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Le processus d’Oslo : la « paix » pour un plat de lentilles

On se souvient encore des envolées lyriques sur le « miracle de la paix » accompli en 1993 devant la Maison Blanche par des leaders charismatiques aussitôt couronnés du prix Nobel.

On se souvient encore des envolées lyriques sur le « miracle de la paix » accompli en 1993 devant la Maison Blanche par des leaders charismatiques aussitôt couronnés du prix Nobel. Et pourtant, en dépit de cette réconciliation-spectacle aux allures de show médiatique, l’affrontement israélo-palestinien n’a jamais cessé. Ces pseudo-négociations n’ont jamais débouché sur autre chose que sur un statu quo éminemment favorable à la puissance occupante.

On peut objecter qu’il est aisé de prêter rétrospectivement tous les vices à un « processus de paix » dont tous les observateurs ont dressé l’avis de décès depuis longtemps. La question demeure cependant de savoir si ce processus est conforme à ce qu’il prétendait être. De ce point de vue, le constat est sans appel : issus des négociations secrètes menées à Oslo, les accords paraphés en 1993-1995 n’ont jamais eu pour ambition d’instaurer un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël.

Présentés comme un « compromis historique » fondé sur des concessions mutuelles, ces accords sont en fait d’une criante inégalité. Yasser Arafat reconnaît la légitimité de l’État d’Israël. Il approuve les résolutions 242 et 338 de l’ONU, alors qu’elles ne mentionnent même pas les droits des Palestiniens. Il renonce solennellement à la violence et au terrorisme. Mais Itzhak Rabin, lui, ne reconnaît que la légitimité de l’OLP comme représentant du peuple palestinien, rien de plus.

Devant la Knesseth, en octobre 1995, le premier ministre israélien précise sa pensée : « Nous voulons une solution permanente avec un Etat d’Israël qui inclura la plus grande partie de la terre d’Israël de l’époque du mandat britannique et, à ses côtés, une entité palestinienne qui sera un foyer pour les résidents palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Nous voulons que cette entité soit moins qu’un État ». Un État palestinien ? Trois mois avant son assassinat, Rabin indique clairement qu’il n’en n’a jamais été question.

Car les accords prévoient l’installation d’une « autorité intérimaire d’autonomie », et non l’exercice de l’autodétermination nationale palestinienne. Cette autorité intérimaire ne détient aucun des attributs de la souveraineté. Elle dépend de financements internationaux, accordés au gré de sa coopération avec Israël. Elle n’a ni force armée, ni diplomatie indépendante, ni assise territoriale, le morcellement de la Cisjordanie interdisant le contrôle d’un territoire homogène.

D’une perversité inouïe, le processus inverse la charge de la preuve au détriment des Palestiniens. Dans l’attente du règlement final, la direction de l’OLP est sommée de fournir des gages de sa bonne foi. Désormais responsable de l’ordre public en Cisjordanie et à Gaza, elle a le devoir de réprimer la moindre résistance à l’occupation. Comme on l’a dotée d’un appareil de sécurité tentaculaire, elle se fait, docilement, le garant de la pacification d’une population qui s’était rebellée en 1987.

Préfiguration ubuesque d’un État-croupion, l’autorité intérimaire est donc un commissariat indigène à qui l’occupant délègue la tâche de maintenir l’ordre chez l’occupé. L’instauration d’une véritable souveraineté palestinienne, en revanche, n’est nullement prévue par les accords. Le texte adopté prévoit seulement un « arrangement permanent » qui serait fondé, au terme d’une période intérimaire de cinq ans, sur les résolutions 242 et 338 de l’ONU.

Comme ces résolutions ne disent rien des droits souverains du peuple palestinien, cette perspective demeure totalement floue. Engagée pour des raisons électorales en septembre 2000 à Camp David (II), la négociation finale échoue lamentablement en raison de l’intransigeance israélienne. Or ce fiasco retentissant, dont Ehoud Barak attribuera de façon mensongère la responsabilité à Yasser Arafat, illustre à merveille la conception israélienne du « règlement final ».

On peut résumer cette position israélienne, constante sous tous les gouvernements sans exception, sous la forme d’un quadruple « non » opposé aux revendications palestiniennes : refus de reconnaitre la responsabilité sioniste dans le drame des réfugiés de 1948 et 1967 ; refus d’une restitution intégrale de Jérusalem-Est annexée en violation du droit international ; refus du démantèlement des principales colonies juives implantées en Cisjordanie ; refus d’un tracé des frontières entre Israël et la Palestine épousant la « ligne verte » (frontières de 1967).

Fondées sur les résolutions onusiennes, ces exigences constituent pour les Palestiniens la contrepartie légitime de leur renonciation à 78% de la Palestine mandataire. Mais pour Israël, ces 78%lui appartiennent de droit. Quant aux 22%restants, ils se répartissent en deux morceaux. Non négociable, le premier est voué par principe à demeurer sous souveraineté israélienne (Jérusalem-Est et les principales colonies). Le second (Gaza et la moitié de la Cisjordanie) est provisoirement confié, par commodité, à une autorité chargée d’administrer les zones à forte densité autochtone.

Aussitôt vantée par la propagande occidentale, la « générosité israélienne » à Camp David consiste donc à concéder à l’OLP la minuscule bande de Gaza et la peau de léopard d’une Cisjordanie truffée de colonies, soit le dixième de la Palestine mandataire. En outre, la question de Jérusalem fait l’objet d’une proposition infamante où Israël conserve une souveraineté usurpée sur la future capitale palestinienne. Même Yasser Arafat, aussi désireux soit-il de complaire à ses parrains américains, ne peut consentir à un tel sacrifice.

Pour rompre son isolement sur la scène internationale, l’OLP a pourtant fait le choix compromettant de la collaboration. Alléchée par les promesses de partenariat économique, une fraction de la bourgeoisie palestinienne et de la bureaucratie de l’OLP touche les dividendes d’une autonomie fantoche. En attendant, la population des territoires subit les humiliations quotidiennes de l’occupation et paie le prix d’une domination coloniale impitoyable.

Condamnée par de grandes voix palestiniennes (Mahmoud Darwish, Edward Said), par l’opposition au sein de l’OLP, le Hamas et la Syrie, cette reddition spectaculaire du courant majoritaire de l’OLP n’a porté que des fruits amers. Offrant ses services à un occupant désireux de partager la charge de l’occupation, la direction du courant historique de la résistance palestinienne dépose les armes en échange d’une vague promesse assortie de juteuses prébendes.

En adoptant cette stratégie, la direction de l’OLP renie sa propre histoire et répudie la cause qui fut toujours la sienne. Elle renonce à la libération de la Palestine mandataire et au projet d’un État démocratique. Pire encore, elle accepte de jouer le rôle de supplétif au service de son adversaire. Abandonnant sa carte maîtresse, elle lâche la proie de l’indépendance nationale pour l’ombre d’une autonomie tronquée, sous la tutelle d’un occupant qui ne fait aucune concession.

La souveraineté du peuple palestinien sur sa terre historique, dès lors, n’est plus une exigence non négociable, mais un horizon incertain, livré au succès hypothétique d’un processus inégal. Faute d’une négociation immédiate en vue d’un règlement au fond, les accords d’Oslo renvoient l’instauration de la souveraineté palestinienne aux calendes grecques. La « paix » proprement dite dépendra, désormais, du bon vouloir du plus fort.

Pour Israël, le bénéfice de ces accords est colossal. Conformément au « plan Allon » présenté au lendemain de la victoire de 1967, l’occupant se retire des zones à forte densité de population arabe. Mais il les enserre dans un vaste réseau de colonies reliées par des voies de contournement. Effaçant peu à peu les frontières de 1967 (non reconnues par Israël), la colonisation s’intensifie, elle gangrène sans répit les territoires palestiniens : la politique du fait accompli prospère à l’abri du « processus de paix ».

Bénéficiant d’un rapport de forces favorable, Israël, de 1993 à 2000, négocie d’une main et colonise de l’autre. Il prétexte la moindre résistance pour renier ses engagements et accroître son emprise sur la totalité de la Palestine. Au nom de sa sacro-sainte sécurité, il frappe sans ménagement. Mais, en sapant l’assise territoriale du futur Etat palestinien, la colonisation anéantit l’enjeu même d’une négociation devenue un simple alibi. Vingt ans après, le nom d’Oslo n’évoque plus qu’un grossier marché de dupes éventé pour de bon.

Par un stupéfiant paradoxe, la dépossession palestinienne inaugurée en 1948 a donc été reconduite avec l’assentiment enthousiaste de la direction de l’OLP. Ces dirigeants qui ont acquis leur légitimité dans la lutte la dilapident dans la compromission. Ils cèdent tout à Israël, mais Israël ne leur cède rien, du moins pour le peuple palestinien. Mettant fin à un quart de siècle de résistance, une OLP épuisée a finalement renoncé à 78% de la Palestine pour un plat de lentilles. Et en guise de remerciement pour services rendus, la puissance occupante a bien l’intention de s’approprier le reste.

Bruno Guigue

»» oumma.com

À propos de l’"auteur :

Normalien, énarque, aujourd’hui professeur de philosophie, auteur de plusieurs ouvrages, dont "Aux origines du conflit israélo-arabe, l’invisible remords de l’Occident (L’Harmattan, 2002).


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