient que 4,3%.

Tandis que les politiques économiques impulsent un des transferts de richesses des pauvres vers les riches le plus dramatique de l’histoire du pays, les travailleurs ont dû faire face à une offensive politique et patronale contre les droits sociaux élémentaires : la fin de la sécurité de l’emploi, l’annulation de garanties sociales comme les pensions et les soins de santé et la fin du droit à la libre association, c’est à dire du droit à la syndicalisation.


« Il n’y a rien de personnel »

Aux Etats-Unis, le taux de chômage officiel n’est que de 5% et la croissance de l’économie reste importante. Beaucoup de gens se demandent donc comment il est possible que la majorité ne bénéficie pas d’une telle situation.

Le syndicalisme moderne est né et s’est concentré dans le secteur industriel, mais au cours des 30 dernières années, ce secteur a été démantelé et les emplois sont partis en fumée à mesure des avancées de la mondialisation de l’activité productive. Les multinationales n’ont pas cessé de transférer leurs activités productrices dans des pays à la main d’oeuvre bon marché et aux normes sociales plus « flexibles ». Ce processus concerne aussi bien les opérations manuelles que les industries de haute technologie, de l’industrie automobile à la production d’appareils et de composants électroniques.

Ce processus, dénommé outsourcing, a provoqué un vif débat sur l’avenir économique du pays et sur la responsabilité sociale des entreprises dans la création d’emplois productifs. Le marché étatsuniens est inondé de marchandises d’importations, dont bon nombre sont produites par les succursales étrangères des entreprises US, mais aussi d’autres pays comme la Chine et, de plus en plus, l’Inde. Paradoxalement, cette situation sert d’argument aux patrons pour défendre la délocalisation de leur production afin de mieux concurrencer ces « étrangers ».

Ainsi, la globalisation exerce une forte pression pour comprimer les salaires et les prestations sociales et mettre en échec les syndicats. Lorsque les patrons se mettent à la table de négociation, ils soulignent toujours qu’ils n’ont que deux options : dégrader les conditions de travail afin de maintenir le productivité de l’entreprise ou délocaliser ses activités à l’étranger.

A chaque fois que les syndicats insistent à défendre les conquêtes ouvrières et la qualité de vie, les patrons insistent sur le fait que ce n’est économiquement pas viable et qu’il n’y a là rien de personnel, seulement du business. Les négociations se résument donc toujours à un marchandage de concessions en échange de quelques emplois sauvegardés. Un scénario qui s’applique non seulement aux secteurs industriels traditionnels, comme l’automobile (où le syndicat a perdu près de la moitié de ses affiliés) et la sidérurgie (où il a perdu les trois quarts), mais aussi dans les secteurs de la « nouvelle économie », tels que l’informatique, dont bon nombre d’activités sont délocalisées en Inde.

La dégradation des rapports de forces sociaux pour les travailleurs bénéficie également aux entreprises étrangères, surtout dans le secteur automobile. Des entreprises telles que Toyota, Honda et BMW ont construites plusieurs usines dans le sud du pays, offrant ainsi des emplois dans des zones pauvres où il n’y a pas de syndicats et où les salaires sont très bas.

Une autre caractéristique du monde du travail aux Etat-Unis est l’immigration de travailleurs du tiers monde, surtout dans les secteurs traditionnels tel que l’agriculture et, de plus en plus, l’industrie. Un exemple significatif est celui de l’alimentation qui connaissait auparavant un taux de syndicalisation important et qui se trouve aujourd’hui composé majoritairement de travailleurs immigrés non-syndiqués, avec des emplois dont les salaires sont en moyenne moitié moindre qu’avant. On constate le même processus dans les services ; l’entretien des bâtiments, la santé, l’hôtellerie et les restaurants. Grâce à l’utilisation de la main d’oeuvre immigrée, les patrons ont pu comprimer la masse salariale dans des secteurs pourtant très prospères.

Certains appellent ce phénomène la « wall-martisation de l’économie étatsunienne », du nom de l’entreprise de distribution Wall-Mart, l’une des plus rentables et agressives. D’une part, cette dernière offre des milliers d’emplois aux salaires très bas en vendant des produits à bas prix majoritairement fabriqués à l’étranger, et tout particulièrement en Chine. Elle s’accapare de plus en plus de parts du marché en attirant des consommateurs qui, faibles revenus oblige, n’ont pas d’autre choix. Et, bien entendu, il s’agit de l’entreprise la plus anti-syndicale du pays...

Ce bref panorama de politiques qui explicitement menée dans le but de transférer sans cesse plus de richesses en faveur des plus riches, avec un patronat qui est parvenu à établir le fait que ses intérêts sont suprêmes pour le « bien-être » du pays et que les mesures sociales ou environnementales sont des obstacles à prospérité, est celui que doit affronter le mouvement ouvrier.


Immigrants, femmes et minorités

Pour les syndicats, le défi est aujourd’hui de démontrer qu’ils sont capables de représenter les intérêts et les exigences des travailleurs dans la conjoncture actuelle. Tout le monde se rend compte qu’il y a deux priorité immédiates afin de sauvegarder le mouvement ouvrier : syndiquer un vaste segment des 90% de travailleurs non-affiliés et récupérer un pouvoir de décision en tant qu’acteur économique tout en modifiant la dynamique politique actuelle.

Les questions des stratégies à développer, de comment affecter les ressources financières et humaines disponibles et de comment agir de manière effective et coordonnée à l’échelle locale et globale, sont au centre du débat. Les sept syndicats de Coalition pour le Changement pour Gagner - dirigé par trois des cinq principaux syndicats qui faisaient partie jusqu’à peu de temps, de l’AFL-CIO - insistent sur le fait que c’est justement la nécessité d’un tel débat qui les a amenés à ce qui sera de facto une nouvelle fédération syndicale. Mais il n’est pas en clair s’ils parviendront à trouver les réponses adéquates et à agir en conséquence.

Malgré tout, « à la base », il existent plusieurs éléments qui permettent de nourrir un certain optimisme ; depuis les luttes ouvrières menées par des immigrés ont commencé à déboucher sur plusieurs succès, jusqu’à certaines enquêtes qui démontrent qu’un niveau sans précédent de travailleurs non-syndiqués - plus de 50% - désirent s’affilier. De plus, des millions de personnes sont confrontés à la réalité de salaires bas et bloqués et à la croissante inégalité des revenus, ce qui entraîne l’obligation paradoxale de devoir travailler sans cesse plus tout en se retrouvant de plus en plus endettés.

Les travailleurs des secteurs aux salaires bas - ce sont majoritairement des immigrés, des femmes et des minorités - sont les plus disposés à rejoindre les syndicats. Ce sont eux qui ont, ces dernières années, donné le plus de dynamisme au syndicalisme étatsuniens.

Certains ont déjà relégué le syndicalisme aux pages jaunies des livres d’histoire tandis que d’autres déclarent que c’est précisément dans cette histoire du syndicalisme aux Etats-Unis que se trouve la clé pour leur avenir. D’autres encore ont la ferme intention de faire de Warren Buffet un pessimiste ou, au minimum, qu’il soit un peu moins optimiste.

David Brooks, correspondant à New York de "La Jornada en la Economà­a ».


Supplémento du quotidien progressiste mexicain La Jornada www.jornada.unam.mx, México, 22 août 2005.

 Traduction : Ataulfo Riera, pour www.sap-pos.org

 Source : POS www.sap-pos.org


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