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Ukraine, Taguieff, Syrie, Trump : les embardées du Monde…

Le Monde à l’épreuve de la méthode de son « Décodex »

Pour ceux qui auraient échappé à la dernière campagne de communication du Monde, sachez que ce journal, afin de lutter contre les « fausses informations », a lancé en février dernier un outil d’évaluation des contenus en ligne appelé « Décodex ». Cette application permet via Google Chrome ou Firefox d’accéder en permanence à l’annuaire des sources recensées dans le Décodex.

Pour être précis, en conformité avec des règles préétablies, cet outil délivre des « bons ou des mauvais points » par l’intermédiaire de vignettes colorées : Rouges pour “les sites qui diffusent des fausses informations”, oranges pour “celles dont la fiabilité est douteuse” et bleues pour “celles provenant de sites parodiques”. A noter que les vignettes vertes qui indiquaient “les sites fiables” ont été supprimées. En somme, le Décodex s’inscrit dans la logique de diabolisation des sources qui échappent aux réseaux professionnels de l’information, et des opinions souvent iconoclastes qui en découlent. Cette initiative pour le moins manichéenne, a été accueillie par un grand nombre de journalistes de manière très négative. Mais soyons beaux joueurs et partons du postulat que dans chaque entreprise il y a une part de bonne foi. Aussi, avant sans doute d’expédier ce “joujou extra” au musée des objets insolites, soumettons la version internet du Monde à la critique de son fameux Décodex.

En premier lieu, examinons succinctement la méthodologie du Décodex qui – à la bonne heure – préconise de « vérifier une information avant de la partager, de vérifier les sources, de juger de la fiabilité d’un site, ou encore de vérifier une rumeur qui circule sur les réseaux sociaux avec son corollaire, celui de reconnaître une théorie complotiste ». Pour vérifier cette “charte”, revenons sur cinq thèmes, dont quatre souvent abordés sur ce blog.

1/ Ukraine : « le Kremlin multiplie les références à la seconde guerre mondiale » affirme le Monde.

En 2016, pour répondre au film « Les Masques de la Révolution » de Paul Moreira, qui revenait sur le rôle prépondérant des néo-nazis en Ukraine, Benoît Vitkine, journaliste au Monde, titre l’une de ses chroniques : « Paul Moreira donne une vision déformée du conflit ukrainien. ». Pour Benoît Vitkine, « le documentariste chausse des lunettes déformantes. Pravy Sektor, Azov, Svoboda… Moreira fait de ces groupes d’extrême droite les artisans de la révolution, lorsqu’ils n’en étaient que l’un des bras armés. Il les présente comme une force politique majeure, quand leurs scores électoraux sont dérisoires ».

1/ Quel sont les autres bras armés, puisque Benoît Vitkine sous-entend qu’il y en a d’autres sans toutefois les lister ?

2/ S’il y a une propagande du Kremlin, il y en a une également du côté “occidental”, basée en grande partie sur les résultats électoraux, bon ou pas, de l’extrême droite ukrainienne.

Depuis 2014, cet argument sert à minimiser autant que possible la présence des fascistes au sein de l’appareil d’Etat ukrainien. En règle générale, les propagandistes français referment la parenthèse par un : « Et alors il y a bien une extrême droite en France. ».

Tout d’abord remarquons que d’un côté les journalistes du Monde proclament que « les années 30 sont de retour », et de l’autre ces mêmes journalistes réduisent l’importance de nazis hyperactifs qui sont pourtant au service d’un gouvernement allié à l’Etat français. Qui est Andreï Parouby, le commandant de l’Euromaïdan ? En 1991, il a fondé le Parti social-nationaliste d’Ukraine avec Oleh Tyahnybok. Ce parti deviendra plus tard Svoboda. Le 14 avril 2016, Andréï Parouby est devenu le Président du Parlement ukrainien, marchepied vers le poste de premier ministre pour ses 2 prédécesseurs. Selon le quotidien allemand Der Spiegel : « Le titre social-national Parti était une référence intentionnelle au parti National Socialiste d’Adolf Hitler. ». Son emblème, le Wolfsangel, était l’un des symboles initial du parti nazi. Il deviendra le logo du Parti social-nationaliste d’Ukraine et par la suite du parti de Parouby, Svoboda.

Qui plus est, si les journaux britanniques en matière de politique étrangère sont globalement rangés derrière leur gouvernement, malgré tout ils relatent fréquemment le rôle majeur des bataillons ouvertement néo-nazis au service du nouveau pouvoir de Kiev. Pour preuve : The Guardian, The Telegraph, The Independent, The Sunday Times, BBC News. Des articles corroborés par Amnesty International qui dès septembre 2014 alertait les opinions publiques sur les crimes perpétrés par les troupes paramilitaires ukrainiennes. Ces groupes d’extrême droite furent identifiés par le quotidien israélien Haaretz, qui dès le début des événements en Ukraine rapportait que Pravy Sektor et Svoboda distribuaient des traductions de Mein Kampf et des Protocoles des Sages de Sion sur la place Maïdan.

2/ Par qui “Le Monde” est-il lui, influencé ?

Comment le Décodex a-t-il classé initialement les journaux britanniques vu ci-dessus ? The Daily Telegraph comme la BBC sont notés ainsi : « Ce site est en principe plutôt fiable. N’hésitez pas à confirmer l’information en cherchant d’autres sources fiables ou en remontant à son origine.  » . Face à cette presse britannique qui, à y regarder de plus près, n’est pas alignée exactement sur les préjugés de l’équipe du Décodex, que pense Le Décodex de la presse officielle russe ? A la question « RussiaToday (version française) est-il une source d’information fiable ? », le Décodex répond : « Une chaîne de télévision associée à un site d’information, financée par le pouvoir russe, créée en 2005 dans le but de donner une image plus favorable de Vladimir Poutine à l’étranger. Ce média peut présenter des enquêtes de qualité, mais présente le biais de toujours relayer des informations favorables à Moscou. ». Concernant l’autre site d’information russe Sputniknews (version française), le Décodex délivre un message identique en ajoutant : « Soyez prudents et croisez avec d’autres sources. Si possible, remontez à l’origine de l’information. ».

Alors bien sûr, nous ne pouvons qu’adhérer au « soyez prudents » prôné par les journalistes du Décodex. Reste que pour les “décodexeurs”, la presse russe est inféodée au Kremlin, alors que Le Monde est lui, bien entendu, quasi-irréprochable… Soulignons pourtant que Le Monde bénéficie chaque année d’une aide de l’Etat français considérable. Il arrive en deuxième position de tous les supports papiers aidés de la presse française. Or que dit Le Décodex concernant leur employeur Le Monde ? Il se contente d’un message lapidaire : « Un quotidien et site Internet d’information généraliste. Le groupe est détenu depuis 2010 par les hommes d’affaires Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse. », qui se conclut par la formule habituelle : « N’hésitez pas à confirmer l’information en croisant avec d’autres sources ou en remontant à son origine. ». C’est ce que nous allons faire à présent.

Pour ce faire, il nous a semblé important de revenir sur deux billets que nous avons écrit précédemment (ici et ). Bien avant le Décodex, nous nous étions interrogés sur les certitudes des patrons de presse. Pour répondre à cette question, nous étions revenus sur les travaux de Noam Chomsky et Edward Herman, qui en 1988 coécrivent « Manufacturing Consent. The Political Economy of the Mass Media ». Le livre est traduit en français en 2008 sous le titre “La Fabrication du Consentement”. Les deux intellectuels américains attirent notre attention sur les cinq filtres qui déterminent la fabrication du consentement :

1/ Taille, actionnariat, orientation lucrative.
2/ Régulation par la publicité.
3/ Sources d’information.
4/ Contre-feux et autres moyens de pressions.
5/ Anticommunisme.

Dès lors, la propagande peut être organisée par de puissantes ONG ou « cercles de réflexion » (think tanks) devenus lobbies au fil du temps. Pour Noam Chomsky et Edward Herman, ces organisations, sous couvert de caution scientifique, influencent radicalement le récit des différents médias. Elles constituent une “société d’experts” qui jouent en même temps le rôle d’agents du pouvoir US à l’origine des sources primaires qui déterminent l’orientation des lignes éditoriales.

Nous avons extrait de la galaxie des « think tanks » néolibéraux ou encore « atlantistes », un petit échantillon afin d’attirer votre attention sur le poids politique de leurs membres, et sur leurs sources de financements qui viennent de six catégories de pourvoyeurs de fonds : l’industrie de l’armement, l’énergie, la finance, les médias et la communication, le Département d’Etat américain, et les gouvernements alliés des États-Unis.

L’Atlantic Council est l’officine de propagande quasi officielle de l’OTAN. Elle regroupe une multitude d’anciens Secrétaires d’Etat américains, par exemple Madeleine Albright, Secrétaire d’Etat sous Clinton, Colin Powell, Secrétaire d’Etat de l’administration Bush, Condoleezza Rice, qui fut aussi Secrétaire d’État sous les deux mandats de George W. Bush. James Baker, Secrétaire d’Etat de GH Bush. Robert Gates, directeur de la CIA, qui deviendra Secrétaire à la Défense des États-Unis sous la présidence de G. W. Bush et conservera son poste sous Obama. Ses financements proviennent entre autres de : ExxonMobil, Bank of America, US Army, US Air Force, US Marine Corp, Boeing, Rockefeller&co, Thales USA, etc. Dans nos médias : Le MondeLibérationL’ExpressL’ObsLe PointLe Figaro.

Le Washington Institute est une organisation qui fut vivement critiquée pour avoir des liens étroits avec le groupe de lobbying pro-israélien AIPAC. Parmi les conseillers consultatifs nous retrouvons Henry Kissinger, ancien Secrétaire d’Etat, ou Richard Perle, ancien Secrétaire adjoint à la Défense. Nous retrouvons également Condoleezza Rice et R. James Woolsey, ancien directeur de la CIA. Son financement vient probablement de l’AIPAC. Dans nos médias : LibérationL’ExpressLe Figaro.

La Fondation Carnegie est représentée en Europe par Victoria Nuland, ex-ambassadrice adjointe à l’OTAN (2000-03), puis conseillère du vice-président Dick Cheney (2003-05) avant d’être employée par Hillary Clinton. Parmi ses financements nous notons entre autres : OpenSociety, Département US Defense, Fondation Ford, Chevron, United Arab Emirates, Morgan Stanley, Federal Republic of Germany, etc. Dans nos médias : Le MondeL’ExpressL’ObsLe FigaroLe Point.

Le Center for a New American Security réuni des personnalités politiques telles que le général David Petraeus, ex directeur de la CIA (2011-2012), Hillary Clinton, ou encore Madeleine Albright. Ses financements proviennent entre autres de Boeing, Government of Japan, Morgan-Stanley, Open Society, Chevron, Pentagone, Bank of America, Lockheed Martin, US Navy, US Air Force, US Army, etc. Dans nos médias : Le MondeLibérationL’ExpressLe FigaroL’Obs.

Le Center for Strategic and International Studies compte dans son conseil d’administration Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski, le géostratège qui a conseillé les présidents Jimmy Carter, George W. Bush et Barack Obama, et James Woolsey, qui dirigea la CIA de 1993 à 1995. Ses financements comprennent entre autres : Bank of America, Chevron, Lockheed Martin, Boeing, Raytheon, Thales, Électricité de France, U.S. Chamber of Commerce etc. Dans nos médias : Le MondeLibérationL’ExpressLe FigaroL’ObsLe Point.

Le Council on Foreign Relations est très vraisemblablement la principale structure de rayonnement de la galaxie des think tanks atlantistes. Nous y retrouvons Henry Kissinger, Madeleine Albright, Colin Powell, Robert Gates et Gerald Ford, 38ème président des Etats Unis. Nous notons les financements suivants : Bank of America, Exxon Mobil, Goldman Sachs, JPMorgan, Morgan Stanley, Credit Suisse, Deutsche Bank, Lazard, Airbus Group, Raytheon, Total, U.S. Chamber of Commerce, etc. Dans nos médias : Le MondeLibérationL’ExpressLe FigaroL’ObsLe Point.

Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas pour nous d’affirmer ici que tous les journalistes sont soumis à des intérêts cachés, toutefois force est de constater que les rédactions de nos médias sont toutes « sous forte influence ». Et vous aurez noté que le spécialiste des « coups tordus » Henry Kissinger est présent dans tous ces « think tanks » depuis de très nombreuses années.

3/ Un porte-parole paranoïaque comme référence ?

En matière de lutte contre les « théories du complot », la caution intellectuelle du Monde et de la presse dans son ensemble est apportée par le théoricien islamophobe Pierre-André Taguieff.

Il est l’homme que Le Monde suit et consulte depuis des années. Au fil du temps, Le Monde a produit un très grand nombre d’articles où ses travaux font autorité. Parmi le large éventail de choix sur le sujet (Le Monde/Taguieff), nous avons choisi quelques exemples significatifs. Dans son édition du 21.09.2015, Le Monde titre l’un de ses articles sous forme d’interview « Pour Pierre-André Taguieff, l’intelligentsia française sous-estime l’antisémitisme  ». Dans cette chronique Taguieff profite une fois de plus de l’occasion pour s’offusquer de la lutte contre l’islamophobie. L’éditorial du Monde du 20.06.2012 est consacré à l’affaire Merah. Là encore il y est décrit comme un spécialiste rigoureux du conspirationnisme. Dans Le Monde du 23.02.2012, il est écrit « Dans un numéro de « L’homme et la Société » datant de 1985, Pierre-André Taguieff en donnait une utile définition : pour les différentialistes, la différence culturelle est traitée comme une différence naturelle, et une différence de nature. Il y aurait plusieurs natures humaines ». Le 28.08.2008, Roger-Pol Droit pour l’édition Le Monde des livres ne tarit pas d’éloges envers Taguieff. Pour Roger-Pol Droit, « Pierre-André Taguieff construit une œuvre imposante, au carrefour de l’histoire des idées, de la sociologie et de l’intervention politique ». Pour Pierre Drouin dans les colonnes du Monde du 10.06.2004, « Pierre-André Taguieff interroge l’idée de progrès ». Nicolas Weill dans Le Monde du 20.06.2002 écrivait « Le sociologue Pierre-André Taguieff montre les usages erratiques de la notion de populisme ». Terminons cette liste non exhaustive avec un néoconservateur notoire qui n’est autre que Robert Redeker, qui lui aussi le 25.01.2002 profite d’une recension de M. Taguieff dans Le Monde pour brocarder la gauche anti-impérialiste. Totalement conquis, M. Redeker précise « Taguieff avertisseur d’incendie ». Il convient de noter que le soutien du Monde à Pierre-André Taguieff dure depuis plusieurs décennies, alors même que sur France Inter en 1997 ce dernier déclarait « Deux millions de musulmans en France, ce sont deux millions d’intégristes potentiels  ».

Pierre André Taguieff est à l’origine de la méthode qui consiste à mélanger des sujets sérieux, par exemple la cause palestinienne, à des légendes farfelues, par exemple les Illuminatis. L’objectif de la manœuvre étant de ridiculiser les militants anti-impérialistes. Cette matrice est invariablement composée de trois constantes : 1/ Le principe de non contradiction est totalement bafoué dans la narration. 2/ L’indignation est sélective (les dictatures alliées à l’Occident échappent toujours à la critique). 3/ Quand il aborde le complotisme, certains faits sont systématiquement ignorés (opération Condor, réseaux Gladio…). Son CV n’est pas plus reluisant que sa rhétorique. Pierre-André Taguieff fut contributeur hyperactif du site drzz.info devenu dreuz.info, qui publie les diatribes xénophobes et islamophobes de Daniel Pipes. Mais dreuz.info est surtout et avant tout une tribune permanente pour la théorie d’Eurabia, un néologisme forgé en 2005 par l’essayiste et contributrice de dreuz.info, Bat Ye’Or. Le concept Eurabia est souvent repris par des mouvements d’extrême droite parlant d’une Europe absorbée par le monde arabe.

Et que nous disent les « décodexeurs » du site Dreuz où Pierre-André Taguieff a officié ? A la question « Dreuz Info est-il une source d’information fiable ? » Réponse : « Un blog qui se revendique comme « pro-américain », « pro-israélien » et « néo-conservateur ». Il publie régulièrement de fausses informations, notamment sur l’immigration ». Cette consigne est suivie de “Notre Avis” : « Ce site diffuse un nombre significatif de fausses informations et/ou d’articles trompeurs. Restez vigilant et croisez avec d’autres sources plus fiables. Si possible, remontez à l’origine de l’information » . Une mise en garde appuyée par plusieurs articles dont « Sur le Web, le Hollande bashing se radicalise ». Cependant, les “décodexeurs” se gardent bien de signaler le lien entre les islamophobes pro-Eurabia de Dreuz et le « politologue » consulté par tous Pierre-André Taguieff.

4/ Attaques chimiques en Syrie : les “certitudes” du Monde à l’épreuve des faits.

Le mercredi 12 avril 2017, directement pour le Décodex cette fois, Madjid Zerrouky et Adrien Sénécat, tous deux journalistes au Monde, écrivent à propos de l’attaque chimique de Khan Cheikroun du 4 avril : « Bombardement chimique en Syrie : les intox à l’épreuve des faits » . Les deux journalistes ajoutent «  les preuves incontestables qui démontrent que Assad ment quand il conteste la nouvelle attaque chimique. » Ils surajoutent même lourdement : « Les preuves sont fournies par le Pentagone et les rebelles qui scrutent le ciel en permanence ». Par conséquent, Le Monde prend pour argent comptant les renseignements de rebelles dont on ne sait pas grand-chose si ce n’est que certains d’entre eux tentent depuis le début du conflit de faire assassiner des journalistes par l’armée syrienne, c’est du moins ce que relate le journaliste Alex Thomson de Channel 4 dès juin 2012, ce qui traduit une situation particulièrement incertaine sur le terrain, et semble être la véritable explication de l’absence très tôt parmi les “rebelles”, de journalistes de la presse occidentale réfugiés au Liban, en Israël ou en Jordanie.

Concernant les faits retenons surtout qu’à part celui de rendre grandiloquent un écrit très faible sur sa ligne, cette partie de l’article du Monde n’a finalement pas grand intérêt étant donné que L’Etat syrien reconnaît l’intervention aérienne au travers de la déclaration du ministre russe de la Défense : « Selon les données objectives du contrôle russe de l’espace aérien, l’aviation syrienne a frappé près de Khan Cheikhoun un grand entrepôt terroriste.  ». Et dans cet entrepôt situé dans une région encore entièrement contrôlée par Al-Nusra, il y avait des composants chimiques.

Dans cette affaire, Le Monde se devait de donner un semblant de légitimité à ses assertions. La caution scientifique sera apportée tant bien que mal par Olivier Lepick, chercheur associé à la “Fondation pour la Recherche” à qui Le Monde fait dire qu’il réfute catégoriquement la thèse syrienne. Pourtant à le lire, il semble plus mesuré, car il précise au Monde que « Si un tel stock existait, il serait “très improbable” qu’il soit sous le contrôle des groupes rebelles ». Et pour cause. Cette dernière hypothèse est en effet très discutable, comme nous allons le voir.

Tout d’abord retenons que selon CNN dès décembre 2012, des agents privés sous-traitants de la Défense américaine et européenne envoyés par les gouvernements des pays OTAN ont formé en Jordanie et en Turquie des “rebelles” à “tracer”, “sécuriser” et “gérer” des stocks d’armes chimiques dans les zones conquises. Donc des “rebelles” ont bien été en contact avec ce type d’armes, et selon toute vraisemblance ils savent les manipuler depuis le début du conflit.

Prenons également en considération que ce sont des jihadistes de Liwa Al Islam et Al Nusra, connus pour leurs liens avec l’Arabie Saoudite, qui attaquèrent le 21 décembre 2013 des entrepôts chimiques de l’armée syrienne pour s’emparer de leurs stocks, au moment où l’armée s’apprêtait à les transporter pour les “évacuer depuis le port syrien de Lattaquié dans deux cargos, escortés par les navires militaires norvégien et danois, à destination du port italien de Gioia Tauro. Les 700 tonnes d’agents chimiques les plus potentiellement dangereux furent transférés sur le MV Cape Ray, un navire de la marine américaine spécialement équipé pour leur destruction, et détruits dans les eaux internationales.”

Notons aussi que le samedi 15 avril dernier, l’EI a utilisé des gaz chimiques à Mossoul, et ce n’est pas la première fois selon l’AFP.

Enfin, rappelons ici qu’il est de notoriété publique que le jeu ininterrompu des allégeances entre brigades “rebelles” et brigades “jihadistes” rend leur classement extrêmement volatil. Seule la narration des médias pro-OTAN est totalement affirmative, en parfaite adéquation avec les déclarations officielles des chancelleries des pays OTAN.

Donc ces informations indiquent la possibilité réelle et vraisemblable, même si elle est minimisée par Olivier Lepick, que des “rebelles” soient effectivement en possession de gaz neurotoxiques avec l’objectif éventuel d’en faire usage.

Venons-en “aux charges”. Qui apporte les “meilleurs arguments” ? La certitude que “le gaz sarin a été utilisé en Syrie à plusieurs reprises et de façon localisée” est certes bel et bien établie, mais l’identité des auteurs des attaques fait toujours débat. Dès lors, le déterminisme du journal Le Monde est loin d’être satisfaisant puisque par exemple en mai 2013, l’ancienne Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie Carla Del Ponte a affirmé que ce sont les rebelles syriens qui ont utilisé du gaz sarin en décembre 2012 à Homs, puis en mars 2013 à Jobar, près de Damas. Le même jour, on pouvait lire dans le journal Turc Zaman que la police locale turque avait trouvé du gaz sarin chez les terroristes d’Al Nosra, pudiquement qualifiés de « groupe rebelle de militants syriens », que les USA mirent plus d’un an à inscrire sur leur « liste noire du terrorisme international ». Et que faisait Le Monde, déjà à cette époque ? Une grande enquête totalement à charge, sans aucun recul déontologique, alors que ses 2 journalistes sur le terrain à l’origine des prélèvements utilisés comme “preuves”, avouaient a posteriori et à demi-mot être dans l’incapacité de déterminer qui était l’auteur des gazages, et qu’aucun autre journaliste du Monde n’était allé sur la scène du crime.

Revenons à présent sur l’interview proposée par Les-Crises (un blog ostracisé par le Decodex) de Theodore A. Postol, professeur émérite en science, technologie et politique de sécurité nationale au MIT de Boston, et ancien conseiller scientifique auprès du chef des opérations navales de l’armée américaine. Dans cet entretien, Postol rejette les accusations de Elliot Higgins, animateur du blog Bellingcat. Postol déclare avoir tenté de travailler avec lui sans avoir jamais obtenu de réponse du blogueur, qui lui est référencé par Le Monde. Or Elliot Higgins avait justement fait paraître sur Bellingcat des explications pour tenter d’invalider un rapport antérieur signé de MM. Postol et Brown sur les attaques du 21 août 2013 à La Ghouta, dans la banlieue de Damas. Postol nous confie avec 4 ans de recul son dernier point de vue sur cette attaque et il est très clair : « Nous disons que nous ne savons pas qui a exécuté l’attaque, mais que nous savons avec certitude que les renseignements présentés par la Maison-Blanche en septembre 2013 ne peuvent assurément pas être corrects  » .

Mais il y a mieux. Comme nous le conseille Le Monde, nous avons pu recouper cette affirmation avec le point de vue des six congressistes américains tant Démocrates que Républicains, qui ont demandé à accéder aux preuves, et ont déclaré exactement la même chose dans leurs journaux locaux concernant cette même attaque du 21 août 2013.

D’ailleurs au final, même Obama s’est montré prudent. Il semblerait en effet que si le président a reculé, c’est tout simplement parce qu’il avait promis aux américains qu’il demanderait le vote du Congrès, et qu’il s’apprêtait à essuyer un échec aussi retentissant que celui de Cameron. Inavouable bien entendu.

A la lumière de cette somme d’informations, examinons à présent la nouvelle séquence française suite à la nouvelle attaque chimique du 4 avril 2017, imputée par les pays OTAN et Le Monde aux forces gouvernementales syriennes, du moins telle qu’analysée par Madjid Zerrouky et Adrien Sénécat le 12 avril 2017. Leur version s’appuie sur la déclaration officielle de l’ex-ministre des Affaires étrangères Jean Marc Ayrault le mercredi 19 avril 2017 sur la chaine LCP, juste avant le premier tour de la Présidentielle française. Le village de Khan Cheikroun, sous contrôle rebelle, a été bombardé par un Sukkoï22 syrien qui a décollé de la base aérienne militaire de Shayrat censée abriter un arsenal chimique non déclaré en 2014. Malgré une nouvelle intervention de M. Théodore Postol (version finale de son rapport publiée le 18 avril) qui disculpe ipso facto les forces gouvernementales, de nouvelles “preuves” françaises ont été publiées ce mercredi 26 avril, juste entre les 2 tours de la Présidentielle, qui font réagir les internautes avec vigueur, au vu de leur extrême faiblesse. Comme dans le cas d’Obama, le véritable motif de cette publication semble être ailleurs que dans la solidité ou non de ces preuves.

Une fois de plus, force est de constater que l’effet d’annonce prime sur le contenu, et que Le Monde, comme souvent, s’agite au côté des interventionnistes, et non du côté de la recherche impartiale de la vérité. Une rhétorique méthodiquement décryptée par Anne Morelli qui dans les « principes élémentaires de propagande de guerre » précise que dans le discours guerrier “l’ennemi” utilise toujours des armes non autorisées, alors que nous « les bons », non seulement nous ne commettons pas d’atrocités, mais nous faisons la guerre de manière chevaleresque.

Cet enchaînement de faits nous amène au point central de la discorde entre accusateurs et sceptiques : La question du mobile. Pourquoi Assad aurait-il agit de la sorte ? Le fait qu’Assad « n’avait aucun intérêt à faire ces frappes » semble pourtant a priori être une évidence qui mérite d’être examinée. Mais pour les “decodexeurs” du Monde c’est un « argument qui fait diversion ». Les deux compères du Monde balayent d’un revers de la main cette question préalable pourtant essentielle par la formule suivante : « Un élément d’interprétation qui remettrait en question l’implication du régime syrien ». Mais qu’y-a-t-il de malhonnête à rechercher le mobile d’un crime ? N’est-ce pas la base d’une enquête que de s’interroger sur les raisons du criminel ? En l’occurrence pourquoi Assad dès 2013 aurait-il entamé une série d’actes aussi suicidaires ? N’était-ce pas le meilleur moyen face à “l’opinion internationale” de se mettre une corde au cou quand nous savons le sort qui fut réservé à Mouammar Kadhafi quelques mois auparavant, et à Saddam Hussein en 2006 ? Aussi comprenons qu’à ce jour, la seule et unique certitude que nous puissions avoir est que seule une enquête indépendante sous l’égide de l’ONU pourra apporter un véritable éclaircissement, et que seule une parfaite clarification aura le pouvoir d’être suivie de décisions diplomatiques fortes et respectables car légitimes. Ce qui n’est bien sûr pas le cas pour le moment.

5/ Le cas Trump :

Pour finaliser cette dernière partie autant qu’il est possible de le faire à cette heure, revenons sur le comportement du Monde au gré de la réaction de Donald Trump à la suite de l’attaque au gaz de Khan Cheikhoun. Peu soucieux du respect du droit international, le nouveau président américain a signé son premier acte unilatéral de guerre illégale. Pourtant, pour le journal Le Monde, pour les pouvoirs politiques et pour la presse occidentale, le ton serait plutôt de dire “hourra le shérif est de retour”. A cet effet, Le Monde a repris un article de l’AFP intitulé « Après l’attaque chimique de Khan Cheikhoun, Donald Trump cible le régime syrien ». Souvenons-nous qu’il y a encore peu, aux yeux de la presse internationale et du Monde, Donald Trump n’était qu’un illettré, un déficient mental, bref une “brute épaisse”. Et force est de constater que depuis qu’il s’avère être vraiment une brute épaisse, sa cote de popularité dans les journaux est à la hausse. L’homme serait même sur le chemin de la respectabilité.

Un traitement de l’information qui en rappelle un autre : Souvenons-nous de l’élection américaine de novembre 2016. Le Monde, avant l’élection américaine, avait colporté une parfaite théorie du complot selon les critères de son Décodex. La fameuse déclaration fabriquée par l’équipe d’Hillary Clinton, qui accusait Donald Trump d’être la « marionnette » du président russe Vladimir Poutine. Le président russe « préfère avoir une marionnette comme président des Etats-Unis » , avait lancé à plusieurs reprises Hillary Clinton. Trois mois après l’investiture de Donald Trump, l’affirmation d’Hillary Clinton disparaissait des radars médiatiques en même temps que le président américain changeait de cap diplomatique et agissait cette fois dans la droite ligne de ses prédécesseurs. Toujours est-il que sur cette affaire, le Décodex, toujours très sélectif dans ses critiques, n’agite toujours pas à ce jour de carton rouge en direction des médias qui ont relayé cette assertion invérifiable venue du camp Clinton.

Récapitulons :

Si l’on en croit ses concepteurs, le Décodex est un outil informatique qui permet à un public large et varié de décrypter l’information sans trop d’efforts. Ainsi nous dit-on, les utilisateurs du Décodex peuvent faire le tri entre les informations pertinentes et les fausses nouvelles communément appelées “fake news”. Cependant, la maison-mère du Décodex, qui n’est rien moins que le journal Le Monde, est contredite dans ses principes élémentaires comme nous venons de le voir.

Le Monde minimise autant que possible l’influence de l’extrême droite en Ukraine et la presse britannique (classée fiable) et certaines ONG sont là pour nous le rappeler.

Les sources primaires du Monde sont très souvent les purs produits de l’industrie de guerre américaine.

Le Monde n’a pas le moindre scrupule pour utiliser un porte-parole paranoïaque tel que Pierre-André Taguieff, ex éditorialiste du site Dreuz, qui est un site conspirationniste selon les termes même du Décodex.

Sous le prétexte du droit d’ingérence humanitaire, Le Monde cautionne une intervention militaire américaine en Syrie, alors même qu’à ce jour aucune preuve acceptée par la Communauté internationale n’a été présentée à l’ONU qui désigne les responsables des actes que cette administration est censée punir. Une attitude adoptée aussi par M. Jean-Marc Ayrault, qui rappelle en tous points celles d’avril puis août 2013 étroitement liées à une enquête soi-disant accablante du journal Le Monde, et extrêmement discutables elles aussi.

La frappe unilatérale ordonnée par Donald Trump fut donc parfaitement illicite, et renvoie à une Administration américaine qui n’est jamais avare de mensonges quand il s’agit de ses intérêts*, défendus avec complaisance dans des médias versatiles qui avaient soutenu Hillary Clinton, notamment contre le prétendu complotisme pro-russe de Donald Trump.

Conclusion

« Pourquoi sans le moindre détour ne pas avoir écrit un billet à charge contre le Décodex ? » , nous diront à juste titre, ceux qui pensent qu’il y a beaucoup à dire sur cette initiative du Monde, qui indéniablement a pour objectif la mise à l’index des idées divergentes de celles des forces dirigeantes des pays OTAN. A cette interrogation légitime, nous répondrons simplement que le travail a été fait par d’autres. De ce fait, il nous a semblé utile d’examiner Le Monde lui-même à travers le prisme de son Décodex. Et le moins que l’on puisse dire est que ce journal se trouve discrédité par les méthodes d’investigation de son propre outil. Au final, cet outil nous permet surtout de pointer les influences, le dogmatisme et les contradictions d’un journal qui se targue de cultiver un certain recul. Quoique le journaliste Samuel Laurent puisse en dire, Le Monde est un journal militant et partial, en ce sens qu’il soutient la politique impérialiste de l’OTAN. Son positionnement, parfaitement aligné sur celui du quai d’Orsay, a pour principale conséquence la justification des conflits récents. Le Monde ferme les yeux sur les régimes autoritaires alliés à l’Occident, et diabolise les activistes anti-guerre et anti-impérialistes. De ce fait les journalistes du Décodex rallient le cortège de ceux qui s’efforcent, avec plus ou moins de réussite, de fournir à l’occident des alibis pour toutes les guerres dans lesquelles l’OTAN est directement ou indirectement impliquée.

ANTI-CONS

* « Les grandes puissances n’ont pas de principes, seulement des intérêts. » Henry Kissinger, Secrétaire d’État du gouvernement républicain de Richard Nixon, puis de Gerald Ford.

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Informer n’est pas une liberté pour la presse, mais un devoir. La liberté de la presse a bien une limite : elle s’arrête exactement là où commence mon droit à une véritable information.

Viktor Dedaj

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