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Le Monde Diplomatique (jullet 2011)

Très bonne livraison, que celle de juillet 20111. Serge Halimi explique pourquoi les pouvoirs publics européens sont plus que jamais inféodés à la tutelle de la finance : « La crise de la dette qui balaie certains pays européens prend une tournure inédite : née du choix des Etats d’emprunter pour sauver les banques, elle place des pouvoirs publics exsangues sous la tutelle d’institutions soustraites au suffrage universel. Le destin des peuples de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande ne se forge plus dans les Parlements, mais dans les bureaux de la Banque centrale, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international. En attendant une convergence des mouvements sociaux ?

Économique mais aussi démocratique, la crise européenne soulève quatre questions principales. Pourquoi des politiques dont la banqueroute est assurée sont-elles néanmoins déployées dans trois pays (Irlande, Portugal, Grèce) avec une férocité remarquée ? Les architectes de ces choix sont-ils des illuminés pour que chaque échec - prévisible - de leur médication les conduise à en décupler la dose ? Dans des systèmes démocratiques, comment expliquer que les peuples victimes de telles ordonnances semblent n’avoir d’autre recours que de remplacer un gouvernement qui a failli par un autre idéologiquement jumeau et déterminé à pratiquer la même « thérapie de choc » ? Enfin, est-il possible de faire autrement ? »

Pour Denis Delbecq, Fukushima « rebat les cartes du nucléaire » : « La filière électronucléaire a représenté un espoir : celui d’une domestication civile du feu atomique. A la voracité énergétique du monde industrialisé, elle proposait une solution efficace associée au progrès technologique. Elle pose désormais un problème de sûreté aux populations et, aux États occidentaux, une question de rentabilité. Le foyer de cette industrie stratégique basculerait-il à l’Est ? Après une décennie de marasme, l’industrie nucléaire était sortie renforcée de la conférence de Copenhague sur le climat, en décembre 2009. Ses défenseurs évoquaient même une véritable renaissance. Mais l’accident de Fukushima a bouleversé la donne. De nombreux pays ont annoncé un ajournement de leurs projets. L’Allemagne et la Suisse, hier farouches défenseures de l’atome, ont décidé son abandon progressif. Et l’Italie a annulé les projets de construction de ses premières centrales. De quoi renforcer l’idée d’une planète nucléaire divisée en deux : d’un côté, des pays développés où l’atome marque le pas ; de l’autre, des pays en développement, dotés d’un véritable contrôle sur leur politique énergétique et de ressources financières, qui se tournent - entre autres - vers le nucléaire, ouvrant des marchés aux industriels occidentaux.

Dominique Vidal analyse la droitisation d’une parole juive importante, celle du CRIF : « Né dans la Résistance, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) n’a pas toujours été l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics (lire « De la clandestinité aux feux médiatiques »). Mais, après l’échec des négociations israélo-palestiniennes de Camp David, en 2000, il s’est radicalisé et a prétendu peser sur la politique de la France. Cette droitisation atteindrait-elle ses limites ? »

En quel sens l’Égypte est-elle en révolution (Alain Gresh) ? : « Si le renversement du président Hosni Moubarak a marqué une première étape, la révolution n’est qu’au tout début du gué. Partout, dans la rue comme dans les usines, s’exprime l’aspiration à la liberté et à des changements dont les pauvres ne seraient pas les laissés-pour-compte. Youssef Chahine ne reconnaîtrait pas le bâtiment noir et blanc de la gare centrale du Caire, théâtre de l’un de ses plus beaux films, qui, tourné en 1958, conte l’amour impossible du pauvre Kenaoui, boiteux et simple d’esprit, pour la belle Hanouna. Non seulement la colossale statue du pharaon Ramsès II a été déplacée sur le plateau de Gizeh, mais la façade, désormais rénovée et ripolinée, brille au soleil. Ce décor dissimule mal le grand chambardement qui règne à l’intérieur. C’est à travers un chantier en pleine activité, au milieu des échafaudages, en slalomant entre gravats et flaques de boue, sans indication aucune pour se guider, que les passagers pressés se frayent un chemin à la recherche du bon quai. Le train pour Mehallah El-Koubra, « le grand entrepôt », démarre à 13 h 15. Les wagons sales, aux fenêtres opaques, sont pris d’assaut. Seuls deux d’entre eux, « améliorés », proposent en queue de convoi, à des prix plus élevés, des places réservées et la climatisation, alors que la température frôle les 40 °C. »

La répression persiste en Tunisie (Serge Quadruppani) : « Six mois après le renversement du président Zine El-Abidine Ben Ali, la Tunisie bouillonne. En attendant l’élection d’une Assemblée constituante, le 23 octobre prochain, les forces sociales maintiennent la pression sur le gouvernement provisoire. Pourtant, à Gafsa, au coeur du pays, les traces de l’ancien régime subsistent. »

Que sont ces machines hostiles « programmées pour dominer » (Jean-Noël Lafargue) ? : « Il n’est pas difficile de faire l’expérience de la violence des portillons automatiques dans les couloirs du métro parisien. Un défaut d’attention, un mouvement décalé, un sac à dos un peu large, un enfant tenu par la main qui n’accepte pas de se presser… et la tenaille de caoutchouc broie les épaules ou frappe les tempes. L’aventure fait sourire les usagers quotidiens du métro : ceux-là ont appris à s’adapter aux machines. Les victimes elles-mêmes n’incriminent que leur propre maladresse. Mais imaginons un instant que ces portillons soient remplacés par des vigiles chargés de distribuer des claques ou des coups aux clients ne circulant pas à la bonne vitesse : ce serait scandaleux, insupportable. Nous l’acceptons pourtant de la part des machines, car nous savons qu’elles ne pensent pas. Nous estimons, en conséquence, qu’elles ne sont animées d’aucune mauvaise intention. Erreur : si les automates n’ont pas conscience de leurs actes, ils obéissent toujours à un programme, produit d’un réglage intentionnel. Dans d’autres villes, on trouve des composteurs, mais pas de portillons ; ailleurs, la validation des tickets est effectuée sous surveillance humaine ; et, à Aubagne ou à Châteauroux, les transports urbains sont… gratuits.

Denis Duclos analyse les « convulsions » de notre monde : « Effondrement d’un système financier rattrapé par ses propres turpitudes ; remise en cause de l’énergie nucléaire après le désastre de Fukushima ; éclatement de sociétés entières dans des pays arabes que l’on qualifiait de stables. Si différents soient-ils, les trois grands événements qui ébranlent le monde révèlent de façon criante les limites d’une même logique. Trois grandes crises ébranlent le monde, et ne se laisseront pas réduire à des sujets que l’on peut zapper : la grande panique financière, qui s’est propagée depuis fin 2008, l’accident nucléaire de Fukushima, qui s’est déclenché le 11 mars 2011, et la crise de régime dans nombre d’Etats arabes, où le peuple se soulève depuis la fin de l’année 2010. »

Le Monde Diplomatique redonne la parole à Ernesto Sábato, récemment décédé : « Auteur de l’inoubliable Héros et tombes (1961), l’écrivain argentin Ernesto Sábato est mort le 30 avril 2011, à presque 100 ans. En novembre 1991, à la veille du 500e anniversaire de la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb, il avait confié au Monde Diplomatique ce texte sur la formation de l’identité latino-américaine.
Parler de la « découverte » de l’Amérique peut être considéré comme une dénomination eurocentrique méprisante, niant l’existence des grandes cultures indigènes antérieures. Pourtant, il en va différemment si l’on considère que les Européens ne les connurent pas avant cette date (...). Regrettable, en revanche, est le fait que l’on continue de l’employer alors que les esprits européens les plus éminents, à l’époque, manifestèrent leur admiration pour ce qu’ils avaient rencontré sur le Nouveau Continent.

Il serait plus légitime de parler de la rencontre entre deux mondes, et que l’on reconnaisse et regrette les atrocités commises par les dominateurs. Reconnaissance qui devrait s’accompagner de l’examen des conséquences positives, avec le temps, de la conquête hispanique. (…) Si la légende noire était une vérité absolue, les descendants de ces indigènes asservis devraient conserver un ressentiment atavique envers l’Espagne ; non seulement ce n’est pas le cas, mais deux des plus grands poètes de langue espagnole de tous les temps, métis, ont chanté l’Espagne dans des poèmes immortels : Rubén Darà­o, au Nicaragua, et César Vallejo, au Pérou. »

Bernard Gensane

http://bernard-gensane.over-blog.com/

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Lorsque l’on tente, comme ce fut le cas récemment en France, d’obliger une femme à quitter la Burqa plutôt que de créer les conditions où elle aurait le choix, ce n’est pas une question de libération mais de déshabillage. Cela devient un acte d’humiliation et d’impérialisme culturel. Ce n’est pas une question de Burqa. C’est une question de coercition. Contraindre une femme à quitter une Burqa est autant un acte de coercition que l’obliger à la porter. Considérer le genre sous cet angle, débarrassé de tout contexte social, politique ou économique, c’est le transformer en une question d’identité, une bataille d’accessoires et de costumes. C’est ce qui a permis au gouvernement des Etats-Unis de faire appel à des groupes féministes pour servir de caution morale à l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Sous les Talibans, les femmes afghanes étaient (et sont) dans une situation très difficile. Mais larguer des "faucheuses de marguerites" (bombes particulièrement meurtrières) n’allait pas résoudre leurs problèmes.

Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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