Actuellement, des 5 millions 8 cents mille actifs, presque 3 millions sont des précaires ou travaillent irrégulièrement pour des salaires de qui peuvent descendre à 2 euros de l’heure. Des 900 mille chômeurs, 750 mille ne reçoivent aucune allocation de chômage. On répertoria plus de 3 millions de personnes dont les revenus se situent entre 7 euros et 15 euros par jour.
Depuis fort longtemps, les alertes et les critiques prédisaient la mort de la nation. La stagnation de l’économie portugaise commença longtemps avant l’éclatement de la crise actuelle. Ayant été un des pays où la CEE injecta plus d’argent per capita, le Portugal est celui qui profita le moins de cette manne. Pendant les vingt-six années d’« aides » reçues afin de le préparer et adapter aux exigences de la communauté européenne, les fonds furent entièrement dilapidés au fur et mesure qui entraient dans les coffres de l’État. Ils servirent, essentiellement à créer une classe de parasites qui firent main basse, en toute impunité, sur des sommes colossales.
Les fonds structurels d’aide au développement eurent comme contrepartie l’endettement des gouvernements portugais auprès des banques du centre de l’Europe (Allemagne, Benelux et Autriche). En effet, le financement des fameux projets, élaborés par Bruxelles obligeait le Portugal à participer avec des fonds propres (entre 15 et 25% de la totalité) obtenus, évidemment, à des taux usuraires. Une manière très astucieuse d’amener le pays à s’endetter auprès des banques. À peu près 121 milliards d’euros (41% de la dette actuelle portugaise) proviennent de ces emprunts.
Avec un des PIB le plus bas de l’Europe et une dette souveraine très préoccupante, la crise mondiale ne pouvait qu’aggraver la situation économique et sociale du Portugal.
Faute d’élites compétentes et honnêtes, tout le long de ces années de « démocratie », les portugais ne purent forger les armes nécessaires pour affronter, efficacement, les économies avancées de l’Europe. Et, du fait de son entrée dans l’Union Européenne, en 1986, le Portugal dut abandonner un grand nombre de secteurs productifs essentiels, modestes mais capables néanmoins de relancer sa capacité exportatrice et d’assurer à son peuple un minimum d’autosuffisance. Presque tout l’essentiel à la survie de ses populations est, depuis lors, importé des autres membres de l’Union Européenne.
Après le coup d’État du 25 Avril, la fameuse « révolution des œillets », les politiciens « démocrates » se limitèrent à remplacer une aberration politique par une autre aberration politique. Au lieu du parti unique du salazarisme, les portugais découvrirent le « bloc central unique », l’alternance entre deux forces politiques, les socialiste du PS, d’un côté et les néolibéraux du PSD et son allié le CDS (droite traditionnelle), de l’autre. Ce front composé par des politiciens opportunistes, incompétents et corrompus montra, au fil des années, un inconcevable mépris envers le peuple. Ce sont les appareils de ces partis, un dangereux conglomérat de gens prêts aux pires combines, à l’escroquerie et au vol des richesses nationales qui conduisirent le pays à la banqueroute.
Tout commença avec Cavaco Silva, l’actuel président de la république, alors, premier-ministre. Il porte la responsabilité de la faillite de l’économie portugaise. Ce fut pendant ses deux mandats, gangrenés par le favoritisme et le clientélisme, que le vol de l’argent de la CEE commença. Du jour au lendemain, on vit apparaître une « performante » classe d’entrepreneurs qui, parrainés par les cadres de son parti et avec l’appui des banquiers, surent détourner les fonds vers de juteux négoces, sans le moindre contrôle de l’État.
Cette complicité criminelle entre les politiciens élus par le peuple et le Privé empêcha l’éclosion d’un vrai entrepreneuriat, fort et ajusté aux défis de la modernité.
Le soleil brilla de tous ses feux pour la classe de nouveaux-riches qui surfèrent, allègrement, la vague de la rapine nationale : Ferraris, villas de luxe, des voitures pour toute la famille, voyages de rêve et les mille et une merveilles d’une inattendue dolce vita à la portugaise. Les riches s’enrichirent démesurément, les classes moyennes reçurent quelques miettes du festin et s’en contentèrent, et le pays sombra dans la béatitude idéologique. Le pouvoir politique put, ainsi, consolider sa force, et le « cavaquisme » naquit pour le malheur du peuple et de la nation.
Si avec Cavaco Silva, la corruption eut la bride sur le cou, avec son successeur, António Guterres, un socialiste du PS, elle s’érigea en institution d’État. Quand le gueterrisme remplaça le cavaquisme, les troupes du nouveau premier-ministre savaient déjà ce qui les attendait. Ils avaient très bien lu le manuel d’instructions de la gouvernation politique et n’hésitèrent à copier les méthodes de leurs collègues néolibéraux.
Une nouvelle sous-classe d’opportunistes est apparue. On les appela les « boys » de Guterres. Depuis ce temps-là, les deux formations, les néolibéraux et les socialistes du PS valsent, ensemble, au son de leurs hymnes partisans et, en se succédant, régulièrement, se débrouillent pour partager, fraternellement, les richesses nationales, les succulents jobs et les institutions de l’état.
Pendant la gouvernation de Guterres, la désindustrialisation du pays continua de plus belle : l’agriculture et la pêche furent pratiquement abandonnées et le manque de créativité, d’innovation et de compétence de la plupart des entrepreneurs nationaux placèrent le pays sous une dépendance totale de l’étranger. D’ailleurs aucun gouvernement, du PSD ou du PS n’aura eu l’initiative de stimuler les industries exportatrices, bien au contraire, ils facilitèrent l’invasion des produits importés.
Au fil des années, les appétissants fonds se volatilisèrent : construction de stades de football, d’autoroutes et de nombreuses œuvres de prestige ; achat de sous-marins pour une éventuelle défense de la patrie ; acquisition de milliers de voitures de luxe pour les hauts et moyens fonctionnaires - plus de 29.000 voitures remplissent le parc automobile de l’état ; création de milliers d’entités publiques et publico-privées - plus de 13.000 instituts et fondations (beaucoup d’eux illégaux) puisent, dans le budget de l’État, encore aujourd’hui, malgré les politiques d’austérité du gouvernement, quelque chose comme 70 milliards d’euros (48% de la richesse nationale) ! Ces entités si prisées par les conservateurs et par les gens du PS sont les chasses-gardées des apparatchiks du régime (hauts salaires, retraites dorées et privilèges de classe).
Les politiciens obnubilés par les bénéfices du Grand Pillage n’essayèrent même pas de mettre le holà aux dangers qui guettaient l’économie nationale. La corruption, le clientélisme et les dépenses pharaoniques de l’état continuèrent d’aller bon train, pendant toutes ces années, jusqu’à ce que le pays entre en banqueroute. Devant un tel gâchis, la Justice se banda les yeux pour ne pas avoir à intervenir dans les sales affaires de l’état.
L’allégeance des gouvernants aux seigneurs du capital suscita la création d’une grande bourgeoisie intellectuellement et culturellement médiocre qui finit par bloquer tout processus de progrès social, économique et culturel.
Aujourd’hui la jeunesse ne trouve plus de travail. Les jeunes ayant fait des études supérieures commencent à s’expatrier, ils partent vers une immigration sans avenir et dangereuse. Leur pays n’est plus le merveilleux eldorado des fonds, les potentialités du peuple furent étouffées dans l’œuf.
La pauvreté atteint, aujourd’hui, des proportions jamais vues depuis la chute du régime salazariste. Les portugais, catalogués comme un peuple pacifique, humble et timoré, allergique à la contestation, affaibli du point de vue culturel et éducationnel se laisse museler, figé dans un moule de préjugés et de déterminismes civilisationnels.
Dès l’année 1985, six premiers-ministres gouvernèrent le Portugal. En analysant les aspects de leurs gouvernations, je me dis qu’il faudrait écrire, un jour, l’histoire de tous les gouvernements des pays membres de l’Union Européenne. En dévoilant la corruption et l’incompétence de leurs politiciens et, surtout, les tragédies vécues par leurs victimes, les peuples, on écrirait la vraie histoire de cette Europe des « démocraties pourries ».
Sejo Vieira