Pourquoi maintenant ? demande Layrent Bonelli : « Voilà longtemps qu’un mouvement social n’avait pas à ce point inquiété les gouvernants. L’ampleur, la durée et la détermination de celui des « gilets jaunes » les ont désagréablement surpris. Ils ont également été déstabilisés par son hétérogénéité en matière d’intérêt pour la politique, d’activité professionnelle, de lieu de résidence et d’orientation partidaire. Il n’est pas imputable à des organisations politiques ou syndicales traditionnelles : il rassemble diverses composantes de ce que le pouvoir nomme la « majorité silencieuse », au nom de laquelle il prétend s’exprimer et dont il n’attend d’autre mobilisation que le vote. »
Pour Philippe Descamps , la justice sociale, clé de la transition écologique : « Par ses mesures fiscales, le gouvernement a pris le risque d’opposer pouvoir d’achat et sauvegarde du climat. Mais, signe de l’intelligence collective dégagée par leur mouvement, les « gilets jaunes » ne sont pas tombés dans le piège. »
Les GJ : c’est aussi une crise de la solitude (Pierre Souchon) : « « Avant, j’avais l’impression d’être seule. Le mouvement des « gilets jaunes » refuse toute forme d’organisation, a-t-on dit. En réalité, de multiples tentatives ont été menées. Mais se structurer exige un savoir-faire largement perdu, faute de militants sur le terrain pour le diffuser. »
Annabelle Allouch et Benoît Bréville décrivent des lycéens contre le tri sélectif qui les attend : « Le monde de l’éducation aura vécu une fin d’année agitée. À la protestation contre la hausse des frais de scolarité pour les étudiants étrangers non européens s’est greffée une mobilisation lycéenne inédite, apparue dans la France périurbaine. »
Dans le mouvement des GJ, une formidable présence : celle des travailleuses (Pierre Rimbert : « La présence sur les ronds-points d’une forte proportion de femmes des classes populaires a frappé les observateurs. Ces travailleuses font tourner les rouages des services essentiels : santé, éducation. Au-delà du soulèvement de cet automne, elles représentent le pouvoir ignoré du mouvement social. »
Serge Halimi estime que, dans l’affaire Assange, le Guardian a perdu son honneur car il a menti à propos d’une prétendue rencontre entre Assange et Donald Trump : « En novembre 2018, une maladresse administrative des autorités américaines confirme que Washington a bien instruit en secret un dossier d’accusation contre M. Julian Assange. Voilà plusieurs années que le fondateur de WikiLeaks, réfugié depuis 2012 dans l’ambassade d’Équateur à Londres, se dit menacé d’extradition vers les États-Unis, où il redoute de purger une interminable peine de prison pour espionnage, voire pis. C’est dans ce contexte que, le 27 novembre, le Guardian,quotidien britannique de centre gauche, choisit de publier un « scoop ». Il révèle que M. Paul Manafort, ancien directeur de campagne du candidat Donald Trump, a rencontré trois fois M. Assange à Londres : en 2013, en 2015 et en 2016. »
Pour René Raphaël et Ling Xi , il y a désormais des bons et des mauvais Chinois : « Public ou privé, local ou national, individuel ou sectoriel, un système de notation appelé « crédit social » se déploie en Chine. À l’origine, il imitait le système américain, qui attribue une bonne note aux emprunteurs payant régulièrement leurs échéances. Puis il s’est étendu à d’autres types de comportements. Reportage à Hangzhou, siège de l’entreprise Alibaba, et dans les campagnes du Shandong. »
Qui arrêtera le pendule argentin ? demande Renaud Lambert : « Le soulèvement des « gilets jaunes » français suscite l’admiration de larges fractions de la population argentine. La politique menée par le président conservateur Mauricio Macri, au pouvoir depuis 2015, a fait monter en flèche les prix de l’énergie et des produits de première nécessité. Alors que la pauvreté augmente, la colère sociale couve sans provoquer d’explosion. Jusqu’à quand ? »
Abdul Salam Diallo et Raphaël Godechot décrivent un fait sociologique intéressant en Afrique de l’Ouest : La vie rêvée des « repats » guinéens : « Avec la croissance, l’Afrique assiste à un « retour des cerveaux ». Dans un État comme la Guinée, qui compte près de cinq millions de résidents à l’étranger et où 64 % de la population a moins de 25 ans, ce phénomène alimente un espoir de redressement économique. Mais il suscite aussi des déceptions, car il met en lumière les faiblesses structurelles de l’État. »
Pour Daniel Zamora , on déplore les inégalités, mais on ignore leurs causes : « Des riches plus riches et des pauvres plus pauvres. De ce constat cent fois formulé on peut déduire des solutions politiquement opposées : adoucir le capitalisme, disent les uns ; socialiser la richesse, rétorquent les autres. Avant de resurgir dans les slogans d’Occupy Wall Street, ce débat a traversé le XXe siècle. La mise en avant des inégalités dans le discours public a elle aussi une histoire.
Pour Abdoul Salam Diallo & Raphaël Godechot, Bolloré est désromais rattrapé par les juges : « En avril 2018, la mise en examen de l’industriel Vincent Bolloré par la justice française pour corruption d’agent étranger, complicité d’abus de confiance, faux et usage de faux a fait l’effet d’une bombe dans le monde des affaires. Il aura fallu attendre 2018 pour que l’attribution controversée du terminal à conteneurs du port de Conakry au groupe Bolloré, en 2011, fasse la « une » des médias français. Pourtant, il y a presque onze ans déjà (édition du 11 février 2008), l’hebdomadaire guinéen Le Lynx, sous la signature de son rédacteur en chef Souleymane Diallo, journaliste connu pour sa pugnacité, soupçonnait le gouvernement de Lansana Conté de se préparer à offrir un cadeau inestimable à Bolloré Transports and Logistics : la concession du port sans appel d’offres. »
Très intéressant reportage de Grenaille Lenoir sur les pas de George Orwell dans le Lancashire [Lire à ce sujet Le Quai de Wigan] : « Présenté comme une simplification par la fusion d’allocations diverses, le « crédit universel » britannique plonge de nombreux foyers vulnérables dans le désarroi. Sur les quais de Wigan, dans le Lancashire, ce fiasco s’ajoute à la décomposition sociale due à quatre décennies de libéralisme. Comme au temps où George Orwell arpentait ces lieux, nombreux sont aujourd’hui les Anglais emmurés dans la pauvreté. »
Un jour, la SDN rejeta l’« égalité des races » (Miho Matsunuma) : « Il y a cent ans s’ouvrait la conférence de la paix, qui consacra la disparition des empires allemand, austro-hongrois et ottoman au sortir de la première guerre mondiale. Les conséquences funestes du traité de Versailles en Europe ont été largement analysées. On connaît moins le ressentiment ambigu du Japon, qui échoua à faire reconnaître l’« égalité des races » par la Société des nations (SDN). »
Quand tout est fiction et que reste le marché (Evelyne Pieiller) : « Nourri d’anecdotes et de précisions savantes, « Sapiens », de Yuval Noah Harari, se présente à la fois comme une séduisante entreprise de vulgarisation portant sur l’histoire de notre espèce et comme une réflexion sur le sens de cette histoire. La pédagogie se double ainsi de considérations qui, sous couvert de science, trahissent une banale défense de l’idéologie dominante. »
Un jour, on inventa un journal de combat (Marie-Noël Rio) : « Afin de défendre les conquêtes du Front populaire et de fédérer dans la lutte contre le péril fasciste, le Parti communiste français décide, à la fin de 1936, de fonder un quotidien qui, contrairement à L’Humanité, ne lui sera pas étroitement lié. Ce Soir , codirigé par Louis Aragon, sera un grand journal populaire, nourri par des intellectuels et des artistes. »
Gérard Mordillat revient sur une révolution sans révolution : « Une étrange malédiction semble frapper ceux qui se risquent à réaliser un film sur la Révolution française, comme en témoigne le dernier en date, Un peuple et son roi, de Pierre Schoeller, sorti en 2018. Au nom d’une illusion, celle de l’objectivité historique, voire de la neutralité scientifique, cette malédiction se manifeste par une absence de parti pris. Les cinéastes se veulent au-dessus de la bataille. « Il est doux, quand la mer est haute et que les vents soulèvent les vagues, de contempler du rivage le danger et les efforts d’autrui : non pas qu’on prenne un plaisir si grand à voir souffrir le prochain, mais parce qu’il y a une douceur à voir des maux que soi-même on n’éprouve pas », écrivait Lucrèce (De la nature des choses). Filmant la Révolution, les cinéastes s’interdisent de défendre l’une ou l’autre cause, ou soutiennent mollement la cause du peuple, sans que ce choix s’affirme autrement que dans les intentions. Au bout du compte (malédiction !), cela n’aboutit qu’à des films décevants. Pas des mauvais films, mais des films décevants. Paradoxalement, les films contre-révolutionnaires, comme Les Mariés de l’an II, de Jean-Paul Rappeneau (1971), ou L’Anglaise et le Duc, d’Éric Rohmer (2001), font preuve d’une plus grande fantaisie visuelle et d’une plus grande invention formelle ! »
Photo : Wigan, Lancashire.