Dans la livraison du Monde Diplomatique d’avril 2010, Serge Halimi explique ce qui se cache, très vraisemblablement, derrière le débat sur la burqa : « Les Français sont vraisemblablement plus nombreux à connaître le nombre de minarets en Suisse (quatre) et de « burqas » en France (trois cent soixante-sept) qu’à savoir que le Trésor public a perdu 20 milliards d’euros à la suite d’une décision « technique » de l’exécutif.
Il y a dix-huit mois en effet, au lieu de subordonner son sauvetage des banques en perdition à une prise de participation dans leur capital, laquelle ensuite aurait pu être revendue avec un joli bénéfice, le gouvernement français a préféré leur consentir un prêt à des conditions inespérées… pour elles. Vingt milliards d’euros de gagnés pour leurs actionnaires, c’est presque autant que le déficit de la Sécurité sociale l’an dernier (22 milliards d’euros). Et quarante fois le montant de l’économie annuelle réalisée par l’Etat lorsqu’il ne remplace qu’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux.
Le rétablissement électoral du Front national, et plus généralement de l’extrême droite en Europe, n’est pas tout à fait étranger à cette distribution de l’attention publique entre la poutre des polémiques subalternes qu’on enflamme et la paille des sujets prioritaires dont on prétend qu’ils sont trop compliqués pour le commun des mortels. Le fiasco des élections régionales derrière lui, M. Nicolas Sarkozy va s’attaquer à la « réforme des retraites ». L’enjeu social et financier étant considérable, on sait déjà que le gouvernement français s’emploiera à distraire la galerie en relançant le « débat sur la burqa ».
Riposter à cette manoeuvre n’impose certainement pas de s’enfoncer sur son terrain boueux en donnant le sentiment de défendre un symbole obscurantiste. Encore moins de taxer de racisme les féministes " hommes et femmes " qui légitimement le réprouvent. Mais comment ne pas juger cocasse qu’une droite qui a presque partout associé son destin à celui des Eglises, du patriarcat et de l’ordre moral se découvre soudain éperdue de laïcité, de féminisme, de libre-pensée ? Pour elle aussi, l’islam accomplit des miracles !
On découvrira bientôt ce que cache réellement la « burqa ». Et combien cela coûte. »
Gilles Favarel-Guarriques (et al.) nous expliquent comment « les banquiers informent la police » [j’espère qu’ils nous expliqueront aussi comment Pujadas, le plus mauvais interviewer de Président de la République, est devenu le meilleur flic de France]. « Longtemps la garantie du secret des transactions fut synonyme de respectabilité bancaire aux yeux des déposants les plus fortunés. Pourtant, dans le sillage de la lutte internationale contre le blanchiment de l’« argent sale » puis contre le financement du terrorisme, les banques ont dû évoluer. Elles recrutent désormais des membres des forces de l’ordre pour mettre en place une surveillance financière aussi étendue que méconnue.
Dans les dernières semaines de l’année 2009, on découvre dans la presse le visage d’un certain Hervé Falciani. Après avoir dérobé des données bancaires, cet ancien informaticien de la banque HSBC les a proposées aux autorités françaises. Début 2008, un employé de la banque Liechtenstein Global Trust (LGT) avait déjà vendu son fichier plusieurs millions d’euros au fisc allemand et, après avoir livré à l’administration fiscale américaine le nom de dix-neuf mille clients, un ancien banquier de l’Union de banques suisses (UBS) revendiquait le droit de toucher plusieurs millions de dollars sur les impôts ainsi encaissés.
Ces récentes affaires au cours desquelles des données bancaires sont récupérées par des gouvernements, avec la complicité d’anciens employés, montrent l’importance prise par cette pratique. Les échanges d’informations entre autorité publique et institutions financières ne sont cependant pas nouveaux. Ils se sont développés depuis vingt ans dans le sillage de la lutte antiblanchiment, qui a favorisé l’enrôlement des banques dans ce type de surveillance " tout en excluant jusqu’à présent la matière fiscale.
Pour Dany-Robert Dufour, les créateurs d’aujourd’hui sont « en mal de provocation ». « Réitérant à tour de bras le fameux geste de Marcel Duchamp exposant un urinoir, sans voir qu’il a perdu toute charge subversive, l’art contemporain le plus médiatisé ne fonde plus sa légitimité que sur le snobisme, et sur la valeur marchande générée par celui-ci. Conformiste dans son individualisme capitalisme exacerbé, il éclipse, par sa présentation tapageuse, la démarche d’artistes plus discrets, dont l’oeuvre conserve une réelle dimension libératrice.
Éric Dupin s’interroge sur un possible retour des analyses de classe. « La crise économique et financière aura peut-être pour vertu de ramener les milieux populaires sur le devant de la scène politique et intellectuelle. Massivement abstentionnistes, caricaturés comme des beaufs, ils ne semblaient plus intéresser personne, alors même qu’ils représentent plus de la moitié de la population française. » Le problème est que « La sensibilité aux inégalités qui séparent chacun de son voisin a progressé au détriment de l’ancienne solidarité entre ceux qui n’avaient que leur travail pour vivre » (Maryse Dumas).
Il faut désormais traire plus pour gagner moins (Matthieu Cassez et al.) : « Cette année, le président Sarkozy a préféré clore le Salon de l’agriculture plutôt que l’inaugurer. Certains y voient le symbole de l’abandon d’une profession qui subit la dérégulation internationale des marchés et le démantèlement de la politique agricole commune. Pourtant, l’Union européenne auraient les moyens de sauvegarder le secteur. » Mais « Première productrice mondiale de lait, l’Union se prive des instruments qui la conduisaient à jouer de fait le rôle de stockeur public. »
Que se passerait-il si Pékin cessait d’acheter la dette américaine (Dean Baker) ? Obama accuse Pékin de sous évaluer sa monnaie pour doper ses exportations. Mais la Chine est aussi un partenaire précieux, qui finance les déficits américains. Rivales géopolitiques, les deux puissances sont liées par la monnaie. Que se passerait-il si cela cessait ? »
Jean-Paul Chagnollaud estime qu’Israël « est lancé dans une guerre sans fin » (alors qu’il n’a connu, depuis 1973, aucun conflit direct avec un État arabe). La manne financière, déversée notamment par l’Union européenne, a créé en Palestine des enclaves de prospérité artificielle. Pendant ce temps, la colonisation se poursuit et l’armée israélienne se prépare à de nouveaux affrontements, au Liban, en Iran, ou en Cisjordanie, à la poursuite d’une impossible victoire définitive.
Alain Gresh explique comment Israël « piétine ses alliés » : « La politique israélienne contribue à la mort de nos soldats en Afghanistan et en Irak, voilà ce qu’ont dit en substance plusieurs responsables américains, choqués par la manière désinvolte dont M. Benyamin Netanyahou traite les Etats-Unis. Dans le cas de la France et malgré le tournant pro-israélien de sa politique, il s’agit plutôt de mépris. En décembre 2009, le centre culturel français à Jérusalem est encerclé : la police israélienne cherche à interpeller des responsables palestiniens qui s’y trouvent. Le 22 juin 2009, la directrice du centre culturel français de Naplouse est extirpée de son véhicule diplomatique, jetée à terre et rouée de coups par des militaires israéliens ; l’un d’eux lui lance : « Je peux te tuer. » Durant l’offensive contre Gaza, en janvier 2009, le domicile de l’agent consulaire français, M. Majdy Shakkura, est saccagé par les soldats israéliens, qui volent argent et bijoux. Le même mois, la voiture du consul général de France subit des tirs de « sommation ». Le 11 juin 2008, Mme Catherine Hyver, consul adjointe de la France à Jérusalem, est retenue dix-sept heures dans des conditions dégradantes à un point de passage de la bande de Gaza.
Pour son « ami » Nicolas Sarkozy, le Premier ministre Benyamin Netanyahou s’était engagé à faciliter la reconstruction de l’hôpital Al-Qods de Gaza : or Israël continue de bloquer l’entrée des matériaux nécessaires, au nom, bien sûr, de la sécurité ; et la construction d’un nouveau centre culturel est paralysée. Peut-être faut-il s’en réjouir : cet édifice ne sera pas anéanti par l’armée israélienne au cours de sa prochaine offensive comme ont pu l’être des dizaines de bâtiments et d’infrastructures construits avec l’aide de l’Union européenne " ainsi, de l’aéroport international de Gaza en 2001, destruction condamnée par l’Union, qui avait annoncé qu’elle demanderait des compensations à Israël ; on attend toujours. »
Quel est le dilemme nucléaire du Président Obama (Selig S. Harrison) ? « Tandis que Moscou et Washington s’apprêtent à signer un accord sur la limitation de leurs armements nucléaires stratégiques, les Etats-Unis se préparent à rendre publique leur nouvelle doctrine en la matière. Celle-ci ayant fait l’objet de pressions du Pentagone et des faucons japonais, elle devrait être bien éloignée de la vision exprimée il y a encore quelques mois par le Président Obama. »
Emmanuel Raoul est allé fouiller sous les sables bitumineux de l’Alberta : « A force de cadeaux fiscaux, d’absence de régulation et de laxisme environnemental, les conservateurs au pouvoir en Alberta ont transformé, avec l’aide d’Ottawa, le nord de la province en un supermarché de pétrole sale au profit des multinationales et du voisin américain. La forêt boréale est sacrifiée, tout comme les premières nations de la région. »
Patrick Bond analyse « l’impérialisme contrarié de Pretoria » : Puissance économique régionale, médiatrice dans de nombreux conflits, l’Afrique du Sud voit son prestige écorné par la montée de la xénophobie et les accusations d’impérialisme. »
Quelles sont « les capitales du capital, ces mégalopoles à l’assaut de la planète (Jean-Pierre Garnier) ? « De Bombay à Pékin en passant par Londres, New York ou Paris, la restructuration urbaine par « destruction créatrice » a acquis une dimension planétaire : des quartiers populaires bien situés sont réaménagés, leurs anciens habitants expédiés en périphérie dans des groupes de logements bas de gamme pour laisser place à un habitat « de standing », des sièges sociaux, des équipements culturels prestigieux susceptibles d’attirer les investisseurs, les promoteurs, les directeurs de société, les cadres supérieurs et les touristes argentés. Bref, « le bidonville global entre en collision avec le chantier de construction global, explique le géographe David Harvey, atroce dissymétrie qui ne peut être interprétée que comme une forme criante de confrontation de classes ». Faut-il dès lors en déduire que, par-delà l’apparition de nouveaux agencements urbanistiques et architecturaux, la lutte séculaire entre dominants et dominés pour la conquête (ou la reconquête) de l’espace urbain s’effectue selon une dynamique immuable ? »
Même à Hanoï (Xavier Monthéard), « les gratte-ciel dévorent les rizières » : « La cité qui résista aux bombardiers américains pendant la guerre du Vietnam s’ouvre aux promoteurs immobiliers et à leurs projets pharaoniques. »
Philip S. Golub explique l’évolution des cités-États à la ville globale : « le mouvement d’urbanisation du monde, entamé dans le néolithique, se transforme en lame de fond avec la révolution industrielle ; la ville devient alors le levier d’une restructuration des rapports sociaux.
Mark Weisbrot explique pourquoi Caracas invente « la dévaluation à double détente » : « La baisse brutale des cours du pétrole, à la fin de 2008, a pu faire craindre ou espérer - selon les cas - une réduction de l’investissement social qui assure sa majorité au gouvernement bolivarien. Il n’en est rien. La politique économique de Caracas n’en demeure pas moins au coeur des débats. »
Rendant compte du livre de L. Jospin, Lionel raconte Jospin, Serge Halimi se demande si les socialistes ont bonne mémoire. La réponse est dans la question…
En dernière page, Le Monde Diplomatique reprend un article d’André Gorz de 1974, visionnaire : « Évoquer l’écologie, c’est comme parler du suffrage universel et du repos du dimanche : dans un premier temps, tous les bourgeois et tous les partisans de l’ordre vous disent que vous voulez leur ruine, le triomphe de l’anarchie et de l’obscurantisme. Puis, dans un deuxième temps, quand la force des choses et la pression populaire deviennent irrésistibles, on vous accorde ce qu’on vous refusait hier et, fondamentalement, rien ne change. »