Dans son éditorial de décembre 2017, Serge Halimi nous met en garde contre nos propensions aux guerres de religion : « La France vient de vivre un moment de folie médiatique et politique. Tous les ingrédients sont en place pour qu’elle en connaisse d’autres du même type : démesure des commentaires suscités par une caricature de presse ; rôle idéal de Twitter quand il s’agit de réagir avant de réfléchir et d’allumer un incendie ; carburant parfait de thèmes liés à la religion pour que le feu se propage ; démagogie d’un homme politique discrédité, ancien premier ministre de surcroît, qui escompte qu’une forêt calcinée favorisera sa résurrection. Avec, pour couronner le tout, une règle désormais éprouvée : tous les sujets, même celui du harcèlement sexuel dont sont victimes des femmes américaines, débouchent plus ou moins vite sur la question des musulmans en République. »
Charles Mathieu se demande si les coopératives peuvent venir au secours de l’emploi : « Pour éviter la fermeture de leur entreprise, des salariés choisissent de la reprendre sous un statut coopératif et de s’impliquer dans la direction. Un parcours non dépourvu d’embûches, comme le montre le récit de deux luttes emblématiques, à Carcassonne et à Gémenos. » D’autant que, selon Margot Hemmerich et Clémentine Méténier, « Pour reprendre leur entreprise en coopérative, les salariés doivent repenser toute l’organisation du travail en quelques mois. L’urgence conduit alors les syndicats à sortir de leur réserve vis-à-vis d’un mode de gestion dans lequel ils cherchent encore leur place. »
Pour Laurent Bonnefoy, l’Arabie saoudite s’enlise au Yémen : « Du Qatar au Liban, l’Arabie saoudite enchaîne les fiascos lorsqu’elle se mêle de politique régionale au Proche-Orient, où elle est accusée d’avoir armé idéologiquement, voire militairement, certains djihadistes. Le discrédit est à son comble avec la guerre sans issue, et sans merci pour les civils, que le royaume conduit au Yémen. »
Ibrahim Warde a repé une “ Singulière amitié entre Ryad et Washington ” : « Très virulent à l’égard de l’Arabie saoudite durant la campagne électorale de 2016, le président américain entend désormais faire profiter son pays de la richesse du royaume. Une démarche intéressée qui ne tient pas compte des difficultés structurelles d’un pays engagé dans d’incertaines réformes économiques et sociétales. »
Selon Pierre Rimbert, les journalistes confient désormais la vérité à des sous-traitants : « Pour rétablir le crédit du journalisme, il fallait un électrochoc. Lancer un mouvement pour soustraire la presse aux griffes des oligarques ? Décupler les budgets consacrés à l’international et aux enquêtes sociales ? Thomas Legrand, éditorialiste politique à France Inter, a son idée. Le 25 septembre dernier, il lance sur les ondes un appel. « Affluence aux manifestations : il faut que la presse se donne les moyens de publier les vrais chiffres. » « Oui, nous avons pris la déplorable habitude de donner le chiffre des organisateurs et celui de la police. (…) Pourtant il ne s’agit pas d’opinion, mais d’un fait ! » Thomas Legrand exhorte alors ses confrères à « décider, collectivement (télés, radios, Agence France-Presse et le plus de journaux possible), de mutualiser [leurs] moyens pour fournir un troisième chiffre. Pas une vérité de plus, mais la réalité ».
Dany-Robert Dufour explique comment des fripons peuvent devenir honnêtes (“ Les prospérités du vice ”) : « Depuis le sociologue allemand Max Weber et son livre « L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme », on se représente le capitalisme comme ascétique, rigoriste, autoritaire, puritain et patriarcal. Et, depuis près d’un siècle, on se trompe. Comme le montre la lecture et la redécouverte de Bernard Mandeville, médecin et philosophe du XVIIIe siècle, et de sa « Fable des abeilles ».
Pour Philip S. Golub, l’État chinois a su exploiter la mondialisation : « Au Forum de Davos en janvier comme lors de sa rencontre avec M. Donald Trump en novembre, le président chinois Xi Jinping a peaufiné son discours sur les vertus du libre-échange, quand son homologue a semblé défendre « l’Amérique d’abord » et le protectionnisme. Pékin s’est emparé de la mondialisation pour retrouver sa place dans le monde sans s’y dissoudre grâce à l’État développeur. »
Akram Belkaïd et Dominique Vidal ont observé le djihadisme « sous la loupe des experts » : « Chaque fois qu’on cherche à interpréter les motivations des djihadistes, le même affrontement semble monopoliser la scène : radicalisation religieuse liée à l’islam ou bien radicalisation politique qui prend l’islam pour prétexte ? Mais rares sont les spécialistes qui imaginent encore qu’une cause unique pourrait rendre compte de la démarche des milliers de jeunes Français embrigadés. »
Pour Anne Vigna, la crise « galvanise les droites » au Brésil : « « Qu’ils s’en aillent tous ! » Quinze ans après celui des Argentins confrontés au chaos économique, le cri parcourt un Brésil balayé par les scandales de corruption. Alors qu’aucune formation traditionnelle n’échappe au discrédit, une droite radicale parfois liée aux militaires émerge, qui promet de nettoyer les écuries d’Augias. »
Qu’en est-il de l’ingérence russe (Aaron Maté) : Une intervention de Moscou a-t-elle pu altérer l’issue de la dernière élection présidentielle américaine ? L’hypothèse, qui obsède la presse, est traitée avec autant de passion qu’une guerre ; des commissions parlementaires enquêtent. Et, du Brexit au référendum catalan, chaque scrutin majeur comporte dorénavant sa déclinaison d’un piratage ou d’une subversion russe. Les preuves, elles, se font attendre. »
Pour Cécile Andrzejewski, la pénibilité au travail chez les femmes est quasi invisible : « Pour faire passer le recul de l’âge de la retraite, le précédent gouvernement français avait promis la création d’un compte personnel de pénibilité, ouvrant le droit à un départ plus précoce. Non seulement les critères ont été réduits par l’actuelle équipe, mais la plupart avaient été définis en fonction du travail masculin. Les facteurs de risques encourus par les femmes demeurent occultés, comme les gestes répétitifs ou les tâches liées au nettoyage et aux services à la personne. »
Pour Jean-Philippe Martin, les microentreprises sont des « machines à fabriquer des pauvres » : « Quand, en 2008, est créé le statut d’autoentrepreneur, les reportages enthousiastes fleurissent un peu partout. Neuf ans plus tard, les forçats du vélo font grève pour être payés correctement, les chauffeurs Uber sont en procès avec la plate-forme, les « indépendants » se mobilisent. En moyenne, les microentrepreneurs gagnent… 410 euros par mois, moins que le revenu de solidarité active (RSA). »
Pour Laurent Gbagbo (mon ancien collègue à l’Université de Côte d’Ivoire que j’ai rarement vu car il était en prison ou en exil sous Houphouët-Boigny), les accusations de la CPI de La Haye ne tiennent plus : « Le procès de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo devait sceller le triomphe du droit international sur la violence politique. Mais, révélant les carences d’une instruction à charge, les audiences mettent en lumière les responsabilités françaises dans le conflit et la puissance du réseau du président Alassane Ouattara. »
Pour Jean-Arnault Dérens, on assiste à « l’essor d’une gauche souverainiste au Kosovo » : « Se proclamant de gauche tout en cultivant un nationalisme albanais exacerbé, jugé hostile par les Serbes, le mouvement Vetëvendosje a réussi une percée aux législatives de juin dernier et dirige les deux plus grandes villes du Kosovo depuis les municipales de la mi-novembre. »
Alhadji Boba Nouhou estime qu’Israël progresse en Afrique : « Longtemps, la cause palestinienne constitua une divergence indépassable entre Israël et l’Afrique. Mais Tel-Aviv a su se rendre utile à de nombreux régimes, notamment pour les questions sécuritaires. Des liens discrets, mais concrets, avec certains États-clés lui laissent espérer nouer des relations économiques et politiques toujours plus étroites. »
Raul Guillen a écouté ce que « les abeilles murmurent à l’oreille des humains » : « Les abeilles ne disparaissent pas sur tout le globe, et leur extinction ne menacerait pas nécessairement toute l’agriculture. Tordre le cou à ces croyances alarmistes doit permettre en revanche de mieux comprendre ce que révèlent les pertes sans précédent que subissent les apiculteurs dans certaines régions du monde, et les lourds dangers que portent les mutations profondes des systèmes agricoles. »
En art, quel est “ le prix de l’inestimable ” (Franz Schutheis) : « Un petit tableau attribué à Léonard de Vinci vendu 385 millions d’euros en novembre dernier ; « Les Femmes d’Alger », de Pablo Picasso, adjugé en 2015 pour 160 millions d’euros : les placements spéculatifs ont investi le domaine de l’art. Loin des projecteurs, des dizaines de milliers d’œuvres « ordinaires » se vendent chaque année. Ce marché obéit à des règles bien particulières. »
Frédéric Lordon se demande s’il est possible d’avoir “ plus d’une idée ” : Ce sont parfois les explosifs les plus puissants qui passent le plus aisément les portiques. De tous les ouvrages consacrés à la critique de l’Union européenne, et il n’en manque pas d’éruptifs, le plus dévastateur pourrait bien être l’un des plus discrets. L’un des plus décalés aussi. Travail méticuleux d’historien, publié aux très révolutionnaires éditions du CNRS, Les « Collabos » de l’Europe nouvelle, de Bernard Bruneteau, a de quoi faire du dégât. Mais, si l’on autorise l’oxymore, de quoi faire du dégât subtilement. Que l’idée d’Europe puisse ainsi se trouver accolée au mot « collabos », c’est une conjonction dont la double propriété de nous sembler parfaitement aberrante et d’être pourtant avérée par l’histoire doit donner à penser. Pour mettre en question non pas tant l’idée elle-même que les aveuglements où peuvent conduire certaines manières de la poursuivre. »