Je vais suivre ici Le Robert.
Le mot programme date du XVIIe siècle. Il vient du grec programma qui signifie « ce qui est écrit à l’avance ». Au XVIIe siècle, il va prendre le sens de « sujet d’un concours » ou « description d’un cours ». Le mot programme implique donc une description précise de ce qui va advenir, se dérouler. On affiche un programme, on le distribue. Dans le programme d’un spectacle peut figurer une analyse de la pièce. Lorsque l’on organise une fête, on parle de « programme des réjouissances » avec, là encore, une description précise de ce qui va advenir. Si, dans un programme de concert, on annonce la sonate avant la passacaille, le concertiste ne prendra pas la liberté d’inverser l’ordre établi. Lorsque le ministère de l’Éducation nationale publie le programme de l’agrégation, il ne peut pas s’y reprendre à deux fois. Renan observait en son temps qu’on ne plaisantait pas avec les programmes : « Si un professeur a pour devoir évident de ne pas sortir de son programme, il ne peut, dans l’intérieur de son programme, accepter de restrictions sans manquer à la première de ses obligation, qui est l’absolue sincérité. »
Une autre acception du terme programme est « une suite d’actions que l’on se propose d’accomplir pour arriver à un résultat. » L’expression « C’est tout un programme » suffit à faire prévoir ce que sera la suite. Même, ironiquement, pour De Gaulle : « Vaste programme » (« Mort aux cons ! »). Pour un parti politique, pour un gouvernement ou pour une entreprise, un programme expose les intentions, les projets d’un individu ou d’un groupe. On parlera de « programme de réformes », des « résolutions d’un programmes à long terme ». Sans confondre les programmes et les actes.
Enfin, on parlera de « programme informatique » et, plus intéressant peut-être, de « programme génétique » : chaque individu possède un programme génétique strictement personnel.
Le mot « programme » était donc trop lourd de sens, trop commettant ou compromettant pour que les politiques, d’abord ceux de droite puis ceux de la fausse gauche, ne s’en débarrassent pas. Ils préfèrent le mot « projet », un déverbal de « projeter », qui vient du latin projectare, jeter en avant. Un projet est l’image d’une situation que l’on pense atteindre, une « idée qu’on met en avant ; un plan proposé pour réaliser cette idée ». Le mot a pour synonyme « dessein », « intention », « plan », « esquisse ». « Le projet de l’ouvrage que j’entreprenais », dit Descartes dans Le Discours de la méthode. « Il y a loin de la coupe aux lèvres » car « le chemin est long du projet à la chose ». Un projet peut être raisonnable, mais aussi fantasque ou chimérique. On parlera avec la laitière de Jean de la Fontaine dont l’esprit « bat la campagne » de « châteaux en Espagne ». On évoquera avec Pascal le « sot projet » qu’avait Montaigne « de se peindre ». On pourra même poursuivre deux projets (ou lièvres) à la fois. « Il faut être capable d’inspiration et d’action », écrivait Chateaubriand : « l’une enfante le projet, l’autre l’accomplit ». Le projet est donc une quête, une tentative de réalisation : « Nous tentons de nous fuir dans le projet, c’est-à-dire dans ces mille petites activités qui n’ont qu’un sens restreint et qui masquent la contradiction de l’existence par les fins qu’elles projettent devant soi » (Jean-Paul Sartre).
Le sens du mot « parti », dans l’acception de « parti politique » est ancien. Avec Froissart (XIVe siècle), il s’agissait d’une détermination choisie pour résoudre une situation : « entrer en un parti », « prendre un parti ». Boileau conseillait de « prendre le bon parti », faire un choix radical, en l’occurrence et sur le mode de l’ironie, de laisser « là tous les livres ». Dès le XVe siècle, un parti est un groupe à part, un groupe de personnes unies contre d’autres de par leurs opinions communes : « Estre du parti des gens de bien » (Jean Nicot). Parallèlement aux individus ayant les mêmes convictions ou intérêts, on trouve au XVIIe siècle la notion de « groupe de soldats détachés pour accomplir une mission ». « Faire parti » c’était faire un coup de main. Recouvrant ces deux notions, nous eûmes « le parti des Armagnacs », « le parti de la fronde », des partis qui vivront de leur mystique et mourront de leur politique (Péguy).
« Parti (politique) » vient du latin pars, partes. Un parti est une organisation dont les membres partages des convictions identiques, les font connaître et mènent une action pour les faire triompher. Dès lors, on n’a que l’embarras du choix : parti militaire, monarchiste, républicain, démocrate, ouvrier, fasciste, conservateur, radical, socialiste, communiste. On trouvera chez Balzac le parti-niais et le parti-prêtre : « Nous sommes Ronquerolles, Montriveau, les Grandlieu (...), tous alliés contre le parti-prêtre, comme dit ingénieusement le parti-niais représenté par le Constitutionnel (Le Contrat de mariage) ; « Le parti libéral se réjouissait de voir échouer dans une scène publique (...) le parti-Prêtre, expression inventée par Montlosier, royaliste passé aux constitutionnels et entraîné par eux au-delà de ses intentions (Le Curé de village).
Les synonymes péjoratifs de « parti politique » ne manquent pas : « brigue, cabale, coterie, faction, clan, chapelle, secte, camarilla. Un « homme de parti » n’agit que dans le seul intérêt de son parti. André Malraux notait que les intellectuels avaient le goût des dissidents, mais qu’en politique les dissidents étaient des « exclus ». Un parti se caractérise par le sérieux, l’« idée unitaire », comme disait Maurras, pour qui les programmes étaient « les mots de la tribu ». Tout parti implique une forme de « discipline » (Maurice Duverger).
Le Robert classe les partis selon qu’ils sont attachés à une personne (parti monarchiste, parti gaulliste), selon qu’ils défendent une idéologie (parti des Girondins), ou selon qu’ils s’affirment par leur politique (parti socialiste, parti communiste). Avec des nuances ou des entre-deux : parti boulangiste, parti carliste. Bref, tout parti qui se respecte a une étiquette, une couleur, une ligne, des slogans, un siège, des publications, des dirigeants, un appareil. Il n’est pas bon d’en être exclu, ni même de le quitter car on lui fait défaut (defectio = désertion).
Une « famille », c’est bien autre chose. Ce mot vient du latin famulus, le serviteur. « Dans la ville, chaque citoyen vivait renfermé au milieu de sa famille ; femme, enfants esclaves, par le même mot il désignait tous les êtres auxquels il commandait en maître absolu » (Prospère Mérimée, La Conjuration de Catalina). Au XVIe siècle, dans la même optique, « instruire la famille » c’était instruire les chambrières et autres serviteurs. Pour distinguer le personnel des membres de la famille proprement dits, on parlait de « grossière famille ». Á la Renaissance, une famille était un « ensemble des personnes vivant sous le même toit, et unies par les liens du sang » (Bernard Palissy), sous l’autorité implicite ou explicite d’un pater familias. Ces personnes présentaient généralement des caractères communs. Le concept de famille mettait l’accent sur l’apparentement, les liens (mariage, sang, adoption) : « Et puis, voyez-vous, la haine, c’est dans notre sang, dans notre famille, dans nos traditions » (Victor Hugo, Angelo, tyran de Padoue). Fustel de Coulanges évoquait la « religion du foyer », impliquant davantage que « le sentiment ou la force physique », régnant dans des familles qui pouvaient « se ramifier sans se diviser ».
Les expressions recourant au mot « famille » sont généralement positives : « un air de famille », « un fils de famille », « ces messieurs de la famille », « de bonne famille », un déjeuner en famille », un « album de famille », une pièce de théâtre « des familles » (sans prétention, visible par tous). Mais : « laver son linge sale en famille », la « famille tuyau de poêle », « les deux cents familles ». En Suisse, une « grande famille » est une « famille nombreuse ». En Belgique, une femme enceinte « attend famille ». La famille rassemble, malgré tout, ce qu’Émile Zola postule en rédigeant l’introduction aux vingt volumes de ses Rougon-Macquart : « Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux autres. »
Par extension, une famille est un « ensemble d’individus apparentés par des similitudes dans les croyances, l’idéologie, le tempérament, la technique artistique » : « Le personnel de la Crêperie devenait une grande famille, dont le lien se nouait de plus en plus étroit » (Émile Zola, Travail). Critiquant le chef du Front populaire, De Gaulle juge : « Léon Blum fut très vite ressaisi par les penchants habituels de la famille socialiste » (Mémoires de guerre). Qui dit famille dit généralement atavisme (du latin atavus, quadrisaïeul), cette tendance en botanique qu’ont les hybrides à retourner à leur type primitif (Littré). De fait, en botanique comme en zoologie, une famille est un « groupe naturel inférieur à l’ordre et supérieur au genre » : « Les espèces, bien que variant beaucoup comme coloration, ont cependant un air de famille indéniable (Henri Coupin, Animaux de nos pays).
Bref, le « projet de notre famille » n’a pas grand-chose à voir avec le « programme de notre parti ». Finis les argumentaires structurés élaborés au cours de nuits fiévreuses par des groupes mus avant tout par des visions, des idéaux, ce qui n’empêche pas le facteur humain des enjeux personnels, des petites combines, des amitiés à géométrie variable. Parler de « famille », c’est croire que l’essence précède l’existence dans un monde apeuré où, par l’autorité du verbe, les contradictions internes, les hiérarchies, les différences et la violence de l’extérieur disparaissent par magie.
Bernard Gensane