M. Barnanke a demandé ce qu’il fallait faire lorsqu’un fumeur irresponsable mettait le feu à son lit et provoquait l’incendie de sa maison. Le voisin devrait-il se dire « c’est de sa faute, que la maison brûle » ? Une telle attitude représenterait une menace pour tout le quartier, a expliqué M. Barnanke. En conséquence, a-t-il expliqué, l’économie avait besoin d’un système bancaire et financier solide. Et voici ce qu’il a dit : l’économie ne pourrait sortir de la crise qu’avec encore plus de crédits et de dettes. Pour cela, il faut encore plus de milliards de milliards de dollars fournis par « les voisins » à l’irresponsable qui a mis le feu à sa propre maison. C’est ici que l’analogie présente de sérieuses limites.
En regardant l’émission « 60 minutes », mon épouse m’a dit « C’est exactement ce qu’Obama a dit l’autre soir. Qu’est-ce qu’ils font ? Ils se réunissent pour se mettre d’accord sur une métaphore et la diffuser ? » On dirait qu’ils ont trouvé une image qui forcera les américains à soutenir cette politique même s’ils ne l’aiment pas et que beaucoup ont bien envie de voir la maison financière (AIG, Citibank, Bank of America) réduite en cendres.
Qu’y a-t-il de faux dans cette analogie ? Pour commencer, les maisons de la finance sont rarement situées dans les quartiers où vivent la plupart des gens. En fait, ce sont des châteaux, situés aux sommets des collines, dominant les villages plus bas. Ils peuvent partir en fumée et laisser la nature regagner ses droits sur le sommet de la colline, plutôt que de voir le village entier tourner le regard, enchaînés par les dettes, vers ces temples de la finance.
Et, s’agissant de la politique US, l’analogie est encore plus fausse. En réalité, le Trésor et la Réserve Fédérale ne sont pas en train « d’éteindre l’incendie ». Ils sont en train de saisir les maisons qui n’ont pas encore brûlé, d’expulser les occupants, et de remettre les biens entre les mains de ceux qui sont coupables d’avoir « mis le feu à leur propre maison ». Le gouvernement n’est pas en train de jouer aux pompiers. « Eteindre le feu » serait effacer les dettes de l’économie - les dettes qui sont en train de « tout brûler ».
Pour M. Bernanke, la « solution » au problème de la dette serait que les banques se remettent à prêter. Il est en train de jeter de l’huile sur le feu. Le gouvernement va prêter aux « voisins en danger » suffisamment d’argent pour que les clients endettés auprès de la « maison financière sur la colline » puissent rembourser les emprunts contractés. Ce n’est pas la maison sur la colline qui brûle, c’est l’argent des voisins (l’argent du contribuable) qui part en fumée.
M. Bernanke a expliqué aux téléspectateurs que sa politique visait à aider l’économie à retourner à la « normalité ». Parfaitement en phase avec les propos de M. Paulson l’été dernier, la « normalité » signifie une croissance exponentielle du volume de la dette. Il a parlé d’une relance économique « durable ». Mais « la magie des intérêts composés » n’est pas durable. La métaphore est totalement fausse.
Ensuite M. Bernanke a abandonné le terrain de la métaphore pour fournir une explication totalement fausse sur la balance des paiements et les réunions prévues du Gang des 20 en Europe. Vendredi, le premier ministre Chinois s’est déclaré préoccupé par la santé de l’économie américaine, dans laquelle la Chine a recyclé près de 2 mille milliards de dollars pour empêcher une revalorisation du yuan par rapport au dollar. La crainte est de voir, malgré cet intense recyclage de dollars, le taux de change du dollar baisser encore plus tandis que la balance commerciale poursuit sa courbe et, autre préoccupation, que les dépenses militaires des Etats-Unis continuent d’injecter des dollars dans l’économie mondiale et que la guerre se répand à l’est de l’Irak vers l’Afghanistan et le Pakistan.
Selon les explications du président de la Réserve Fédérale Bernanke sur CBS, le marché américain se devait d’être accueillant aux « sauveteurs chinois ». L’image qui est sans cesse rabâchée est que le monde souffre d’un « surplus d’épargne ». Selon cette version, les grandes banques US et Wall Street auraient été littéralement noyés sous l’argent et qu’ils ont été contraints d’en faire quelque chose et de procéder à des placements de plus en plus risqués. « Ils nous ont obligés » est le message sous-jacent qui n’a pas encore été formulée.
On pourrait croire que M. Bernanke ne connait rien de rien à la balance des paiements ou au fonctionnement du système monétaire mondial. Voici ce qui se passe réellement. L’économie US elle-même injecte de « l’épargne » dans les banques centrales étrangères en dépensant à l’étranger dans ses bases militaires. (L’émission « 60 minutes » a montré des engins élévateurs charrier des cargaisons, composées de 40 millions de dollars en devise US, à travers les bâtiments de la Réserve Fédérale de New York, comme ils le faisaient en Irak pour s’acheter des soutiens locaux et des groupes politiques). De même, les consommateurs US achètent plus que le pays n’exporte. Lorsque ce surplus de dollars donné aux banques centrales étrangères est converti en monnaie locale, les banques centrales les rendent à la Banque centrale US - ce qui lui pose un problème.
Rappelez-vous les propos d’un ancien ministre US, John Connolly : « c’est notre déficit, mais c’est leur problème ». Il voulait dire par là que les Etats-Unis dépensaient des fonds (à l’époque, principalement en Asie du Sud-Est) qui finissaient dans les banques centrales étrangères, qui en retour se trouvaient face à un dilemme : si elles laissaient « le marché » gérer ces dollars, leur propre devise grimperait. Ce qui mettrait en danger leurs exportations, et provoquerait du chômage. Alors les gouvernements étrangers ont choisi de recycler leur afflux de dollars, mais sans changer de monnaie - les convertissant principalement en bons du Trésor US puis, lorsque la source a commencé à se tarir, en bons émis par des agences telles que Fannie Mae and Freddie Mac.
Ainsi, le « feu » qui se répandait était celui du déficit militaro-commercial des Etats-Unis. Ce qui n’a pas grand-chose à voir avec l’épargne des consommateurs chinois. C’étaient les banques centrales qui faisaient de la pseudo-épargne, en jonglant avec leurs surplus de dollars comme des patates chaudes. On entend rarement un fonctionnaire mentionner le déficit des dépenses militaires. C’est comme si tout avait commencé par l’épargne à l’étranger et puis qu’une décision « selon les règles du libre-marché » avait était prise pour l’introduire dans l’économie US, « le moteur de la croissance mondiale ». En réalité, tout a commencé par le déficit de la balance des paiements US qui a injecté des surplus de dollars dans l’économie - que les banques étrangères sont obligées de recycler, en dollars. (Je parle de ce phénomène dans Super Imperialism : The Economic Strategy of American Empire, and Global Fracture.)
Le surplus de crédit que Wall Street a distribué a été crée à partir de rien. Sur ce point au moins, M. Bernanke a été clair, lorsqu’il a expliqué que le Fed « crée des dépôts » pour ses banques adhérentes tout comme ces banques « créent des dépôts » pour ses propres clients, par un simple click de souris.
Le résultat final est que le public américain est en train de se faire laver le cerveau par un mythe soigneusement construit (sans aucun doute après avoir fait l’objet d’une « étude de marché » auprès « d’échantillons représentatifs de la population » pour choisir les images qui marqueraient le plus les esprits). L’objectif est d’amener le public à se tromper d’analyse sur la nature réelle de l’actuelle crise et de l’amener à soutenir la politique mise en oeuvre et convaincre l’électorat.
Mais ce mythe s’appuie sur de fausses analogies, pas sur des réalités économiques. Il vise à faire passer Wall Street pour un pompier et non un pyromane. Il vise à faire passer le Trésor et la Fed comme des protecteurs de nos deniers et non comme des trafiquants qui ont fourgué des milliards de dollars aux banques dont les hasardeux paris ont provoqué la crise.
Au moment où l’émission « 60 minutes » était diffusée, le gouvernement faisait connaître les noms des sociétés du côté de Wall Street qui avaient bénéficié des aides versées par l’Etat pour renflouer AIG. Pour calmer la vague de protestations contre les 160 milliards de dollars versés à AIG, le Trésor a finit par publier les noms des sociétés qui ont finalement touché cette somme lorsqu’AIG s’en est servi pour éponger ses dettes. Confirmant les rumeurs qui circulaient depuis plusieurs mois, la compagnie de M. Paulson, Goldman Sachs, se trouvait en tête de liste en empochant 13 milliards de dollars ! Suivie par Merrill Lynch (7 milliards), Bank of America (5 milliards), Citigroup (2,3 milliards) et la très décriée société de junk-mortgage Wachovia (1,5 milliards). En tant que Secrétaire du Trésor, il s’avère que M. Paulson représentait non pas les intérêts des Etats-Unis mais ceux de sa propre compagnie et de ses voisins de Wall Street.
Ces voisins ont reçu des bons du Trésor lors de transactions "cash-pour-cash" . Le reste de l’économie paiera les intérêts de la dette pendant tout le siécle à venir. C’est cela qui provoque la "déflation par la dette" . Les revenus sont détournés de la consommation de biens et services pour payer les intérêts et taxes. Ainsi, le ministère du Trésor est en train de jeter de l’huile sur le feu, non d’éteindre l’incendie.
MICHAEL HUDSON
Michael Hudson est un ancien économiste de Wall Street. Professeur de recherches à l’Université du Missouri, Kansas City (UMKC), il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Super Imperialism : The Economic Strategy of American Empire (new ed., Pluto Press, 2002) son site http://www.michael-hudson.com
Traduction VD pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info
Article Original
http://www.counterpunch.org/hudson03172009.html