American Curios (La Jornada)

La seule chose que nous voulons c’est nous libérer de nos chaînes/la seule chose que nous voulons c’est être libres, chante le rappeur J Cole. Message habituel et ambigu depuis toujours dans la musique populaire, mais cette fois, c’est dans un contexte très particulier : un autre jeune afro-américain a été tué par des policiers qui lui ont tiré dessus, dans le centre du pays.

C’est la chanson qui en premier a généré une attention massive sur l’incident de Ferguson dans le Missouri, mais pour la communauté hip-hop ces incidents sont personnels et trop habituels. « Peux-tu me dire pourquoi chaque fois que je sors il faut que je voie mourir des noirs ? » chante J Cole. https://soundcloud.com/dreamvillerecor ds/j-cole-be-free/s-3J4jW

Les scènes qui ont suivies la mort de Michael Brown, afro-américain de 18 ans, tué par les balles d’un policier local, blanc, dans la rue de son quartier, une sorte de banlieue de San Luis dans le Missouri, ont fait le tour du monde et ont été qualifiées de « zone de guerre » par les journalistes et même par des militaires vétérans.

Les expressions de colère de ces gens provoquées par la mort de l’un de leurs fils ont fait face à la police locale qui, avec des équipements militaires, des mitrailleuses et des fusils d’assaut M-16 , visa des jeunes et même des enfants, lança des gaz lacrymogènes depuis des véhicules blindés et tira des balles de caoutchouc sur des centaines de citoyens afro-américains et même sur les journalistes.

Depuis que la guerre contre le terrorisme a été déclarée, et que les forces de police du pays furent appelées a être en première ligne sur ce front, de plus en plus d’équipement militaire leur est fourni. Elles se transforment ainsi d’une certaine façon en forces d’occupation de leurs propres populations.

Tout cela, combiné avec les séquelles de plus d’un siècle de ségrégation raciale dans la région de Ferguson, a nourri les tensions : la police de Ferguson, ville à prédominance afro-américaine est blanche à 95%.

L’incident de Ferguson n’est pas inhabituel. Cette même semaine, un autre afro-américain désarmé fut tué par un policier à Los Angeles ; deux semaines avant, un autre a été pendu par un policier qui l’arrêtait parce qu’il vendait des cigarettes au détail à New York. La liste des victimes récentes est longue et l’historique est incalculable.

Ce qui s’est passé à Ferguson révèle une fois de plus ce qui se passe sous le vernis du pays qui affirme être le phare de la liberté et de la justice : la violence institutionnelle et systémique, avec une expression raciale très particulière.

Etre afro-américain aux Etats-Unis, c’est vivre en danger. « il y a plus d’afro-américains soumis au contrôle du système correctionnel aujourd’hui (en prison, liberté conditionnelle ou sous caution) qu’il n’y avait d’esclaves en 1850 » dit la juriste académique Michelle Alexander, auteur du livre extraordinaire « The New Jim Crow », sur l’incarcération massive et le racisme institutionnel.

Bien que les afro-américains soient seulement 12% de la population nationale, il est 6 fois plus probable qu’un noir finisse en prison qu’un blanc. Il y a dans ce pays 11 prisonniers noirs pour 2 blancs ; les condamnations appliquées aux afro-américains sont 20% de fois plus longues que celles appliquées aux blancs accusés de délits similaires. Si le taux d’incarcération continue d’augmenter au même rythme que ces trente dernières années, un homme noir sur trois ira en prison à un moment de sa vie (et un blanc sur dix sept, en comparaison). Presque 6 millions d’étatsuniens ont perdu, à vie, leur droit de vote, pour avoir été emprisonnés : 2.2 millions d’entre eux sont afro-américains (chiffres du Sentencing Project).

Dans une récente interview avec Bill Moyers, Alexander ajouta : « Nous avons créé un système d’incarcération massive, un système pénal sans précédent dans l’histoire du monde. Nous avons le taux d’incarcération le plus élevé au monde… Et la plus grande partie de l’augmentation de l’incarcération se trouve être les gens de couleur, pauvres… ». Elle souligne que cela est en grande partie le résultat de la fameuse lutte contre les drogues qui a été, en fait, une guerre contre les pauvres et les minorités. Elle indiqua que, bien que les noirs soient seulement 13% à prendre des drogues illicites, 36 % d’entre eux sont arrêtés pour cela et 46% de noirs sont condamnés pour cela à des peines de prison.

Selon le Sentencing Project, plus de 60% de la population emprisonnée appartient à des minorités raciales ou ethniques.

Au delà du système judiciaire, la violence du racisme s’exprime dans tous les domaines de la vie sociale. Dans le système scolaire par exemple, les afro américains fréquentent des établissements scolaires de mauvaise qualité et de peu de ressources, qui ont un taux d’abandon des études élevé. Il y a plus de probabilité pour un noir de passer du temps en prison que de passer des diplômes à l’université.

Dans le domaine socio-économique, l’indice de pauvreté dépasse les 50% en de nombreux quartiers urbains afro-américains ; l’espérance de vie des noirs pauvres à Washington est plus faible qu’à Gaza ou à Haïti ; le taux de chômage est le double pour les noirs que pour les blancs, (le taux de chômage est de 5,3% pour les blancs et de 11,4% pour les noirs).

« Exister en tant que afro américains de la classe ouvrière, c’est être vulnérable ; vivre dans un quartier pauvre et noir te laisse de côté » affirme l’éditorialiste Gary Youge dans The Guardian. Il cite un expert sur la question de la condition de la communauté afro américaine qui déclare : « si l’on regarde les chiffres, si l’on regarde toutes les données officielles, ici, à la confluence de l’histoire, du racisme, de la pauvreté, du pouvoir économique, voila ce que nous valons : rien ».

« Chaque fois qu’un noir perd la vie, nous disons la même chose, nous exigeons que notre humanité soit reconnue. Nous prions pour la vie de nos jeunes. Nous rappelons à tous notre histoire. Et ensuite meurt un autre afro américain », écrivit Mychal Denzel Smith dans The Nation. Et il conclut en disant : « le silence n’est pas une option, mais les paroles ne suffisent pas ».

Demander le calme et la patience face à la colère de Ferguson,(comme l’a fait la coupole politique) c’est seulement des mots qui pour le moment n’ont pas réussi à rompre les chaines qui continuent de nuire à ce pays.

David Brooks

Traduit de l’espagnol par irisinda

 http://www.jornada.unam.mx/2014/08/18/opinion/029o1mun

COMMENTAIRES  

21/08/2014 10:38 par desobeissant

USA : les habitants de Ferguson prennent les armes

http://fr.ria.ru/presse_russe/20140820/202202720.html

12:59 20/08/2014

Les autorités du Missouri ont prolongé le couvre-feu et l’état d’urgence dans la ville de Ferguson, où les émeutes ne s’apaisent pas depuis plus d’une semaine après qu’un adolescent noir a été abattu par des policiers, écrit mercredi le quotidien Kommersant.

Les autorités du Missouri ont prolongé le couvre-feu et l’état d’urgence dans la ville de Ferguson, où les émeutes ne s’apaisent pas depuis plus d’une semaine après qu’un adolescent noir a été abattu par des policiers, écrit mercredi le quotidien Kommersant.

Après l’entrée dans la ville de la Garde nationale, les manifestants ont ouvert le feu sur les forces de l’ordre et ont tenté d’abatte un hélicoptère de la police. Le président américain Barack Obama a appelé les habitants de Ferguson au calme et a soutenu les manifestations pacifiques contre la discrimination raciale qui se déroulent dans d’autres villes américaines.

Les émeutes dans la banlieue de Saint-Louis (Missouri), habitée par une majorité afro-américaine, ont été provoquées par la mort de Michael Brown, 18 ans, le 10 août. Elles ont repris avec une nouvelle force après la demande du gouverneur Jay Nixon faite lundi aux autorités fédérales d’y envoyer des unités de la Garde nationale. En guise de protestation, les habitants ont organisé une grande manifestation devant la résidence du gouverneur, qui a dégénéré en affrontements avec la police. Plus de 30 individus ont été interpelés.

Des tirs ont retenti hier à Ferguson : des manifestants ont ouvert le feu sur des policiers qui, à leur tour, ont utilisé des balles en caoutchouc, du gaz lacrymogène et des grenades assourdissantes. Plusieurs personnes ont été blessées, dont des journalistes. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été arrêtés.

Les autorités locales ont affirmé que l’usage de la force n’avait pas été excessif de leur côté et visait uniquement les bandits armés menaçant l’ordre public. "Les officiers de police n’ont tiré aucun coup de feu, bien qu’ils aient fait l’objet de tirs nourris", a déclaré le capitaine Ronald Johnson de la patrouille routière américaine. Il a annoncé que les policiers avaient confisqué plusieurs pistolets aux manifestants.

Au regard des événements, le gouverneur Nixon a pris la décision de prolonger le couvre-feu "jusqu’à la cessation totale des émeutes". Et la direction fédérale de l’aviation américaine a interdit jusqu’au 25 août le survol de Ferguson à une altitude inférieure à 900 mètres car la veille, ses habitants avaient ouvert le feu sur un hélicoptère de la police.

Le président Barack Obama a appelé les habitants au calme. Il a affirmé que l’ordre d’envoyer des troupes n’avait pas été initié par la Maison blanche – il a été donné seulement après la demande du gouverneur du Missouri. Le président américain a assuré soutenir les manifestations pacifiques de solidarité avec les habitants de Ferguson qui se déroulent dans d’autres villes.

Pour sa part, le gouverneur Nixon a ajouté qu’il ne portait pas atteinte à la liberté d’expression et de réunion des compatriotes. Selon lui, les forces de la Garde nationale seront employées en "régime limité" dans la ville – uniquement pour protéger les policiers. Il a justifié sa demande d’envoyer des troupes par le "sursaut extraordinaire d’activité des éléments criminels".

Selon le sondage du Pew Research Center, les événements à Ferguson ont divisé la société américaine. 80% des Afro-américains estiment qu’ils doivent faire l’objet d’un "sérieux débat public", autant ne font pas confiance à l’enquête sur la mort de Michael Brown menée par la police. Seulement 30% des Américains de race blanche sont de cet avis et ils sont nombreux à justifier les actes du policier Darren Wilson, qui a abattu l’adolescent.

http://fr.ria.ru/presse_russe/20140820/202202720.html

26/08/2014 17:34 par Scalpel

"gens de couleur", c’est quoi au juste des "gens de couleur" ?
Cette expression inepte et raciste au plus haut point, reprise par des militants anti-racistes pleins de bonne volonté dans un texte dénonçant véhémentement et à raison l’abominable racisme institutionnel yankee, illustre mieux qu’une thèse en Sorbonne ne saurait le faire le racisme inconscient dont nous sommes tous, nous les occidentaux, peu ou prou imprégnés, jusques et y compris chez les plus sincères militants luttant contre ce fléau tristement humain.
Or que je sache, ni le noir ni le blanc ne sont des couleurs.
Qui plus est "gens de couleur" est la traduction de "colored", qualificatif usité par les colons esclavagistes pour distinguer leur "marchandise" du blanc, qui lui, c’est bien connu, n’a pas de couleur, puisque qu’il est à l’image de Dieu.
Pour cette raison a priori suffisante, et pas que, je nourris la plus grande répugnance pour ce qualificatif et l’imaginaire qu’il véhicule.
Pardon pour ce coup de gueule, l’article par ailleurs ne mérite que des éloges.

27/08/2014 03:20 par Leo Lerouge

@scalpel
Je constate que le terme "gens de couleur" vous agace.

Michelle Alexander (voir l’interview citée dans le texte) a employé, non pas "colored" (devenu péjoratif après les luttes pour les Droits civiques et le mouvement culturel "Black is beautiful"), mais l’expression "people of color", traduit en espagnol par "la gente de color", et qui signifie les "non-Blancs" - comme, en français, les "gens de couleur".

Michelle Alexander parlait dans cette interview du contenu de son livre : "The New Jim Crow : Mass Incarceration in the Age of Colorblindness ", publié en 2010, où elle explique comment a été créé aux US, grâce à la "Guerre contre la Drogue" et la politique de "fermeté contre la criminalité" ("be tough on crime"), un système de castes distinctes basées sur la couleur de la peau, c.à.d. en différenciant les Blancs, les Noirs, les Latinos, en particulier parmi les populations pauvres.
Si elle parle essentiellement des Noirs (40% de Noirs en prison en 2009 contre 20% de latinos-hispaniques), qui sont de loin les plus touchés par les incarcérations massives pour détention ou revente de drogue (avec les arrestations au faciès et la fouille immédiate), et qui ont fait l’objet de son enquête, elle élargit, en employant le terme "people of color", aux Latinos, qui, eux, sont parallèlement touchés par les lois sur l’immigration et les centres de détention pour immigrés sans papiers.
Ce qui signifie, en fait, qu’elle parle bien des "non-Blancs" dans un système communautaire où la classe ouvrière et tous les pauvres ont été divisés par "race" ou "couleur de peau" pour que les uns rejettent la faute de leur misère sur les autres, au lieu de s’unir contre la bourgeoisie et la classe dirigeante. Ces groupes sont aussi appelés "black and brown people". Ce qui dit bien ce que cela veut dire.

Ce que vous avez oublié de faire, c’est de donner votre propre traduction de " people of color", ce qui m’aurait vivement intéressé : en effet, quand je traduis de l’anglais, je ne trouve pas d’équivalent satisfaisant en français (comme pour le mot anglais "race", d’ailleurs), car notre système est différent, puisqu’on ne classe pas officiellement les gens par communautés raciales.

Les termes qui pourraient évoquer tous les "non-Blancs" seraient les "bronzés" ou les "basanés".
L’un d’eux ferait-il votre affaire ?
A moins que vous ne préfériez les "non-Blancs" ? Mais, comme vous nous le faites remarquer, le noir et le blanc n’étant pas des couleurs, il serait bête de les différencier par le nom de couleurs qui n’existent pas.
Ca ne va pas être simple.
J’espère que vous avez une solution pour que nous ne tombions plus jamais dans ce méchant travers de l’antiraciste de base qui ne veut pas appeler un chat un chat.

Quant aux esclavagistes, ils n’appelaient pas les Noirs "colored", mais "nigger", qui était beaucoup mieux adapté à la façon dont ils voulaient les traiter.
D’ailleurs, l’organisation américaine de défense des droits des Noirs, fondée en 1909, s’appelait "National Association for the Advancement of Colored People" (NAACP), alors qu’aucune association n’a utilisé le mot "nigger" dans son appellation. Un signe.
Et encore aujourd’hui, aux Etats-Unis, malgré les pratiques ouvertement racistes, employer le mot "nigger" est rédhibitoire.
"Nigger" est le terme péjoratif de "negro", qui, comme chacun le sait, signifie "noir" en portugais et en espagnol, et qui était le terme usuel employé aux US jusque dans les années 1970, par les Noirs eux-mêmes (sans doute trop illettrés pour ne pas savoir qu’ils étaient, en fait, a-colores – ce qui leur aurait évité bien des désagréments).
La preuve :

"But one hundred years later, the Negro still is not free.
One hundred years later, the life of the Negro is still sadly crippled by the manacles of segregation and the chains of discrimination.
One hundred years later, the Negro lives on a lonely island of poverty in the midst of a vast ocean of material prosperity.
One hundred years later, the Negro is still languished in the corners of American society and finds himself an exile in his own land.
And so we’ve come here today to dramatize a shameful condition".

"I have a dream that my four little children will one day live in a nation where they will not be judged by the color of their skin but by the content of their character."

Extraits de " I have a dream" de Martin Luther King, 28 aout 1963.

Ou bien :

"The American Negro never can be blamed for his racial animosities - he is only reacting to 400 years of the conscious racism of the American whites". Malcom X

Pour ne citer que ces deux célèbres leaders contre le racisme et la ségrégation aux US.
On ne sait plus à qui se fier.

NB : Pour ceux qui souhaiteraient entendre, une analyse plus approfondie et passionnante de l’étude de Michelle Alexander sur les incarcérations massives, voici une de ses conférences (hélas en anglais)

@ GS : en revanche, le titre du texte n’est pas "American Curios", qui est, en fait, le nom de la rubrique qu’écrit David Brooks dans la Jornada, mais "Les chaînes" (cadenas). Ce n’est pas très clair dans le texte initial, parce que le titre est écrit en tout petit.

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27/08/2014 09:35 par Scalpel

Merci Léo pour votre longue et très instructive réponse.
"People of color" ne peut que se traduire littéralement, nous sommes bien d’accord.
Je persiste à lui préférer quant à moi, et de très loin, "non blancs/nonwhite" plutôt que "gens de couleur/people of color" (et encore moins "bronzés" ou "basanés", pourquoi pas bougnoule ou négro tant qu’à faire) aussi stupide qu’ethnocentrée, illustrant l’écrasante suprématie des occidentaux sur la marche du monde et consacrant le WASP comme norme intangible.
S’agissant d’une population indistinctement non blanche... "Non blancs" à mon sens possède l’incomparable mérite de renvoyer à son antonymique alter ego "blancs", ou, pour faire (très) court, celui de renvoyer l’opprimé à son oppresseur.

27/08/2014 23:34 par Leo Lerouge

@scalpel
Merci également pour votre réponse.

Pour ma part, je suis favorable à la réhabilitation de termes simples pour leur enlever toute connotation raciste. A force d’euphémismes, on empile les termes racistes (ou non-"politiquement corrects").
Donc, je suis pour l’utilisation de "blancs, "noirs", de "gens de couleur" (oui pourquoi pas ? Après tout, cela indique clairement que ce sont tous ceux qui ne sont pas considérés ou ne se s’identifient pas comme "blancs". Et réfuter le terme n’est pas moins que de l’antiracisme subjectif, comme les autres), de non-blancs – tous des termes que tout le monde comprend.
Car, ce n’est pas en éliminant les mots et en choisissant d’autres qu’on éliminera le racisme, bien ancré dans les sociétés impérialistes et qui justifie tous les massacres, que ce soit intra-muros ou à l’étranger.
Ainsi, les dirigeants des US (pour ne citer qu’eux) ne disent pas "nigger", mais pratiquent et laissent pratiquer un racisme institutionnel d’une extrême cruauté, avec l’approbation ou l’indifférence du reste de la population.
Obama, le "premier président noir", cherchant à donner des garanties de sa loyauté envers le pouvoir blanc, n’a cessé dans ses discours, et cela, avant même d’être élu, de s’en prendre aux hommes noirs qui ne "prennent pas leurs responsabilités, qui se comportent comme des gamins, et pas comme des hommes", etc., précisant : "Vous et moi savons parfaitement que c’est ce qui se passe dans la communauté africaine-américaine".
Aucun autre président n’avait jamais osé le faire.
Et aucun président, lui compris, ne se serait attaqué ou s’attaquerait aux autres communautés US.

Et, en effet, pour revenir à la sémantique, les néologismes finissent eux-mêmes par être remplacés à leur tour par d’autres termes.
Aux US, ils sont passés de "African" (contesté quand il a commencé à y avoir des natifs noirs), à "negro" et "colored people", puis à "black", et aujourd’hui, la tendance est à nouveau à "african-american", parce que quelque démocrate nanti noir, mais reconnu (Jesse Jackson, pour ne pas le nommer) a décrété que ce terme avait une "base culturelle historique".
(A noter, qu’"african-american" est censé définir les Noirs issus de l’esclavage. Et, donc, par exemple, Obama ne devrait pas pouvoir être défini comme tel. Ce qui signifie que, une fois de plus, le terme est inadapté).
Ce terme, utilisé plutôt dans les milieux éduqués, n’est qu’une concession dérisoire faite aux Noirs, à côté du racisme qu’ils subissent au quotidien avec l’aval des nantis.
Et, dans quelques années, quelque leader noir sortira du chapeau une nouvelle appellation pour désigner les Noirs.
Sans que rien n’ait changé en profondeur.
MLK, dans l’extrait du discours ci-dessus, prononcé à l’issue de la Marche sur Washington, dit (par exemple) :

"Mais, un siècle plus tard, le Noir n’est toujours pas libre ;
Un siècle plus tard, la vie du Noir est toujours liée par les menottes de la ségrégation et les chaines de la discrimination ;
Un siècle plus tard, le Noir est toujours relégué à la marge de la société et se retrouve en exil dans son propre pays (…)
Et donc, nous sommes venus ici pour exposer au grand jour une situation scandaleuse".

Le discours de MLK pourrait être repris tel quel aujourd’hui, en ajoutant simplement un demi-siècle supplémentaire.
Ce que les classes dominantes concèdent un jour, elles reprennent systématiquement par d’autres moyens.

Et, comme le dit cet article intéressant, ce qui s’est passé à Ferguson a lieu communément.
Ce qui change, c’est la médiatisation et la mobilisation.
Si les affaires Trayvon Martin et Mickael Brown ont été révélées au grand jour et traversé les frontières, on n’entend pas parler de tout le reste.(*).

Concernant le taux de chômage des Noirs, David Brooks s’appuie, sans doute, sur les statistiques officielles.
Or, Michelle Alexander se fonde non seulement sur ces statistiques, mais sur d’autres éléments déterminants.
Comme ceux indiqués ici.
Ainsi, les incarcérations massives masquent le véritable taux de chômage et creusent davantage les inégalités : le taux de chômage actuel est élevé. Mais si on comptabilisait également tous ceux qui ne sont pas demandeurs d’emploi parce qu’ils sont incarcérés, il serait encore plus élevé, surtout chez les jeunes Noirs non diplômés.
Une étude récente révèle que :
"si on mesurait le ratio emploi/population en y incluant les détenus, on en arriverait à la conclusion que seuls 26 % des jeunes noirs non diplômés avaient un emploi en 2008, alors que, parallèlement, plus de 37 % étaient en prison. Plus de la moitié du taux de chômage des jeunes Noirs non diplômés est lié aux incarcérations.
L’incarcération a également des conséquences néfastes sur les chances d’un ex-détenu de gagner décemment sa vie.
Plusieurs enquêtes indiquent que, parmi les six millions d’"ex-prisonniers" qui cherchent un emploi, 50% d’entre eux ont moins de chances d’être embauchés que des demandeurs d’emploi sans casier judiciaire.
D’autre part, les ex-détenus ont des salaires inférieurs à ceux qui n’ont pas fait de la prison, ils n’ont pas le droit aux logements sociaux, ni aux coupons d’alimentation.
Michelle Alexander explique, d’autre part, que les fiches que doivent remplir les demandeurs d’emploi contiennent la rubrique à cocher obligatoirement demandant s’ils ont fait de la prison, que cela se soit produit récemment ou des dizaines d’années en arrière. C’est-à-dire que celui qui a purgé une peine, pour quelque motif que ce soit, et aussi dérisoire, voire erroné, soit-il, trainera ce boulet à vie.
A ajouter à cela : les détenus de tous les états (sauf deux) sont privés du droit de vote pendant leur peine, et les ex-détenus dépendent des législations de l’état où ils résident.
Le livre d’Alexander s’appelle "the New Jim Crow", qui se réfère aux lois qui avaient institué la ségrégation.
On en est toujours là, sous une forme insidieuse.
Donc si Brooks décrit une situation déjà dramatique, la réalité est beaucoup plus sinistre que cela et affecte des familles entières et toute une communauté pour de multiples raisons, que l’"homme noir" ait été assassiné ou jeté en prison.
Obama, pendant ce temps, rejette perfidement la faute de tout ce gâchis sur les Noirs eux-mêmes, alors que les écoles publiques (et les autres services publics) ferment dans les quartiers pauvres par manque de fonds publics, que les autorités trouvent opportunément pour construire des prisons qui seront gérées par leurs amis des grands groupes privés.

En attendant, les obsèques de Mickael Brown se sont déroulées dans un cirque médiatique, avec, en vedette, les figures emblématiques de la bourgeoisie noire.
La majorité de la population de Ferguson, est, elle, restée à l’extérieur de l’église, sous un soleil de plomb.
L’Establishment retrouve vite ses esprits.

(*) La série noire continue :
Le 5 aout dernier, un Noir de 22 ans, père de deux enfants, était abattu dans un supermarché de l’Ohio par deux policiers appelés par un correspondant anonyme. Le jeune homme s’appuyait sur une carabine pour enfant qu’il avait prise au rayon des jouets et téléphonait, le dos tourné aux policiers quand ils lui ont tiré dessus (et qu’il n’avait, donc, sans doute pas vus ni entendus).

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